Des centaines de milliers de personnes étaient venues de Kabylie, jeudi à Alger, pour protester contre la répression policière dans cette région. Cette manifestation « historique » devait être pacifique. Elle a été marquée par d’importants incidents, menés par des éléments extérieurs, où deux journalistes ont accidentellement trouvé la mort.
La marche nationale à laquelle a appelé la coordination des archs, daïras (associations de villageois) et communes de Kabylie a été marquée, jeudi, par de nombreux incidents. Actes de violence, pillages, vandalisme sur des édifices publics : une journée d’émeutes où deux journalistes ont accidentellement trouvé la mort.
La marche avait pourtant débuté dans le calme. Réunis sur la place du 1er mai, les manifestants arboraient plusieurs banderoles et scandaient des slogans favorables à la reconnaissance de la langue et de la culture berbère.
La démonstration de force et le succès de la manifestation pacifique de Tizi-Ouzou (600.000 personnes) avaient permis, lundi dernier, la rédaction d’une plate forme commune de revendications. A l’issu de la marche, le texte devait être déposé à la Présidence, mais les forces de l’ordre ont bloqué les manifestants.
Une manifestation controversée
Prévue il y a plusieurs semaines, cette manifestation avait, dans un premier temps, été annulée par peur d’une récupération politique. Crainte légitime, car au lendemain des événements, le soupçon de la manipulation est dans tous les esprits. « Tout a été fait pour que ça dégénère » explique Mustapha Saadi, président de BRTV (la radio télévision berbère). Il ajoute que la manifestation était infestée de « gens en civils ». Ce sont eux qui auraient semé la confusion et la violence au sein de la manifestation . Parmi ces civils, Mustapha Saadi distingue deux groupes. L’un très structuré et l’autre composé de désoeuvrés venus des quartiers populaires d’Alger : les « supporters ».
Les manifestations de ces derniers mois prouvent avec force que l’Algérie demeure dans une situation politique bloquée. Comment traduire le silence du pouvoir algérien face à ses événements ? « Le pouvoir algérien observe avant de décider d’une éventuelle répression massive où d’un laisser faire », déclare Salem Chaker, professeur à l’Institut National des Langues et des Civilisations Orientales (Inalco) et spécialiste du monde berbère.
Reste que la médiatisation de ses événements sanglants, ne doit pas cacher l’objet réel de la manifestation : la reconnaissance linguistique et culturelle berbère. Un espace identitaire très soudé et organisé. « La résurgence des associations de villages prouve que la société kabyle a conservé des liens de solidarité encore fonctionnels », déclare Salem Chaker. Même si, selon l’enseignant, « elles ne peuvent formuler un projet global pour la Kabylie », car « ce n’est ni leur tradition, ni leur fonction, ni leur but ».
Enfin, même si le phénomène de contagion se propage dans plusieurs régions d’Algérie, la Kabylie reste, d’après Chaker, « la colonne vertébrale, l’ossature du mouvement actuel ». Avec un pouvoir autoritaire et des partis politiques dépassés, l’Algérie paraît ne pas disposer des relais démocratiques structurés qui permettraient à ces revendications de s’exprimer. Il lui reste la rue, et c’est aujourd’hui elle qui parle.
Par Tarik Ait Kaki
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