L’audience dans le cadre du procès de l’assassinat de Thomas Sankara et ses compagnons s’est poursuivie, ce mercredi, à la salle des banquets de Ouaga 2000. Cinq dépositions ont été lues, toutes à charge contre Blaise Compaoré.
La déposition de Valère Somé, un des pions de la révolution burkinabè et ami proche de Thomas Sankara, a été lue, ce mercredi 5 janvier. Du procès-verbal, il ressort que le témoin avait passé toute la matinée du 15 octobre 1987 avec le Président du Faso affairé à préparer son discours pour la réunion prévue le même jour, à 20 h ; une réunion capitale parce qu’elle devait déboucher sur la création de l’Organisation militaire révolutionnaire (OMR) et l’aplanissement des dissensions entre les leaders de la révolution.
« Blaise Compaoré voulait coûte que coûte le pouvoir »
Le témoignage de Valère Somé montre, par ailleurs, clairement que Blaise Compaoré manifestait une réelle envie de prendre le pouvoir. Et dans cette ambition, il avait le soutien de certains de ses proches comme Salifou Diallo, Jean-Pierre Palm, Jean-Marc Palm, Watamou Lamien, Étienne Traoré, Kader Cissé. « Blaise Compaoré voulait coûte que coûte le pouvoir. Il était au courant de tout. C’est lui qui a organisé le coup d’État », a déclaré M. Somé dans sa déposition.
Le témoin avait saisi l’occasion de son audition pour apporter des rectificatifs à des points qu’il avait soutenus dans son ouvrage, Thomas Sankara. L’espoir assassiné. Dans cet ouvrage, il était par exemple dit que c’est Hyacinthe Kafando qui avait tiré sur Thomas Sankara ; l’auteur a rectifié en indiquant que c’est plutôt Nabié N’Soni. De la déposition d’Etienne Zongo, aide de camp de Thomas Sankara, on retient qu’avec le temps, les rapports s’étaient sérieusement détériorés entre les deux premiers responsables de la révolution ; au point où la sécurité de Thomas Sankara avait réussi à infiltrer le camp de Blaise Compaoré à travers le soldat Eugène Somda.
La situation était si critique que l’aide de camp et Blaise Sanou ont songé à exfiltrer le Président du Faso pour ensuite le contraindre à la démission. Mais l’autre élément qui ressort de la lecture de la déposition d’Etienne Zongo, c’est que Thomas Sankara lui-même envisageait l’organisation d’une tournée nationale d’explication à l’issue de laquelle il comptait remettre le pouvoir à Blaise Compaoré. Il sied de préciser que cette déclaration entre en contradiction avec les propos d’autres témoins selon lesquels, le capitaine Sankara avait l’habitude de dire, parlant de lui-même : qu’on ne dira pas de lui voilà l’ancien Président, mais on dira voilà la tombe du Président.
Pour Etienne Zongo, les événements du 15 octobre étaient prévus de longue date. D’ailleurs, ce n’était pas la première fois qu’il y a eu des tentatives d’assassinat du capitaine Thomas Sankara. Il y a eu une tentative avortée le 2 octobre 1987, à Tenkodogo, à l’occasion de la célébration du 4e anniversaire du discours d’orientation politique – projet d’assassinat confirmé par la déposition de Valère Somé – , et une autre, le 8 octobre alors que Thomas Sankara devait se rendre chez Blaise Compaoré « qui prétextait d’être malade ». Un autre point mis en exergue par la déposition de l’ancien aide de camp, c’est que quelques jours avant le 15 octobre, il avait aperçu Blaise Compaoré à Paris, en compagnie de Jacques Foccart, ce qui, selon le témoin, traduisait des accointances entre le numéro 2 burkinabè et les services secrets français.
Un autre fait qui mérite d’être relevé dans la déposition d’Etienne Zongo, c’est qu’en août 1987, soit deux mois avant le drame, un journaliste de RFI, Stephen Smith, l’a appelé pour avoir la confirmation que le Président du Faso était effectivement mort avant de publier la nouvelle. Selon le journaliste, cette information lui aurait été communiquée par Blaise Compaoré. Et pour le convaincre du contraire, Etienne Zongo a dû lui passer le Président Sankara qui était à ses côtés.
Des dépositions de témoins ghanéens
Au titre des témoins non burkinabè « auditionnés » ce jour, il y avait l’ancien Président du Ghana, Jerry Rawlings, dont la déposition a été lue au tribunal. Le regretté ancien Président ghanéen a insisté sur les liens d’amitié qu’il y avait entre Blaise Compaoré et Thomas Sankara. « Blaise Compaoré et Thomas Sankara étaient de très bons amis depuis leur jeunesse. Ce n’était pas une amitié superficielle comme aller juste boire ensemble », a-t-il indiqué, avant d’ajouter que « leur relation s’est dégradée à cause de leurs divergences politiques ». Pour Jerry Rawlings, il n’y avait pas de doute que Blaise Compaoré voulait véritablement du pouvoir. Mais, à la question de savoir s’il avait été surpris par le dénouement tragique du 15 octobre 1987, l’ancien Président ghanéen a répondu en ces termes : « J’ai été choqué, dépassé ».
On comprend pourquoi Jerry Rawlings refusa de prendre une photo de famille avec Mouammar Kadhafi et Blaise Compaoré, à Tripoli où le guide libyen l’avait invité peu de temps après le drame. En effet, alors qu’il avait été invité par le colonel Kadhafi pour discuter du récent assassinat de Thomas Sankara, Rawlings trouva Blaise Compaoré assis aux côtés du dirigeant libyen. À l’occasion des discussions, Blaise Compaoré nia totalement être l’auteur de l’assassinat du capitaine Sankara. À l’issue de la rencontre, Mouammar Kadhafi proposa une photo de famille à trois, offre que Jerry Rawlings rejeta catégoriquement : « Sortir faire une photo avec Blaise à côté serait être son complice », opposa-t-il au guide libyen.
Le deuxième Ghanéen dont le témoignage a été lu, ce mercredi, est le médecin gynécologue, Keli Nordor, ancien ambassadeur du Ghana au Burkina Faso. Lui aussi était au courant des points de friction entre Thomas Sankara et Blaise Compaoré. « Après cette date (août 1987, ndlr), avec quelques amis, dont Stanislas Spero Adotevi (philosophe et homme politique béninois vivant au Burkina Faso), j’ai entrepris de rencontrer Thomas Sankara pour connaître les raisons des dissensions entre lui et son ami (Blaise Compaoré) et essayer s’il y a lieu, de tenter une médiation. Il (Thomas Sankara) nous fera comprendre que si Blaise Compaoré veut son fauteuil, nul besoin de faire un coup d’État. Il n’a qu’à demander », lit-on dans le procès-verbal.
Peu de temps après le coup d’État, Blaise Compaoré a invité le diplomate ghanéen pour lui donner sa version des faits : « Je n’étais pas là. J’étais malade. Ce sont des militaires incontrôlés qui ont commis l’acte », aurait déclaré l’ancien numéro 2 de la révolution. Ce à quoi, Keli Nordor lui aurait répliqué : « Tu es un menteur. Thomas Sankara a été liquidé ». Selon le témoin, l’entretien s’est achevé en queue de poisson. Et le diplomate de soutenir dans sa déposition : « Blaise Compaoré est un menteur et il vit continuellement dans le mensonge ».
Tout comme il n’a pas réussi à convaincre le diplomate, Blaise Compaoré ne parvint pas à faire passer ses explications auprès du Président ghanéen, Jerry Rawlings, non plus. C’est ce qui ressort du témoignage du troisième Ghanéen et dernier témoin de la journée avant la suspension de l’audience, Kojo Tsikata : « Après la mort de Thomas Sankara, il (Blaise Compaoré, ndlr) est venu officiellement pour tenter d’expliquer les circonstances de cette mort. John Jerry Rawlings n’a pas voulu le recevoir à Accra mais plutôt à Tamale. Cette rencontre était tendue. Blaise Compaoré n’a pas pu convaincre et il est reparti mécontent », a déclaré le témoin.
Ce même témoignage révèle que trois ou quatre jours avant le 15 octobre 1987, Blaise Compaoré se serait discrètement rendu au Ghana rencontrer l’ambassadeur du Burkina Faso sans prévenir les autorités ghanéennes. Après la lecture de cette déposition, l’audience a été suspendue et ne reprendra que le 10 janvier, avec les auditions par visioconférence des témoins à l’étranger.