Pour Jean Ping, l’Afrique « traverse la crise la plus profonde qui l’ait secouée depuis la fin du règne colonial ». Dans son essai Et l’Afrique brillera de mille feux (L’Harmattan), le président de la Commission de l’Union africaine retrace les cinquante dernières années de la tumultueuse histoire du continent dont il analyse l’état actuel en s’appuyant sur sa riche expérience gabonaise et internationale. Il dresse un constat alarmant de la situation, qu’il attribue en grande partie à la mondialisation et aux modèles de développement imposés par l’Occident, mais ne cède pas à l’afro-pessimisme. Croyant aux vertus de l’Etat fort et de l’unité, il exhorte l’Afrique et ses dirigeants à « se réveiller » et explorer de nouvelles voies au bout desquelles point la clarté du jour.
En costume gris, cravate bleue sur chemise blanche à rayures claires, l’homme est souriant, volontiers rieur. Il reçoit des journalistes à sa table, dans un restaurant du quartier de la Bourse, à Paris. Il se prête aux questions de la presse, et pèse ses mots. Dans son verre, pas une goutte d’alcool, seulement du Coca. Dans son essai, Et l’Afrique brillera de mille feux, qui vient de paraître aux éditions L’Harmattan, Jean Ping, 67 ans, livre une réflexion qu’il souhaitait mettre en forme depuis une dizaine d’années déjà, mais que son agenda d’homme d’Etat et de diplomate l’avait contraint à repousser. Ancien conseiller personnel du président Omar Bongo, titulaire de plusieurs portefeuilles ministériels au Gabon entre 1990 et 2007, président de l’Opep en 1993, président de l’Assemblée générale des Nations-Unies entre 2004 et 2005, cet économiste de formation est président de la Commission de l’Union africaine depuis avril 2008. De cette longue expérience, il tire les nombreux exemples qui illustrent son propos : l’Afrique, dont la souveraineté a été confisquée depuis les indépendances, va mal ; mais il est encore temps de lui « construire ensemble un avenir meilleur ». Entretien.
Afrik.com : Citant l’écrivain italien Umberto Eco, vous écrivez que l’Afrique a entamé la « marche de l’écrevisse ». Selon vous, depuis une vingtaine d’années, elle recule. Le constat n’est-il pas trop sévère ?
Jean Ping : La « marche de l’écrevisse » consiste à avoir des avancées et des reculs. J’ai constaté, à travers l’analyse historique que j’ai faite, que depuis les indépendances il y a eu des avancées et des reculs. Aujourd’hui, et ce depuis la chute du mur de Berlin, nous sommes dans une période de recul. A tel point que dans le livre, je me pose cette question : « Les maîtres sont-ils de retour ? »
Afrik.com : Sur quelles bases vous appuyez-vous pour diagnostiquer ce recul ?
Jean Ping : En simplifiant, trois périodes se sont succédées des indépendances à nos jours. Après les indépendances, les pays africains ont voulu s’abriter derrière une puissance, en général une ancienne puissance coloniale, et pour certains l’URSS et la Chine. Pendant la seconde période, à partir des années 70, après avoir obtenu l’indépendance juridique nous avons cherché l’indépendance économique. A l’époque, nous nous ouvrons au monde et aspirons au non-alignement. Il y a une quête de souveraineté, de réelle indépendance politique. Les années 90 ouvrent, elles, une période de remise en question et un recul. D’abord, on nous dicte notre conduite avec des politiques d’ajustement structurel et le consensus de Washington[[Mesures standard recommandées aux économies des pays en difficulté par la Banque mondiale et le FMI soutenus par le Département du Trésor américain.]]. Tout ceci débouche sur la faillite des Etats. On entend même parler de privatiser la police et l’armée… Il y a recul sur le plan économique et les fonctions régaliennes de l’Etat. Et la période des sanctions est revenue.
Afrik.com : Vous écrivez que la mondialisation qui se développe depuis les années 90 est un mal pour l’Afrique. Mais elle n’est pas la seule à en subir les effets. Pourquoi les conséquences de cette mondialisation seraient-elles plus graves pour elle que pour les autres continents ?
Jean Ping : Les conditionnalités imposées par la Banque mondiale et le FMI ont été rejetées par l’Asie et les autres. Nous, pays africains, avons accepté et nos économies se sont effondrées. On nous a demandé de démanteler l’Etat, ce qui a entraîné la guerre, les conflits identitaires, les désordres en tout genre…
Afrik.com : Vous critiquez la politique de « mise sous tutelle de l’Afrique » imposée par le FMI et la Banque mondiale. La solution pourrait-elle être la rupture ?
Jean Ping : Je ne pense pas qu’on peut, nous, refuser. Maintenant nous sommes dans une situation de faiblesse telle qu’on peut nous étrangler. Le Zimbabwe est là pour l’attester, et même le Soudan.
Afrik.com : Selon vous, la solution pour un relèvement de l’Afrique passe par la réhabilitation de l’Etat. Vous écrivez qu’il faut lui redonner du sens, voire même le « réinventer ». Qu’entendez-vous par là ?
Jean Ping : On a détruit l’Etat en Afrique. Il faut donc le réinventer en faisant en sorte qu’on allie modernité, identité culturelle et aussi respect de nos intérêts propres. Il ne s’agit pas de revenir comme avant à un Etat autoritaire. Il s’agit d’épouser la modernité, c’est à dire la démocratie, les droits de l’homme, tout ce qui constitue la bonne gouvernance, sans pour autant devenir des imitateurs serviles.
Afrik.com : Vous êtes président de la Commission de l’Union africaine, une institution qui est souvent présentée comme une usine à gaz au sein de laquelle les membres peinent à trouver un consensus et des solutions concrètes aux problèmes. Dans votre livre, vous affirmez que le renouveau du panafricanisme est nécessaire. Comment parvenir à créer une réelle unité ?
Jean Ping : L’impératif d’unité du continent africain s’impose. Aucun Etat ne peut faire entendre sa voix seul. Ensemble, on peut intervenir et changer les choses. L’union fait la force. Seulement, quelle forme d’union devons-nous mettre en place ? C’est ce qu’on est en train d’imaginer avec les Etats membres. L’Union africaine n’a que huit ans. Elle est encore jeune. Donc nous avançons vers une réflexion sur une communauté économique plus vaste. Certaines aujourd’hui regroupent jusqu’à une vingtaine d’Etats, d’autres une dizaine… Ces communautés d’Etats [[Cedeao, Cemac, Comesa, Uemoa…]] nous permettent d’avancer vers cet ensemble plus vaste auquel nous aspirons.
Afrik.com : Pour conclure, l’élection présidentielle dans votre pays, le Gabon, devrait se tenir le 30 août prochain. Que vous inspire-t-elle ?
Jean Ping : Ces élections constituent un test important pour notre pays. Pour la première fois nous allons passer à une administration sans le président Bongo, qui a dirigé notre pays pendant 42 ans avec sagesse. Cette élection est très ouverte si l’on tient compte du nombre de candidats qui s’y présentent (23). Jusqu’à maintenant, les choses se sont passées dans le respect des institutions. Et je crois que si tout se passe bien, comme on le souhaite, le Gabon pourra constituer un modèle du genre.
Commander Et l’Afrique brillera de mille feux, de Jean Ping, L’Harmattan, 2009, 299p.