Jean-Paul Ney, un pion sacrifié sur l’échiquier ivoirien ?


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Accusé d’avoir participé à une tentative de coup d’état et incarcéré depuis quinze mois dans la sinistre prison de la Maca, à Abidjan, le journaliste français clame son innocence. En vain.

Par Ely Saint-André

Typhoïde, paludisme, tortures, simulacre d’exécution, tentative de suicide… Jean-Paul Ney nous a confié que sa vie est devenue un véritable enfer depuis son arrestation le 27 décembre 2007 par les forces de l’ordre ivoiriennes. Soupçonné par les autorités locales d’atteinte à la sûreté de l’État, le reporter français est emprisonné à la maison d’arrêt d’Abidjan. Contacté par téléphone, il nous a accordé une interview dans laquelle il revient sur l’opération « Noël à Abidjan ».

Afrik.com : Comment se déroule votre détention ?

Jean-Paul Ney :
C’est un peu dur, mais je fais avec. Le bâtiment dans lequel je suis enfermé est sous très haute surveillance, car il accueille également les prévenus de l’affaire café-cacao.

Afrik.com : Bénéficiez-vous de la protection consulaire ?

Jean-Paul Ney :
Oui, j’ai des visites régulières, au moins deux à trois fois par mois. Les gens ne comprennent pas grand-chose à l’affaire. Le consul me laisse quelques magazines, il s’enquiert de ma santé, me demande comment je dors, si je suis maltraité.

Une incarcération passée sous silence

Dès l’incarcération du ressortissant français, une chape de plomb s’abat sur l’affaire et ses protagonistes. L’association Reporters sans frontières s’inquiète publiquement du sort du journaliste en janvier 2008, puis c’est le silence radio. En fait, la médiatisation du dossier a été interrompue, car les autorités françaises craignaient que Jean-Paul Ney ne soit victime de représailles sur son lieu de détention. Mais dans les coulisses, RSF poursuit son action en faveur du reporter, en intervenant notamment auprès de la primature ivoirienne. Une seconde raison a également poussé les responsables de RSF à la discrétion. Léonard Vincent – qui s’occupe de l’Afrique pour l’association – s’est rendu compte que Ney avait été rémunéré pour réaliser un film présentant Ibrahim Coulibaly à son avantage, et non pour un véritable travail journalistique. Il se révélait donc délicat pour RSF de défendre publiquement un reporter ayant participé à une opération de communication.

Simultanément, les autorités hexagonales demandent à la famille de Jean-Paul Ney de ne pas ébruiter l’affaire. Et les très rares journalistes, qui s’y intéressent, se heurtent immédiatement à la loi du silence. Finalement, lassés par plusieurs mois d’inaction et d’espoirs déçus, la famille ainsi que les amis du reporter décident de briser l’omerta en septembre 2008. Un site de soutien à Ney est rapidement créé sur Internet et son père est interviewé à plusieurs reprises. Les relations entre la famille et le Quai d’Orsay s’avèrent particulièrement tendues. Même si Ney bénéficie de la protection consulaire, les proches du journaliste affirment en privé que le gouvernement français l’a « lâché » depuis longtemps. Un diplomate confirme que le dossier est délicat et qu’il s’agit avant tout d’une affaire privée. Une manière comme une autre de botter en touche ?

Afrik.com : Avez-vous des nouvelles de votre avocat français, Gilbert Collard ?

Jean-Paul Ney :
J’ai beaucoup de mal à l’avoir, il est très occupé. Et, apparemment, tout est fait pour l’empêcher de venir en Côte d’Ivoire.

Afrik.com : Avez-vous eu récemment des contacts avec votre famille ?

Jean-Paul Ney :
Pas trop, j’évite parce que je ne veux pas leur causer de problèmes. Ils ont des nouvelles par l’intermédiaire du consul.

Afrik.com : Comment avez-vous rencontré Jean-François Cazé, l’un des principaux protagonistes de « Noël à Abidjan » ?

Jean-Paul Ney :
C’est lui qui m’a contacté sur Internet. Nous nous sommes ensuite rencontrés chez quelqu’un à Paris, mais je ne peux en dire plus.

Afrik.com : Cazé vous a proposé de faire un film sur Ibrahim Coulibaly, lequel se trouvait à l’époque à Cotonou. Proposition que vous avez acceptée. Comment s’est passé votre séjour au Bénin, début décembre 2007 ?

Jean-Paul Ney :
Dès le lendemain ou le surlendemain, Cazé est venu me voir à l’hôtel et m’a dit : « voilà, maintenant je vais t’expliquer, il va se passer des choses. Tu fermes ta gueule, tu filmes quand je te le dis, tu photographies quand je te le dis et puis voilà tu joues pas les héros ».

Afrik.com : Suite à cela, vous n’avez pas songé à rentrer en France ?

Jean-Paul Ney :
Est-ce que j’aurais dû partir dès cet instant ? Franchement, j’étais pris dans le tourbillon. J’étais à la fois tenaillé par la curiosité et la peur. Je me suis dit : « quitte à foncer, tu fonces, vois ce que tu peux faire ». Je suis donc resté, mais j’ai été trop gourmand. Peut-être ai-je voulu avoir trop d’infos…

Afrik.com : Le 10 décembre, Cazé et vous quittez Cotonou pour Abidjan. Vos relations se sont-elles améliorées en Côte d’Ivoire ?

Jean-Paul Ney :
Absolument pas. Cazé – qui avait loué une villa – m’a menacé de mort. Il m’a ensuite confisqué mon passeport, mes téléphones et mon billet d’avion. Je suis resté enfermé deux semaines dans cette villa.

Afrik.com : Avez-vous essayé de contacter des personnes en France pour les prévenir de votre situation ?

Jean-Paul Ney :
Il y avait une connexion Internet dans la villa. Un soir, j’ai réussi à déposer un message sur le site Intelink News, avec un maximum d’informations. Il s’agit de l’article publié, sous un pseudonyme, le 19 ou le 20 décembre (annonçant le coup d’état – NDLR) et repris par la presse ivoirienne le 23. Cazé n’a pas su que j’en étais l’auteur.

Afrik.com : Le 27 décembre, vous êtes arrêté par la police. Comment s’est déroulée votre interpellation ?

Jean-Paul Ney :
Ce jour-là, Cazé me dit que je dois me rendre à un rendez-vous et il me restitue mon passeport, mes téléphones ainsi que mon billet d’avion. Je suis accompagné par l’un des gardes de la villa. Une fois arrivé au lieu de rendez-vous fixé, je tente de partir. Mon « garde du corps » qui était armé me dit aussitôt : « si tu bouges, je te tire dessus. »
Contrairement à ce qui a été rapporté dans la presse locale, je n’ai pas du tout été arrêté devant l’immeuble de la RTI, mais à la Cité Rouge. Les hommes du Centre de commandement des opérations de sécurité (Cecos) m’ont brutalement interpellé dans la rue, ainsi que l’homme de main de Cazé.
Le Cecos m’a remis aux gendarmes, qui m’ont fait passer un sale quart d’heure. J’ai finalement été embarqué dans un 4×4 par des individus en civil. Ils se sont occupés de moi pendant peut-être 24 heures (simulacre d’exécution, tortures…), c’était hors du temps. J’ai su plus tard que ma disparition avait duré quatre jours.

Afrik.com : A votre avis, qui est le commanditaire de l’opération « Noël à Abidjan » ?

Jean-Paul Ney :
Il n’y a aucun commanditaire. Cazé a monté l’opération tout seul, en se servant de ses contacts dans les services secrets ivoiriens. Il a joué sur deux tableaux. D’un côté, il a soutiré de l’argent à IB en lui faisant croire qu’il le ferait rentrer d’exil. De l’autre, il a également pris de l’argent à Gbagbo en promettant de lui livrer un mercenaire, moi en l’occurrence…

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