Afrik.com poursuit sa série de portraits d’afro-caribéens gay, régulièrement stigmatisés au sein de leur communauté en raison de leur homosexualité. A 67 ans, Jean-Claude Janvier est un homme libre. Le Martiniquais assume totalement son homosexualité. Mais avant de se libérer de ses vieux démons qui l’ont hanté toute une partie de sa vie, le chemin fut long. C’est finalement sa rencontre avec Dieu, et l’écriture de son premier roman en 2010, « Le fils différent », tiré de sa propre histoire, qui lui redonne goût à la vie. Portrait.
« J’ai toujours su que j’étais homosexuel ». Une telle phrase, il y a encore quelques années, Jean-Claude n’aurai jamais osé la prononcer. Son homosexualité était un sujet tabou. « Je me cachais constamment. Je mentais à mes collègues, mes amis, pour ne pas qu’on découvre qui j’étais réellement ». Mais ça c’était l’ancien Jean-Claude, qui se souciait du qu’en dira-t-on et était recroquevillé dans sa coquille. Aujourd’hui, c’est un homme de 67 ans, très actif à l’église, élancé, au corps très athlétique, qui en paraît 20 de moins, qui croque la vie à pleines dents. Visage apaisé, regard rieur, c’est d’un ton détaché, parfois même moqueur qu’il raconte ses mésaventures, comme s’il parlait d’un autre.
Ces démons qui l’ont hanté pendant des années, il a su s’en libérer dans un livre, Le fils différent (Edition l’Harmattan), qu’il a entamé en 2001 et mis plusieurs mois à écrire. « Ce livre m’a libéré. C’était une renaissance pour moi car, enfin j’étais capable de dire qui je suis », explique-t-il de sa voix posée. « Je suis un homosexuel, catholique pratiquant. Et Dieu m’aime comme je suis, avec mon homosexualité », renchérit de plus belle le sexagénaire. Je n’ai pas choisi d’être homosexuel, car choisir l’homosexualité, c’est choisir l’enfer ». Il tient beaucoup à son roman, qui lui a permis d’expier ses peines, ses mésaventures, mais surtout des années de souffrances liées à son homosexualité. Insultes, tentatives d’assassinat, sa dignité bafouée, ce livre contient une bonne partie de sa vie.
Souffre douleur
En Martinique, où il est originaire, il a en a morflé. Jean-Claude se souvient encore des attouchements qu’un employé de son père lui a infligé, alors qu’il n’avait que 13 ans. Il en a reçu d’autres ensuite avec le copain de son frère aîné. Il se souvient aussi du jour où un groupe de jeunes de son âge, posté au dessus d’une falaise, lui a jeté des grosses pierres, l’insultant de « pédé », alors qu’il était au bord de la mer, en pleine méditation. « J’ai bien cru que j’allais y passer. Pour me sauver, j’ai plongé dans l’eau et nagé jusqu’à la rive. » Il n’avait que 15 ans lorsqu’il a vécu cette mésaventure qui l’a profondément marqué.
Dans le quartier où il vivait, lui, cinquième enfant du côté de sa mère, et septième de son père, qui a eu d’autres unions, tout le monde savait. Même sa mère décédée en 2011, avec laquelle il a eu une relation fusionnelle, savait aussi que son fils était homosexuel. Un jour une voisine s’est empressée de dire à celle qui l’a mise au monde qu’elle l’avait aperçu sur la plage avec son premier amoureux. Des racolages loin de l’avoir affecté. Jean-Claude était son fils préféré et elle n’hésitait pas à le défendre contre tous pour le protéger : « Fichez-lui la paix à Jean-Claude, il n’a rien demandé à personne ! » Un soutien qui a également permis à Jean-Claude de ne jamais avoir rencontré de problèmes avec les autres membres de sa famille.
Famille dont il est le pilier aujourd’hui, il est celui que nièces, neveux, ou encore frères et sœurs appellent constamment pour régler tous leurs tracas. « Ils ont tous su tôt que j’avais une force et une capacité à rassembler tout le monde. Mais ses relations familiales n’ont pas toujours été douces », explique-t-il. S’il est très proche des différents membres de sa famille, Jean-Claude entretenait en revanche une relation conflictuelle avec son père, qui était pêcheur, et est décédé alors qu’il n’avait que 20 ans. « Mon père était un homme très autoritaire, très imbue de sa personne. Et comme j’étais le plus rebelle de la famille, nous ne nous sommes jamais entendus », raconte-t-il. Sans compter qu’il était aussi le souffre douleur de son frère aînée qui le martyrisait et n’hésitait pas à le rouer de coups à la moindre occasion. « Mon frère, il m’a pourri la vie. J’étais un enfant battu ».
« Nous avons vécu un amour fou »
Des épreuves de la vie qui forgent le jeune Jean-Claude. Il a même été contraint par son père de travailler à la pêche après le collège, car l’école n’était pas sa tasse de thé. Mais la pêche non plus n’était pas son dada. Il enchaîne alors les petits boulots, maçon, livreur de glaces, avant de décider de tout arrêter pour s’adonner enfin à ce qu’il aimait : l’art. Le jeune homme crée à 18 ans la première association folklorique de son quartier, où les jeunes se rencontrent, échangent, font des activités culturelles, telles que la danse. Le jeune homme ne laisse tomber ce projet que lorsqu’il s’engage au service militaire en métropole à 20 ans, puis reviens en Martinique, avant de repartir de nouveau en France, sous les conseils de sa mère, qui estimait qu’il serait plus heureux là-bas, loin des critiques dont il faisait l’objet en Martinique.
Jean-Claude débarque alors en plein mai 68 où les manifestations pour plus de liberté font rage. Il se souvient aussi de cette période où la police faisait régulièrement des descentes dans les clubs pour garçons, où il se rendait souvent. Après les souffrances vécues en Martinique, c’est finalement en métropole qu’il trouve son salut. Il enchaîne alors les petits boulots, puis devient facteur, avant de claquer la porte au bout de sept ans, fatigué de l’administration publique, et de « ses gens de petits esprits ».
Le mariage pour tous, un espoir pour les Antilles
Ce qui ne l’empêche pas d’entretenir des aventures, même féminines, puisqu’il tombe amoureux de Myriam, qui l’attirait par son allure de garçon manqué. Mais mon amour pour « elle s’est essoufflé ». Il s’en sépare. Jean-Claude a eu beaucoup de belles histoires d’amour dans sa vie. Mais il n’a eu qu’une véritable histoire avec un homme, qui a duré sept ans. Ce dernier vit toujours avec lui dans la capitale parisienne. Après 39 ans de vie commune, il estime que c’est son meilleur ami. « Nous avons vécu un amour fou alors que tout nous oppose. Mais j’ai préféré tout arrêter pour qu’on soit simplement amis. Nous avons un profond respect l’un pour l’autre.
Même s’il ne se mariera pas avec son compagnon, Jean-Claude estime que l’entérinement de la loi du mariage pour tous va changer la vie de beaucoup d’homosexuels. Ça va selon lui faire aussi beaucoup de bien aux Antilles.