J’ai été très attristé par la mort subite de Mongo Beti. Je l’ai apprise un peu tard, c’est-à-dire près de 48 heures après l’événement. J’ai néanmoins envisagé de faire le voyage pour assister à ses obsèques. Mais les choses se sont avérées plus difficiles que je ne le pensais, surtout lorsqu’on se trouve sur la côte ouest des Etats-Unis.
La dernière fois que j’ai rencontré Mongo Beti, c’était en 1994 lors d’un bref séjour à Yaoundé. Ma femme et moi sommes allés le voir dans sa librairie des Peuples Noirs. Ils nous a accueillis chaleureusement. Je lui ai dit que nous tenions à venir saluer sa décision héroïque d’être retourné en sa terre natale, après près de quarante années passées en exil; plus encore d’avoir monté une librairie aussi immense dans son pays. Il en était très flatté.
Comme geste symbolique, je me suis proposé d’acheter un livre dans sa librairie. Il m’est venu à l’esprit de choisir Un Si Long Chemin du franco-russe Henri Troyat, car ce livre retraçait une histoire commune à la vie d’exil que Mongo Beti avait connue. C’était en quelque sorte pour moi, une façon de lui rendre hommage. Il s’est trouvé qu’il n’y avait plus d’exemplaires du livre sur le rayon. Il s’est proposé d’en faire une commande spéciale…
Mongo Beti était un homme d’une foi inébranlable. Son engagement politique l’avait séparé des siens. Son exil avait fait le désespoir de sa mère. Son père, lui, est mort trop tôt pour savoir quel homme il avait engendré. Mais l’écrivain n’avait jamais oublié que c’est la misère de son peuple qui l’avait conduit à la politique. Elle avait allumé en lui une flamme qui ne s’éteindrait plus.
Je n’étais pas présent quand Cheikh Anta Diop, Julius Nyerere, Franco, ou Mbape Lepe étaient portés en terre. Pas davantage, je n’ai pu assister à la mise en bière de Mongo Beti. En revanche, je me suis rendu compte qu’au moins, après la disparition de cet grand homme, peut-être un jour pourrais-je dire à mes petits enfants que j’ai participé à la culture de sa mémoire, et à celles d’autres grands hommes d’Afrique.
C’est ainsi que j’ai mis en chantier la construction d’un site web*, une espèce de panthéon virtuel, à la mémoire de nos héros. Ce serait un site non-commercial où, avec la permission des familles des défunts, chaque disparu aura sa page, son espace du souvenir. A l’ère du virtuel, l’Internet, voyez-vous, ça peut aussi servir à entretenir une mémoire vive!
Regrets éternels.
Jacques Bonjawo