11h, ce vendredi 28 octobre 2010. A quelques heures du scrutin présidentiel du 31, Jacqueline Lohouess Oble, la seule femme en lice pour ces élections, prépare son ultime déplacement dans le cadre de la campagne électorale. Pour cette dernière journée, elle a choisi le Leboutou, précisément la ville de Dabou, à quelques heures d’Abidjan. Mais avant, la candidate a reçu Afrik.com dans sa résidence des Deux Plateaux, l’un des quartiers chics de la capitale ivoirienne. Interview.
De notre correspondante
Jacqueline Lohouess Oble sera-t-elle la première femme élue à la tête de l’Etat ivoirien ? L’interrogation n’a pas lieu d’être dans le camp de celle qui n’est pas une ordinaire représentante de la gent féminine ivoirienne. Pionnière, elle l’a déjà été en 1983 lorsqu’elle elle est devenu la première femme agrégée de droit privé en Afrique à l’issue du premier concours du Conseil africain et malgache pour l’enseignement supérieur (concours d’agrégation des sciences juridiques, politiques, économiques et de gestion) à Abidjan. Cette universitaire de 60 ans tutoie la scène politique depuis près de 30 ans. Ancienne ministre de la Justice sous Félix Houphouët-Boigny (1990-1993), députée (1995-1999) et officier dans l’Ordre national de la République de Côte d’Ivoire, son engagement politique s’inscrit dans la durée. Pour le scrutin du 31 octobre, elle entend renverser la tendance observée en faveur du trio des favoris baptisé BOG, (pour Bédié-Ouattara-Gbagbo, Henri Konan Bédié du Parti démocratique de Côte d’Ivoire, Alassane Ouattara du Rassemblement des Républicains et Laurent Gbagbo du Front populaire ivoirien/La majorité présidentielle).
Pour ce faire, l’exception féminine de ce scrutin présidentiel en Côte d’Ivoire ne s’est pas ménagée. Une journée de campagne commence dès 6 heures chez la candidate indépendante. Son téléphone crépite toutes les minutes. A l’autre bout, des délégués régionaux à l’affût de la moindre nouveauté concernant le programme de la journée qui commence. Faire face aux obligations tout en ne renonçant pas à sa féminité et ses obligations de chef de famille, son rôle depuis son veuvage. Avant chaque sortie, elle se fait une beauté et laisse les dernières instructions pour la maisonnée. Elle a d’ailleurs toujours réussi à concilier politique et vie familiale. Son cursus professionnel et politique, exemplaire, n’a en rien entaché ses rapports avec ses quatre filles et ses deux petites-filles. L’autre grand rôle de sa vie, c’est celui qu’elle endosse désormais : prétendante à la magistrature suprême ivoirienne.
Afrik.com : Première femme candidate à une présidentielle en Côte d’Ivoire, vous êtes une pionnière. Qu’est-ce qui a motivé votre candidature ?
Jacqueline Lohouess Oble : D’abord, je suis juriste de formation et la loi me donne un droit, j’en use. Jusque-là, c’était seulement les hommes qui se présentaient. J’ai estimé que pour cette élection de sortie de crise, je devais user de cette faculté et présenter un programme de société à mes compatriotes.
Afrik.com : Etant donné que c’est nouveau pour les Ivoiriens d’avoir une femme dans le rôle de future Présidente de la République, comment avez-vous été accueillie durant cette tournée dans le pays ?
Jacqueline Lohouess Oble : Partout où je suis passée, j’ai vu des femmes et aussi des hommes enthousiastes. Tout le monde se dit fatigué par la présence sur la scène politique des trois hommes (Laurent Gbagbo, Henri Konan Bédié, Alassane Ouattara, ndlr). Il nous faut quelqu’un de neuf… Bien évidemment, je ne peux pas faire l’unanimité puisqu’il existe des gens qui sont fermés à l’idée d’être « commandés » par une femme. Il y en a également qui considèrent qu’ils ont déjà leur candidat. Cependant, les réactions sont globalement positives.
Afrik.com : Quel bilan faites-vous de votre campagne ?
Jacqueline Lohouess Oble : C’est également un bilan positif. Ça m’a permis de revoir la Côte d’Ivoire toute entière. Je ne peux pas vous donner de chiffre mais je sais que pendant mes tournées, les Ivoiriens ont adhéré à ma démarche. A partir de ce moment, je me suis dit qu’il fallait continuer, leur donner cette chance. Ça vous a paru long parce que nous n’avions pas accès à la télévision. Les tournées que nous avons effectuées n’ont pas fait l’objet de reportages. Certains se sont même posé la question de savoir si j’étais encore dans la course…
Afrik.com : Au-delà du fait que vous êtes une femme, qu’est-ce qui fait de vous une candidate susceptible d’emporter ce scrutin ? Votre programme ?
Jacqueline Lohouess Oble : On ne peut pas aller à une élection sans faire de programme. D’ailleurs, une femme est une citoyenne comme tous les candidats. Le programme que j’ai proposé est dénommé « Plan ivoire de reconstruction’ ». Vous savez que nous arrivons de loin et pour repartir il faut que l’Etat joue son rôle régalien et intervienne beaucoup dans le secteur économique afin que la machine puisse redémarrer. Ne pensez pas que je vais accompagner les autres. En politique comme au football, il ne faut pas sous-estimer l’adversaire. Au début, c’est ce que les gens disaient, mais aujourd’hui allez leur poser la question, et vous verrez s’ils vous parlent toujours de la même manière…
Afrik.com : Dans le préambule de votre « Plan Ivoire de reconstruction », vous dites que votre candidature est un cri de révolte. Vous êtes une femme révoltée ?
Jacqueline Lohouess Oble : J’ai utilisé le terme ‘’cri de révolte’’ parce que quand je vois la société ivoirienne, la pente qu’elle a commencé à prendre, je me dis qu’il faut y mettre un terme, sinon on va se retrouver dans un ravin. Je ne voudrais pas de cela pour la Côte d’Ivoire, qui a tous les potentiels : ressources minières, pétrolières, agricoles, etc. Si le pays est bien géré, il n’y aura pas de problème économique. Raison pour laquelle j’ai mis au centre de mon programme, la bonne gouvernance. C’est-à-dire la lutte contre l’enrichissement illicite, contre la corruption, les détournements de deniers publics, le racket, etc. Aujourd’hui, on a commencé à accepter tous ces délits comme si c’était tout à fait normal. Moi, je dis non ! Ce n’est pas normal ! Il faut ramener les Ivoiriens sur le droit chemin.
Afrik.com : Dans le cadre de votre Plan Ivoire, vous parlez d’instaurer un Etat fort. Est-ce à dire qu’il n’y en a pas en Côte d’Ivoire ?
Jacqueline Lohouess Oble : Aujourd’hui vendredi, allez dans les bureaux, à 9h ou 10h, il n’y a plus personne. A partir de jeudi, on va assister à des funérailles. C’est un peu l’indiscipline généralisée. C’est ce que nous allons changer et même en moins de 5 ans. On ne va pas continuer comme ça. Quand les élections se seront déroulées et qu’une majorité se sera dégagée en faveur de telle ou telle personne, celle-ci aura la légitimité pour travailler. Autrement, ce n’est pas la peine d’aller aux élections si rien ne doit changer.
Afrik.com : Aujourd’hui, certains candidats tiennent des discours guerriers sur les antennes. Qu’est ce que vous en pensez ?
Jacqueline Lohouess Oble : Dès que j’ai déposé ma candidature, j’ai parlé de campagne civilisée parce qu’en définitive, nous sommes tous frères et sœurs. Tous autant que nous sommes, nous connaissons les problèmes de ce pays. Ce que les populations attendent de nous, c’est qu’on leur propose des solutions. Et pour les proposer, on n’a pas besoin de se dénigrer. Jusqu’il y a quelques jours, les choses se passaient bien. Mais la situation s’est détériorée ces derniers jours. Il appartient à la CEI (Commission électorale indépendante, ndlr) de rappeler les uns et les autres à l’ordre et de faire en sorte que nous allions à des élections apaisées et qu’après les votes, chacun reste chez soi en attendant la proclamation des résultats. J’ai pris l’engagement de respecter le résultat des urnes.
Afrik.com : Pensez-vous qu’il en sera de même pour certains partis politiques qui s’estiment d’emblée majoritaires ?
Jacqueline Lohouess Oble : Vous dites bien qu’ils se croient majoritaires. Mais ça ne se détermine pas comme ça, la majorité. Ça se détermine dans les urnes. Après les élections, nous verrons bien qui est grand ou qui est petit. Ils se font peur à eux-mêmes. D’ailleurs, c’est la raison pour laquelle j’ai décidé de faire cavalier solitaire. Car ils ne s’entendront pratiquement jamais. Les intérêts sont tels que chacun veut s’arroger la victoire. Lors du débat diffusé sur Africa 24 (chaîne panafricaine, ndlr), le jeudi 28 octobre, Blé Goudé (Président du Congrès panafricain des jeunes patriotes – Cojep – proche du Président sortant Laurent Gbagbo, ndlr) et Hamed Bakayoko (ancien ministre RDR, Rassemblement des Républicains, le parti d’Alassane Ouattara, ndlr) ont failli en venir aux mains. Si nous voulons la paix définitive, la personne pour qui il faut voter c’est bien moi, Jacqueline Lohouess Obles.
Afrik.com : Quels sont vos rapports avec le BOG (Bédié, Ouattara et Gbagbo) ?
Jacqueline Lohouess Oble : Quand on se voit, je leur dis bonjour et je passe mon chemin.
Afrik.com : Dans l’hypothèse où la candidate Jacqueline Obles tombe au premier tour. Au second, à qui donnera-t-elle ses voix ?
Jacqueline Lohouess Oble : Les favoris n’arrivent pas forcément au terme de la course. Les gens me minimisent, mais je pense que je serai au second tour. Vous êtes surprise ! (Rires). Quand je regarde le paysage politique, je doute fort que quelqu’un puisse avoir la majorité absolue au premier tour. Maintenant, s’il n’y a pas de majorité absolue et si je suis parmi les deux qui continuent, j’irai voir les autres pour négocier avec eux sur la base de leurs programmes et du mien. Dans tous les cas, ce sont les électeurs qui décideront.
Afrik.com : Restons sur le thème de la voix. Cette voix masculine qui est la vôtre n’a-t-elle pas finalement été un atout dans la pratique de la politique qui demeure une affaire d’homme ?
Jacqueline Lohouess Oble : Je ne sais pas, c’est Dieu qui en a décidé. Ma voix est particulière. Pour la petite histoire, quand j’étais au lycée à Bingerville (établissement reconnu situé à Bingerville, à quelques kilomètres d’Abidjan, ndlr), lorsque les autres bavardaient en classe, on ne les entendait pas, contrairement à moi. L’instituteur venait les dimanches pour surveiller les colles et je passais tout mes dimanches à écrire ‘’Je ne bavarderai pas en classe’’. Ma voix a fini par me complexer : on trouvait toujours que j’avais une grosse voix. Il a fallu que je sois doyen à l’université pour que cela disparaisse à la suite d’une conférence en Algérie. Après ma première intervention, un Suisse m’a dit : « Madame, vous devriez intervenir plus souvent parce que vous avez une si belle voix ». Devenue ministre de la Justice, j’ai reçu des Occidentaux et à la fin de notre entretien, ils ont rencontré un de mes collègues à qui ils ont confié : « Nous venons de rencontrer le ministre de la Justice. Mon Dieu, qu’est-ce qu’elle a une belle voix ! ». Je me suis dit que c’est peut-être les Africains qui ne savent pas apprécier la beauté de ma voix.