L’apprentissage : J comme Joie. Un livre sur Internet, sous forme d’abécédaire, pour dire en 100 mots comment la France adopte ses enfants de migrants. Véritable « Lettres persanes » du XXIe siècle, l’initiative de la journaliste/auteur Nadia Khouri-Dagher a séduit Afrik.com qui a décidé de vous offrir deux mots par semaine. A savourer, en attendant la parution du livre courant 2007.
De A comme Accent à Z comme Zut, en passant par H comme Hammam ou N comme nostalgie, 100 mots pour un livre : L’apprentissage ou « comment la France adopte ses enfants de migrants ». Une oeuvre que la journaliste/auteur Nadia Khouri-Dagher a choisi de publier d’abord sur Internet. Un abécédaire savoureux qu’Afrik a décidé de distiller en ligne, pour un grand rendez-vous hebdomadaire. Une autre manière d’appréhender la littérature… |
J
Joie
Retour abécédaire
Pour Rayda Jreissati
Ma cousine Warda est toujours de bonne humeur – et pourtant elle vit en France, en banlieue parisienne, depuis cinq ans, très loin de son Caire joyeux. Chez nous en Orient, la bonne humeur est l’une des formes du savoir-vivre. La gaieté, le sourire, sont ce qui fait le charme de nos pays. C’est parfois notre gagne-pain, aussi : c’est pour ces visages gais que les touristes étrangers aiment venir chez nous, et certains pays ont même fait de notre atavique sourire leur slogan touristique.
Oh ce n’est pas que nous ayons moins de problèmes que les autres, par exemple nos amis français de France. Les hommes, les femmes, et les enfants qui vivent au Sud de la Méditerranée, ont même souvent des vies plus difficiles que ceux installés au Nord. Les employés d’hôtel des hôtels de luxe de Marrakech, de Hammamet ou de Louxor, les serveurs et les marchands, que les touristes européens unanimes trouvent si gentils si souriants si aimables, gagnent souvent des salaires de misère.
Mais chez nous sourire est une politesse par rapport à la vie : se plaindre, râler, comme nous l’avons vu faire pour la première fois en débarquant en France, est considéré comme choquant dans la culture arabe. Se plaindre pour nous, ce n’est pas noble. Ce n’est pas beau. Ce n’est pas dans notre tempérament.
Mais l’optimisme et la gaieté n’est pas monopole de l’Orient, comme l’illustre Blaise Cendrars dans ce poème que j’aime:
Nous ne voulons pas être tristes
C’est trop facile
C’est trop bête
C’est trop commode
On en a trop souvent l’occasion
C’est pas malin
Tout le monde est triste
Nous ne voulons plus être tristes*
La joie n’est pas un caractère inné. C’est une philosophie de vie. En Orient nous l’apprenons naturellement, immergés depuis le berceau dans un milieu joyeux. Voilà pourquoi cette joie, nous l’emmenons naturellement avec nous en arrivant en France. Voilà pourquoi elle peut survivre à cinq ans d’expatriation – à tout une vie, expatriés en France.
* Sud-Américaines, dans Blaise Cendrars, Au cœur du monde, Poésies complètes 1924-1927, Gallimard, 1968.