Le Libanais Issa Ghandour et son groupe, The Madina Band, reprennent dans Darwish (Forward Music /Distr. DOM) quelques uns des succès du célèbre chanteur égyptien.
Sayyed Darwish (1892-1923) est considéré comme le père de la musique populaire égyptienne. Ses chansons sont devenues des “tubes”, et désormais des classiques, connus de tous, petits et grands, en 2010, et chantés dans toutes les fêtes de famille, les réunions d’amis, les autobus ou les trains, à l’instar de la popularité de chansons qui semblent éternelles aujourd’hui comme “L’amant de St Jean” ou “Le temps des cerises” – et encore plus chantées et connues que ces dernières en France, car dans les pays arabes on chante encore beaucoup.
Le Libanais Issa Ghandour, et l’excellente maison de disques libanaise Forward Music, nous offrent ici une sélection de quelques-unes des chansons les plus connues du génial compositeur égyptien. Né dans un quartier pauvre d’Alexandrie, Sayyed Darwish commence à chanter dans les cafés, sans succès. Il part alors pour le Caire, où il se met à composer la musique d’opérettes, genre très prisé à l’époque, et qui devait s’épanouir plus tard sous la forme des célèbres films musicaux égyptiens. On lui doit également une vingtaine de muwashahats, ces compositions classiques. Et en 1979, l’Egypte adoptera sa chanson “Biladi, biladi, biladi” (Mon pays) comme hymne national.
«Sayyed Darwish est devenu une icône symbolisant le progrès, la modernité et le passage de la “Musique Orientale”, une musique élitiste faite pour les Pachas (…) à la “musique égyptienne, la première expression singulière de l’âme d’un peuple et de ses aspirations», expliquait le musicologue Frédéric Lagrange dans le livret du disque anthologique édité en 1994 par le label AAA (Artistes arabes associés, aujourd’hui disparu), et qui reprenait les enregistrements originaux du maître. Car Sayyed Darwish, né dans un milieu populaire, et dans la ville éminemment cosmopolite qu’était l’Alexandrie coloniale, a été frotté dès son enfance aux musiques italiennes, grecques, classique européenne, etc., plus présentes dans la ville que la musique classique arabe, qui ne s’écoute que dans des concerts fermés.
Des compositions novatrices
La plupart de ses compositions peuvent être transcrites pour piano, relèvent les spécialistes, autrement dit, mis à part quelques parties de voix où des ornements orientaux sont de mises, l’écriture musicale est considérablement simplifiée, par rapport aux subtils quarts de ton de la musique classique arabe. En outre, alors que cette dernière accorde une large place à l’improvisation, Darwish s’aligne sur les normes européennes en supprimant les possibilités d’improvisation, et en notant toutes les nuances: même les légendaires soupirs en “Aaah… Aaah…” poussés dans la chanson arabe, et qu’Om Kalthoum aura fait connaître au monde entier, sont inscrits sur la partition ! Dans ses opérettes et opéras, Darwish utilise un orchestre occidental, dirigé par son ami Il Signore Casio, et non le traditionnel “takht”, petit ensemble de musique arabe, ouvrant ainsi la voie aux grands orchestres égyptiens qui mêlent instruments des deux traditions, et qui perdurent à ce jour (Youssou N’Dour a enregistré son album “Egypte” avec l’un d’eux).
Enfin, Darwish sera le premier à faire chanter à deux chanteurs deux mélodies différentes, comme dans un dialogue d’opéra italien, rompant historiquement avec le chant à l’unisson de la musique arabe. Vous retrouverez donc ici les grands classiques – que vous avez peut-être déjà chanté ou entendu mille fois – “Zourouni”, “Teleat ya mahla noura” (ya shams, ya shammoussa….), ou encore “Salma ya salama”, devenu célèbre en France lorsque Dalida, qui était née à Alexandrie d’une famille italienne, le chanta…
A noter: sous leurs allures bon enfant de chansons faciles à chanter, les textes de ces chansons portent des messages sociaux et politiques, en ces temps de lutte pour l’Indépendance. Amusez-vous donc à retrouver, ici et là, des “petites phrases” comme “Ni l’Europe ni l’Amérique: il n’y a pas plus beau que mon pays” ou encore “les Européens ne dorment jamais, et ils ont oublié comment prier”, allusion aux fêtes et aux excès de bien des expatriés dans ces villes de tous les plaisirs qu’étaient l’Alexandrie ou Le Caire coloniales. Plaisirs que ne méprisait pas Darwish, inséparable de son parolier Badii Khairi, et qui mourra à 31 ans d’une overdose de morphine…
Issa Ghandour & The Madina Band, Darwish, Forward Music (Liban)/ Distr. DOM.
Le site d’Issa Ghandour
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