Après avoir évoqué son parcours, mais aussi une tranche de l’histoire du football camerounais, Ismaël Pierre Bep est également revenu sur les difficultés des anciens footballeurs, dont il défend les ingtérêts. Dans cette seconde partie de l’entretien, l’ancien Lion Indomptable interpelle Samuel Eto’o Fils.
Entretien de notre Envoyé spécial au Cameroun,
Parlons un peu des difficultés que rencontrent les anciens footballeurs camerounais. Par exemple, il est clair que les joueurs de 70 jusqu’à 90 n’ont pas les mêmes chances que les jeunes d’aujourd’hui, qui parviennent à signer de gros contrats en Europe ou ailleurs…
A l’époque, on ne parlait même pas de rémunération, on jouait pour l’amour de la patrie. Après, ce sont des gens qui sont venus dans le milieu du football, alors qu’ils n’ont aucune parenté avec ce sport, qui ont donc trompé tous ceux qui avaient ce patriotisme. Je vous dis que ça existe même jusqu’à présent. J’aurai pu vous donner des noms, mais je ne vais pas le faire. Il y a des joueurs qui ont gagné beaucoup d’argent dans leur carrière de footballeur professionnel, mais aujourd’hui cela ne se voit pas. Je suis syndicaliste et je défends les doléances des anciens joueurs du Cameroun. C’est nous qui avions commencé à rehausser les plus anciens. Mais, comme je le dis toujours, cette situation n’est pas vécue qu’au Cameroun.
Avez-vous envisagé une rencontre avec l’actuel président de la Fédération de football (FECAFOOT), Samuel Eto’o Fils, pour régler la situation des anciens footballeurs camerounais ?
Il (Eto’o) a été reçu au SYNAFOC, le Syndicat national des footballeurs camerounais. Il est venu présenter son projet et nous l’avons soutenu. Maintenant, nous attendons le retour de l’ascenseur. On s’était même brouillé avec ceux qui ne comprenaient pas. Beaucoup d’anciens joueurs qui sont devenus des entraîneurs émérites ont eu l’appui de ce syndicat. Nous avons résolu plusieurs questions à travers la Fondation Roger Milla. Il était bien avec Sepp Blatter à l’époque. Ses diplômes sont reconnus par la FIFA, la CAF et la Fédération camerounaise de football. Beaucoup d’anciens joueurs se sont reconvertis en entraîneurs de différentes catégories grâce en partie au syndicat.
Nous avons aussi formé des commissaires de match, des jardiniers pour entretenir les gazons. Ils sont partis en stage au Congo et même en Côte d’Ivoire. Il y a beaucoup de métiers dans le football, mais comme les gens ont géré sans avoir de parenté avec le football, ils ont fait venir des travailleurs de l’extérieur. Si on permettait aux anciens joueurs de faire ces petits boulots à côté, ils pourront mieux préparer leur retraite. Il y a du travail dans le football, mais les footballeurs sont à l’étroit. C’est cette situation que nous voulons combattre, en tant que syndicalistes.
Le championnat camerounais est-il aujourd’hui professionnel ?
Non ! Il est professionnel sur le papier, mais dans la pratique, ce n’est pas le cas. J’étais professionnel quand je jouais à l’Union de Douala, parce que je j’étais un chouchou, je travaillais… Je travaillais dans une grande compagnie aérienne.
Le constat est qu’il y avait beaucoup d’intellectuels dans les rangs des anciens joueurs, contrairement à ceux d’aujourd’hui. On constate même que beaucoup d’entre eux abandonnent très tôt les études. Quelle lecture faites-vous de cette situation ?
Vous avez parfaitement raison. RC’est d’ailleurs pour cela que nous sommes en train de révolutionner le sport-étude. Celui qui ne sait pas lire et écrire, il fait du pilotage à vue. Beaucoup de jeunes avaient laissé tomber les études pour le football, quand ils ont vu le rayonnement de Samuel Eto’o. Mais, il y a des documents qu’il faut remplir, et quand on ne sait pas lire ni écrire, il y a des risques. Je suis instituteur à l’école de football des Brasseries du Cameroun, à Douala. Là où le projet est focalisé sur le sport-étude. Là-bas, quand un enfant ne passe pas en classe supérieure, on le renvoie tout simplement. Ce qui fait que tous font des efforts pour se concentrer aussi sur les études en même temps que le football.
Quels sont les grands noms qui sont sortis de votre école de football des Brasseries du Cameroun ?
Pratiquement tous les grands noms du football contemporain du Cameroun. Mais, le plus grand est Samuel Eto’o. C’est un produit de l’école de football des Brasseries du Cameroun. Tous ces anciens que vous voyez, les Geremi Njitap, Rigobert Song, Salomon Olembe, Jean II Makoun… Tous les noms qui ont chauffé les années 95 à 2002 sont issus de l’école de football des Brasseries. S’il y a eu 100 joueurs qui ont percé, au moins 80 sont des produits de l’école de football des Brasseries du Cameroun.
Que pensez-vous du niveau de la Coupe d’Afrique des nations 2022 ?
Il y a quelque chose de particulier, car cette Coupe nous ressort l’importance de la formation. *Ce que les gens considèrent comme des surprises, je l’avais vu venir. Je ne suis pas surpris. Il y a aussi les binationaux, il y a des Fédérations qui passent tout leur temps à prospecter partout comme le Gabon. Il n’y pas de championnat au Gabon, mais il faut voir leur équipe nationale, parce qu’ils ont fait un regroupement. La Guinée Equatoriale, c’est pareil. Il n’y pas de championnat là-bas, mais elle a rassemblé des joueurs qu’ils ont prospectés un peu partout. Il suffit qu’ils aient une affinité avec la Guinée Equatoriale, ils répondent à l’appel.
Voilà un autre aspect du football. Mais, ce qui m’intéresse le plus, c’est la formation, comme le font la Gambie, le Mali… Ces équipes sont en train de démontrer qu’il ne faut pas dormir sur ses lauriers comme le fait par exemple le Cameroun. Je sais que lui (Toni Conceiçao), il est en train de jouer ses dernières heures, à la tête de la sélection du Cameroun. Même les binationaux sont en train de prendre leurs distances vis-à-vis du Cameroun, avec tout le scandale autour de son football. Ils hésitent, sinon comment expliquer qu’un des meilleurs défenseurs de la planète, Joël Matip, ne joue pas la CAN. Il devrait être là pour jouer avec le Cameroun, mais avec tout ce qu’il a subi, ça l’a traumatisé et il s’est retiré.
Que pensez-vous des prestations des superstars africaines dans cette CAN, à savoir l’Algérien Riyad Mahrez, le Sénégalais Sadio Mané et l’Égyptien Mohamed Salah ?
Il y a par exemple Mohamed Salah qui a un peu montré quelque chose, mais on attend encore de Sadio Mané, parce que jusque-là, il ne s’est pas encore distingué. Pour moi, les grandes stars ne se sont pas imposées, ce sont les stars moyennes comme le capitaine de la Guinée, Naby Keïta, qui se sont illustrées. Quand je vois le jeune gambien Ablie Jallow, ils sont sur le terrain en train de porter le collectif. Ça nous donne de l’espoir que le football africain renaît. Il renaît. Ce n’est pas un football qu’on a torpillé. Il y a aussi les entraîneurs locaux dont il faut saluer la volonté. Quand je vois par exemple Kaba Diawara que tout le monde a vu raccrocher les crampons, pour le costume d’entraîneur. C’est aussi ça la reconversion. Et c’est important.
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