Le sculpteur sénégalais Ismaël Niang expose en Belgique. Occasion de découvrir l’oeuvre d’un jeune artiste atypique qui véhicule l’humanisme de l’Afrique où solidarité et bon sens se conjuguent à la même personne. Portrait.
Le front est haut, les pommettes taillées au couteau sur un visage où viennent s’incruster deux pupilles perçantes. Les mains sont noueuses, les doigts marqués sans doute par les accidents de burins : ainsi ce pouce qui se plie comme la jambe d’une poupée désarticulée. La condition de sculpteur sur pierre se lit sur chacune des facettes de la silhouette d’Ismaël.
Il a été sélectionné avec une quinzaine d’autres artistes à la septième rencontre internationale de sculpture au musée de la Pierre à Sprimont (Belgique).
Dakar, corniche Ouest
Une première internationale pour ce natif du Sénégal de 37 ans qui a troqué en 1991 le pinceau pour le marteau et le ciseau. Pourquoi ? Simple : » J’ai vu un ami travailler la pierre. Le plus de la sculpture, se sont les sensations suggestives. On peut tourner autour de l’oeuvre ».
Très vite, Ismaël fréquente les ateliers de la corniche Ouest de Dakar. Un lieu connu pour abriter un collectif de sculpteurs où création et transmission d’un savoir faire se mêlent. Pour Ismaël Niang comme pour beaucoup d’autres ce sera d’abord un lieu d’apprentissage, ensuite un lieu de travail. » Le temps de formation n’y est pas fixe. Cela dépend de l’intelligence et de la créativité de l’apprenti sculpteur. Pour moi ça a été deux ans « , précise Niang dans une moue circonspecte.
Dans un pays où la sculpture aiguise encore les susceptibilités religieuses sur fonds de tabous iconoclastes, Ismaël Niang va travailler quatre ans avant de se tailler à la force du burin une oeuvre et une réputation. Il entre dans le club de l’ANAPS (Association nationale des artistes et plasticiens du Sénégal) et en 1995, expose pour la première fois chez la peintre Anne Matieu, rue Kelber à Dakar. Suivront quatre expositions annuelles. Son travail plaît. Il vend. Dans les réseaux de diplomates, puis en Europe.
Combler les espaces vides
» Les Sénégalais n’ont majoritairement pas les moyens d’acheter de l’Art. Ils ont d’autres priorités. Mais les Européens sont sensibles à la sagesse populaire de Dakar dont mon travail s’inspire « , fait-il valoir d’une voix hésitante. Alors que tant de plasticiens se perdent dans les étiquettes (figuratif, non figuratif, d’où vient le vent…), Niang affirme la fonction décorative de son travail ( » Tout ce que je veux, c’est combler les espaces vides, les jardins par exemple. « ), modestie d’artisan, ambitions de faiseur de sens : » Mes oeuvres doivent participer à l’environnement tout en véhiculant des valeurs éducatives pour ceux qui passent devant elles « . Ainsi le » Cri masqué « , oeuvre toute en tension contenue : » Les gens d’ici sont stressés. Ils veulent crier, mais ils ne le font pas. Pourtant tu le vois sur leur visage « .
Ainsi » Défense d’une vie » où l’oeuf repose sur une corne, symbole de la force, évoque la solidarité entre forts et faibles : » Les gens de mon peuple sont humains parce qu’ils s’unissent. Il arrive que le travail d’une seule personne nourrisse toute une famille. Quand les gens se séparent, il n’y a plus de raison. Oublier que l’entraide fait avancer le monde, qu’on arrive avec rien et qu’on repart avec rien, c’est cela l’individualisme, l’insensé « . Omniprésence de la femme et de l’allaitement qui incarnent plus encore ce relais vital entre les hommes. Ce que l’homme africain fait avec les siens par devoir, la femme le fait par amour.
Admiratif, Niang confie : » Elles savent d’instinct que l’important c’est de participer à l’humanité. Etre acteur du monde, pas figurant. Moi je sculpte pour le comprendre « .