Label Beauté Noire (LBN). Tout un programme qui a pris la forme d’une association de consommateurs née des dégâts de la dépigmentation volontaire. La mairie de Paris a lancé une campagne de sensibilisation contre cette pratique dangereuse dans trois arrondissements de la ville. LBN y est associé. Sa présidente-fondatrice Isabelle Mananga-Ossey revient sur la raison d’être d’une association qui milite pour des produits cosmétiques de qualité pour les peaux noires.
Rencontre avec une « combattante de la beauté ».
Isabelle Mananga-Ossey est devenue, presque malgré elle, une passionaria de la cosmétique pour peaux noires du fait de son intérêt pour les méfaits de la dépigmentation volontaire. Son engagement politique, au sens premier du terme, semble pourtant héréditaire si l’on s’en tient au milieu dans lequel est a évolué. Ses parents étaient diplomates et sa mère fut la première femme diplomate du Gabon. Celle qui aime « avancer sur des propositions concrètes » a trouvé dans la cosmétique pour les peaux noires, un vaste chantier. Beaucoup est à faire, semble-t-il, pour établir les bases d’une offre de qualité. C’est la raison d’être de l’association Label Beauté Noire (LBN). Diplômée en marketing et communication, elle se mettra très vite à son propre compte comme consultante, avant de se lancer dans le militantisme associatif en 2004. Elle est la présidente-fondatrice de l’association qui prend part à la campagne contre la dépigmentation lancée jeudi dernier par la mairie de Paris et menée dans les 10e, 18e et 19e arrondissements qui seraient « les plus touchés ». Dans ce cadre, l’association organise ce vendredi une journée d’information sur l’industrie cosmétique.
Afrik.com : La création de l’association Label Beauté Noire est un pur hasard, semble-t-il ?
Isabelle Mananga-Ossey : J’ai effectivement été interpellée, à Evreux, en 2003 par des femmes qui avaient été brûlées par des crèmes éclaircissantes fabriquées par une pharmacienne de la ville. Elles m’ont demandé de leur servir de médiateur avec la pharmacie à qui j’ai demandé si elle avait eu les autorisations pour fabriquer de tels produits. Sans réaction particulière de leur part, nous nous sommes rendues à la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Tout consommateur a le droit d’y faire appel quand il se sent abusé. Avec nous, les produits incriminés, le nom de la pharmacienne, des documents pour évaluer leurs effets secondaires. J’ai parallèlement fait appel à un dermatologue, le Dr François Ruto, qui a reçu les 5 personnes concernées. Un an plus tard, aucune suite n’avait été donnée à notre affaire au niveau de la direction des Fraudes. Je leur ai demandé pourquoi rien n’a été fait. Je m’étonnais que la pharmacienne, qui avait pignon sur rue, n’ait pas été inquiétée. Je me suis vraiment énervée et le nombre de victimes s’était entretemps étoffé, au moins une dizaine. Et toutes noires, de quoi se poser des questions. La seule réponse que l’on m’ait faite alors pour expliquer ce silence : « Vous n’êtes pas une association ». C’est ainsi que l’association de consommateurs Label Beauté Noire est née en avril 2004, avec notamment le soutien de la ville d’Evreux.
Afrik.com : La lutte contre la dépigmentation volontaire est l’une de vos priorités ?
Isabelle Mananga-Ossey : Le problème existe depuis toujours. C’est un enjeu de santé publique qui n’a jamais été signalé ou considéré comme tel jusqu’à récemment. Quelques rares dermatologues tels François Ruto, à Evreux, Antoine Mahé, à l’hôpital de Meaux, Antoine Petit à l’hôpital Saint-Louis, qui collaborent à la campagne qu’a lancée la mairie de Paris, travaillent sur la question et traitent les victimes. Ils sont saturés. La prise en charge des malades doit être démocratisée. En amont de cette campagne parisienne, des formations à l’intention des médecins généralistes ont été ainsi organisées pour les sensibiliser aux conséquences de la dépigmentation. Car ils peuvent voir des symptômes sans arriver à faire le lien. Ils ne sont donc pas en mesure de soigner correctement leurs patients.
Afrik.com : Que pensez-vous de l’initiative parisienne à laquelle vous avez été associée ?
Isabelle Mananga-Ossey : La campagne parisienne est une première en France. La prochaine étape est de mettre en place une campagne nationale. On sait que les UV sont cancérigènes. Une campagne de prévention a été mise en place pour que les Français fassent attention. Il peut en être de même pour la dépigmentation volontaire. Le ministère de la Santé est sensibilisé à la question. Nous sommes son interlocuteur référent en la matière. L’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps), en charge de la sécurité des produits cosmétiques, nous a demandé de réaliser des fiches de cosmétovigilance à partir des témoignages des victimes. C’est fait. La DGCCRF a commencé à faire des dosages sur les produits incriminés. Ce sont des signes encourageants.
Afrik.com : Comment expliquez-vous ce phénomène ?
Isabelle Mananga-Ossey : Les causes de la dépigmentation nécessitent une approche pluridisciplinaire. Complexes, discrimination, mode… plusieurs raisons expliquent un phénomène mondial. En Afrique, par exemple, on se dépigmente aussi bien au Sud du Sahara que dans le Maghreb. La blancheur est un canon de beauté comme un autre. Ce qui fait parfois de la dépigmentation volontaire quelque chose de normal, même parmi la jeune génération, notamment les 15-30. En France, les lycéennes se dépigmentent par exemple parce qu’elles veulent ressembler aux stars américaines Beyoncé ou Rihanna.
Afrik.com : La lutte contre la dépigmentation ne doit donc pas être l’occasion de stigmatiser les populations d’origine africaine, parce qu’elles sont noires. Le phénomène existe aussi en Asie…
Isabelle Mananga-Ossey : Notre priorité a toujours été la sensibilisation et non la stigmatisation. Je n’ai pas envie, moi, de montrer les femmes noires du doigt quand il s’agit de cette problématique. L’Asie est le continent où l’on se dépigmente le plus : les Japonais, les Indiens, les Pakistanais… Nous sommes sur une thématique internationale. Avant de rencontrer des personnes qui se dépigmentaient et que nous recevons, suivons, écoutons et dirigeons aujourd’hui vers les spécialistes au sein de LBN, je ne savais pas que j’allais assister à tant de souffrance. J’étais une militante acharnée et catégorique contre la dépigmentation. J’en suis revenue. Les personnes qui viennent ont été suffisamment indexées. On doit désormais les aider.
Afrik.com : Cependant, la démarche de Label Beauté Noire va au-delà de la dépigmentation. L’idée c’est aussi de créer un label de qualité pour les produits cosmétiques qui sont proposés aux populations noires ?
Isabelle Mananga-Ossey : Les produits qui sont utilisés pour se dépigmenter sont soit détournés de leur usage premier, les corticoïdes, soit interdits sur le marché européen de par leur composition. C’est le cas de ceux qui contiennent des mercuriels, certains ont été saisis récemment par la police, ou de l’hydroquinone à plus de 2%. Pourquoi serions-nous les seuls à devoir nous contenter de produits corrosifs achetés à la sauvette, qui ont des effets secondaires, alors que le recours à plus soft est possible ? Ce constat est à l’origine de la volonté de créer une charte de la qualité qui sera soumise aux fabricants. Que veulent les femmes qui se dépigmentent ? Un teint éclatant et unifié. Il y a des gammes de qualité qui existent pour parvenir à ce résultat sans risquer des brûlures irréversibles, une insuffisance rénale, des cancers de la peau ou encore le diabète. Il existe bien des produits pour enlever les tâches qui sont sans danger et qu’on utilise quelle que soit sa couleur de peau. Il y a une véritable demande de développement de produits pour « éclaircir », ce qui signifie au sens propre, « donner de l’éclat » à la peau. Je participe aux congrès de la Cosmetic Valley, le premier réseau mondial de la cosmétique et de la parfumerie, et j’ y insiste sur le fait que plusieurs populations françaises sont mises de côté. Nous représentons un vrai marché, et les professionnels en sont conscients. LBN veut promouvoir des « consommacteurs », un état d’esprit qui permet de responsabiliser l’individu par rapport à sa consommation. Pourquoi acceptons-nous par exemple que nos produits cosmétiques soient vendus entre le manioc et la banane ? Avec l’association, nous souhaitons également valoriser des produits multiculturels, des actifs qui viennent d’Afrique et qui y sont traités, comme le karité, le jojoba et bien d’autres, et que les recettes d’antan, qui ont fait leurs preuves au fil des siècles, soient mises en valeur et largement diffusées.
Afrik.com : Vous organisez ce vendredi 13 novembre, dans le cadre de la campagne parisienne, une journée d’information sur la législation encadrant l’industrie de cosmétique…
Isabelle Mananga-Ossey : Nous avons organisé une journée à la fois conviviale et instructive autour de la beauté. De 11 à 14h, ce sera des sessions-conseils, des tests produits proposés aux consommatrices. Puis la seconde partie de cette journée sera animée par des professionnels, comme Antoine Mahé, qui informeront les participants sur les règles qui régissent l’industrie cosmétique. Former des « consommacteurs » passe par ce type d’action.