Invalidation de leurs candidatures : là où Ousmane Sonko et Karim Wade ont failli


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Ousmane Sonko et Karim Wade
Ousmane Sonko et Karim Wade

Le Conseil constitutionnel a publié, samedi soir, la liste des 20 candidats retenus pour prendre part à la Présidentielle du 25 février 2024. Les Sénégalais ont juste pu constater la confirmation de l’invalidation de la candidature du principal opposant, Ousmane Sonko. Mais, celle de Karim Wade s’est ajoutée au lot des candidatures rejetées.

Les Sénégalais connaissent désormais les noms des candidats devant prendre part à l’élection présidentielle du 25 février 2024. Ils sont au total 20 prétendants au nombre desquels naturellement, le Premier ministre et dauphin de Macky Sall, Amadou Ba, les anciens Premiers ministres Mahammed Boun Abdallah Dionne et Idrissa Seck, l’ancien maire de Dakar, Khalifa Sall, ou encore Bassirou Diomaye Faye, le numéro 2 du Pastef. Le Conseil constitutionnel a tout simplement confirmé l’invalidation de la candidature de l’opposant Ousmane Sonko. Celle de Karim Wade, acceptée dans un premier temps, a finalement été rejetée également.

On savait que le régime de Macky Sall est coutumier de la mise à l’écart des candidats susceptibles de perturber ses plans à chaque élection présidentielle. Karim Wade et Kahlifa Sall en ont fait les frais, en 2019, sous des motifs judiciaires. Ousmane Sonko, arrivé troisième en 2019, savait qu’il devenait une menace pour le régime de Macky Sall.

La grosse bourde d’Ousmane Sonko

Avec le temps, Ousmane Sonko a vu sa cote de popularité monter en flèche auprès de la jeunesse sénégalaise. Il est progressivement devenu l’opposant le plus redoutable au régime du Président Macky Sall. Le seul capable de bouleverser les plans du Président sortant qui veut, avant tout, positionner son dauphin. Et ça, aussi bien Ousmane Sonko que Macky Sall le savaient très bien. Mieux, Ousmane Sonko n’ignorait pas que Macky Sall contrôlait l’appareil judiciaire comme c’est d’ailleurs le cas dans la plupart des “démocraties” africaines. En Afrique, la justice peut être une redoutable arme du pouvoir pour abattre les opposants.

Connaissant les cas de Khalifa Sall et Karim Wade, Ousmane Sonko devait savoir qu’il marchait sur des œufs et éviter les déclarations polémiques ou à l’emporte-pièce. Sans s’être au préalable assuré de détenir des preuves irréfragables, Ousmane Sonko accuse, en novembre 2022, le ministre du Tourisme, Mame Mbaye Niang, de malversations au moment où il était au Programme des domaines agricoles communautaires (Prodac). C’est l’arme fatale que le régime va utiliser contre son principal opposant.

Se disant diffamé, Mame Mbaye Niang va saisir la justice. L’opposant écope, en première instance, de deux mois de prison avec sursis et deux millions de francs CFA d’amende. Jusque-là, son éligibilité n’est pas remise en cause. Mais, le ministre du Tourisme fera appel et obtiendra de la justice de corser la condamnation. Désormais condamné à 6 mois de prison avec sursis, l’éligibilité d’Ousmane Sonko était hypothéquée. Il risquait une inéligibilité de cinq ans. C’est justement ce à quoi le Conseil constitutionnel s’est accroché pour l’éliminer de la course à la magistrature suprême. L’opposant a lui-même servi au régime l’arme pour lui assener le coup fatal.

Les substituts de Sonko peuvent-ils faire le poids ?

Se sachant menacé d’exclusion de la course à la Présidentielle, Ousmane Sonko a prévu un plan B. C’est d’abord le numéro 2 de son parti, Bassirou Diomaye Faye, ou encore Cheikh Tidiane Dieye, son directeur de campagne, en 2019. Il y a également l’ancien président de la conférence des leaders de la coalition de l’opposition Yewwi Askan Wi, Habib Sy. Tous trois ont vu leurs candidatures validées par le Conseil constitutionnel.

On pourrait penser qu’il s’agit-là d’une bonne option de sauvetage. Mais, la question qui se pose est de savoir si ces candidats ou celui qui sera retenu à la fin feront ou fera le poids. Ont-ils le charisme et la prestance d’Ousmane Sonko ? Rien n’est moins sûr. Celui que la jeunesse sénégalaise porte, ce n’est pas Bassirou Diomaye Faye, ce n’est pas Cheikh Tidiane Dieye ou encore Habib Sy. C’est d’abord et surtout Ousmane Sonko. Avec un candidat autre que lui, il est clair que l’ex-parti va aux élections avec un pied cassé.

Karim Wade a manqué d’anticipation

La Constitution sénégalaise établit clairement les conditions pour être éligible à la présidence de la République. Il y est bien écrit que tout candidat à l’élection présidentielle « doit être exclusivement de nationalité sénégalaise, jouir de ses droits civils et politiques, être âgé de 35 ans au moins et de 75 ans au plus le jour du scrutin ». Étant né en France et d’une mère française, Karim Wade avait tout naturellement la nationalité française en plus de celle sénégalaise à laquelle il avait droit par son père. Ainsi, pour faire valider son ticket à la Présidentielle, l’ancien ministre devait au préalable renier sa nationalité française. Ce qu’il a assuré d’avoir fait au moment du dépôt de sa candidature, en décembre.

Seulement voilà ! À quelques jours de la publication de la liste définitive des candidats retenus, l’ancien ministre Thierno Alassane Sall, également candidat, a saisi le Conseil constitutionnel au sujet de la candidature de Karim Wade. Il a demandé à l’institution de juger cette candidature inconstitutionnelle à cause du non-reniement de Karim Wade à sa nationalité française au moment du dépôt de son dossier. C’est une fois ce recours déposé que le candidat a produit la preuve de la renonciation à sa nationalité française, le 16 janvier 2024. Pour le Conseil constitutionnel, c’était trop tard. La déclaration sur l’honneur signée par Karim Wade en décembre était « inexacte ». Les effets du décret signé par le Président français, le 16 janvier 2024 « ne sont pas rétroactifs », a estimé le juge constitutionnel.

Le PDS, le parti de Karim Wade aurait pu anticiper sur cette éventualité et prendre les mesures idoines en amont et assez tôt. Ceci d’autant plus que l’homme se savait indésirable pour le régime qui s’est vu, malgré lui, obligé d’autoriser sa participation au jeu électoral à l’occasion du dialogue national. En politique, ce genre d’erreur se paie cash. Dommage pour Karim Wade qui, après avoir patienté depuis 2019, devra encore patienter cinq nouvelles années. Il partage peut-être le même destin que son père qui courait après le fauteuil présidentiel, depuis 1978, pour ne finalement l’occuper que 22 ans plus tard. Mais, à la différence du fils, le père a participé régulièrement aux élections et a perdu successivement en 1978, 1983, 1988 et 1993.

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Par Serge Ouitona, historien, journaliste et spécialiste des questions socio-politiques et économiques en Afrique subsaharienne.
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