Musicienne française d’origine Tunisienne, Dinah Douieb fait partie de celles qui incarnent le raï au féminin. Native de Tunis, un 1er mars 1961, cette chanteuse, productrice, auteure, compositrice a grandi dans un univers musical. Tout ou presque la prédestinait artiste, d’autant que son père, peintre et danseur autodidacte, l’a contaminée dans ses passions.
C’est en 1965 que sa famille quitte la Tunisie pour s’établir à Marseille puis en région parisienne, dans le Val de Marne. A seulement 9 ans, elle commence des cours de solfège, dans le Conservatoire de Thiais, où elle est initiée au piano. Son premier instrument de musique fut une guitare de 10 francs, que sa mère lui offrit à la place d’un piano. Très jeune, Dinah était déjà Imprégnée des sonorités nord-africaines que l’on peut retrouver dans son travail. Elle représente artistiquement la chanteuse franco-algérienne Cheikha Rabia, l’une des icônes de la musique raï « root ». Dinah Douieb s’est confiée à Afrik.com.
Entretien
Quelle est l’origine du mot « raï » qui signifierait libre opinion ?
Je me fie à 100% à Bouziane Daoudi (et Hadj Miliani L’Aventure du raï, Seuil, coll. Point-virgule, 1996,) en ce qui concerne la signification du mot raï. Cela viendrait des sonnets classiques arabes : le chir-el-melhoun (chir signifie chant et melhoun est un mot arabe qui regroupe toute la poésie populaire écrite en arabe maghrébin, qu’elle soit nomade ou citadine. Il désigne l’état de la langue arabe qui sert à l’expression de certaines formes de poésie dialectale au Maghreb). Cette forme poétique musicale traditionnelle était pratiquée pour les cérémonies de mariages et de circoncision. Les Algériens n’étant pas familiers avec l’arabe classique employé dans ces poèmes datant des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles, ils ne retenaient que les exclamations finales : «Ya raï!»
Le raï est issu de la rencontre, dans les ports d’Algérie, des cultures espagnoles, françaises, arabes, africaines et juives séfarades. Issu du folklore algérien, il est devenu la musique des souks, des bars et des bordels du port d’Oran
Musicalement, le raï est issu de la rencontre, dans les ports d’Algérie, des cultures espagnoles, françaises, arabes, africaines et juives séfarades. Issu du folklore algérien, il est devenu la musique des souks, des bars et des bordels du port d’Oran. Sur des rythmes rapides, les chansons parlent d’alcool, de sexe, de dépression et de pauvreté, avec un chant empreint d’une grande émotion. Petit à petit, s’est ajouté aux instruments traditionnels, des violons et l’accordéon et plus traditionnel, des guitares électriques et de la batterie. L’approche avec les musiques électroniques les plus modernes est de plus en plus utilisée. Aujourd’hui il semble être déserté par les plus jeunes qui lui préfèrent le Rap le Rai&B et la Pop Chaabi…
Dans un contexte actuel où la liberté d’opinion est de plus en menacée, peut-on chanter son raï sans être inquiété par les autorités ?
Le terme raï signifie littéralement « avis, point de vue », mais aussi « destin, sort »; l’expression ya rayi (ô mon raï). Ce mouvement musical est né au cours des années 1970 de la fusion des musiques populaires de l’Ouest algérien et de la pop électrique occidentale. Donc, il y a une volonté de s’émanciper de la religion. En écho aux soubresauts sociaux, le raï moderne, à la fois honni et adulé, s’est imposé dans toutes les couches de la population, malgré les réticences officielles et religieuses. Les thèmes et les sujets abordés étaient bien plus osés : les mariages forcés, le culte de la virginité ou la situation des femmes.
Parlez-nous un peu du raï féminin
La musique raï a longtemps été considérée comme une musique vulgaire. On ne pouvait pas décemment l’écouter en famille, comme le chant andalou ou saharien. La pudeur lui interdisait l’accès aux foyers. Au début, voir une femme chanter le raï était mal vu. Mais les choses semblent avoir évolué.
Dans leur musique, les femmes parlent souvent d’amour et de sexe, d’alcool et de transgression. Pourquoi ces thèmes ?
Je parle de raï féminin car cela relève du statut des chanteuses, les Cheikhates et des Medehates, les femmes musiciennes dans l’Ouest algérien. Leurs robes étaient magnifiques et leurs chants sacrés, mais les situations de leurs vies bien complexes. Ces femmes étaient souvent divorcées ou pas du tout parées. L’exemple de Cheikha Rimtti, qui a vécu à Oran et s’est fait connaître dans des bars tenus par des chrétiens ou des Juifs qui servaient de l’alcool. Le raï a évolué en s’imposant auprès des femmes d’Oran, qui improvisaient sur des rythmes bruts, des paroles licencieuses. Telle est la réponse du sociologue algérien, Habib Tengour, au sujet des origines du raï…
Le raï a évolué en s’imposant auprès des femmes d’Oran, qui improvisaient sur des rythmes bruts, des paroles licencieuses
Dans tout l’Ouest du pays jusqu’au Maroc, à Oujda, autrefois terres sans frontières, les femmes troubadours avaient le rythme dans la peau. Ces musiciennes, danseuses, chanteuses et magiciennes de la bonne étoile et de la bénédiction bénissaient dans les villages et faisaient appel à des saints entre Oran et Oujda. C’est là que le raï est né. Cheikha Rabia est une exploratrice des 5 modes, des variations qui caractérisent le raï ancien cette musique particulière – transpirant la cadence du boogie terme peut-être oublié du Rock’n’roll, de rumeur plus effrayante dans le monde de la World Music!, Subversif s’il en est question, pourtant certains de ces rythmes ont cette cadence qui roule. C’est l’Afrique !
Parlez-nous un peu du label Dinamyte ? Un peu « explosif » comme appellation…
A l’origine, le label de musiques électriques et électroniques a été fondé par deux musiciens du groupe de Funk Rock des Flambeurs : Simon Bendahan et Dinah Douieb à partir du jeu de mots avec mon prénom Dinah. Le label Dinamyte a été créé pour produire une compilation de Hip Hop avec un collectif new-yorkais Get Open. Nous avions enregistré avec le rappeur Shurikn qui était en contrat avec Delabel qui nous refusait une licence. Ce fut extrêmement compliqué de réussir à finir un projet courageux, mais qui a demandé tellement d’énergie et de temps.
Je suis restée très longtemps enfermée à apprendre les nouvelles manières de jouer avec des machines, pour acquérir un minimum de maitrise de ces technologies d’enregistrements sonores
Puis je me suis tournée vers mes racines. Je voulais, depuis très longtemps, rendre hommage à un chanteur tunisien qui fait partie du patrimoine de la chanson judéo-arabe en Tunisie. J’étais née avec cette musique, le Taalil, qui fête la joie lors des mariages et les fêtes de circoncision. Sauf qu’il décéda. C’est la rencontre avec Cheikha Rabia qui a motivé ma nouvelle démarche. C’est Malik Adouane, qui est un pionnier de la musique Trance House Rai, qui m’a mise en contact avec Cheikha Rabia. J’ai trouvé sa performance hallucinante et particulière, sombre, avec de fortes envolées rythmiques, une forme de transe.
Quels sont les objectifs du label Dinamyte ?
Je suis restée très longtemps enfermée à apprendre les nouvelles manières de jouer avec des machines, pour acquérir un minimum de maîtrise de ces technologies d’enregistrements sonores. Ce fut un long périple d’expérimenter cette démarche et cela m’a fait perdre beaucoup de temps, car c’est un travail qui ne finit jamais, très fastidieux. Mais cela m’a permis de trouver une certaine autonomie. Aujourd’hui, l’objectif du label est de sortir toutes les productions et remixes qui ont été enregistrés et qui ne sont pas encore sortis. Et mettre en valeur mes deux projets de musique électronique : Northafrobeatz et SHRA qui sont deux laboratoires expérimentaux.
La structure que vous dirigez à vocation à offrir aux nouvelles générations des savoirs et des connaissances issus de précieux patrimoines culturels et artistiques.
Je l’espère !!
Votre message est-il bien entendu par les jeunes ?
Bonne question sur les jeunes. Très franchement, je vous avoue que je n’en sais rien, n’ayant aucun retour direct.
Pouvez-vous donner plus de détails sur les projets musicaux de Dinamyte ?
Le prochain album de SHRA sera plus électrique avec des guitares saturées, du Funk, du Blues du 21ème siècle. L’apport de la technologie est toujours là.
Un message à lancer ?
« Sans musique, la vie serait une erreur ». Ne laissons pas l’intelligence artificielle nous voler nos âmes.