Internet : Ben Ali le funambule


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Drapeau de la Tunisie
Drapeau de la Tunisie

Comment développer les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) tout en gardant la main haute sur l’information en Tunisie ? C’est le numéro de funambule auquel se livre le président Ben Ali. Avec un succès inégal.

Be Net or not be Net ? La très existentielle et shakespearienne question est récurrente au sommet de l’Etat tunisien. L’homme qui l’incarne est un passionné des nouvelles technologies de l’information et de la communication. L’homme n’est autre que Zinedine Ben Ali. Fasciné, certes, mais aussi effrayé. Question encore : comment profiter de ces nouvelles technologies sans supporter leur pendant démocratique et l’appel d’air que constitue la Toile pour une presse indépendante que le régime s’ingénie à museler ?

Fascination réelle : peu après sa prise du pouvoir aux dépens d’un Bourguiba vieilli, Zinedine Ben Ali est le premier président arabe et africain à se pencher sérieusement sur les nouvelles technologies. Dès 1989, note le journal en ligne, Kalima, Tunis investit dans des systèmes ultra-modernes (noeud Earn/Bitnet, liaisons X. 25). Le summum à l’époque. Deux ans plus tard, le pays est connecté au réseau des réseaux. Il faudra patienter encore deux années pour qu’en 1993, tous les centres de recherches soient connectés et reliés via le Réseau national de recherche et de technologie (RNRT). Formidable. Seulement, alors que le pouvoir renforce le développement technologique du pays, il s’applique à verrouiller consciencieusement les applications permettant aux intellectuels, universitaires, journalistes, opposants politiques et simples citoyens de s’emparer de cet outil afin de communiquer avec le reste du monde.

Provider unique

L’exercice est périlleux, mais il sera tenté. D’abord, on va créer l’Agence Tunisienne d’Internet (ATI). Confiée aux proches du clan présidentiel, elle va servir de socle au développement technologique et d’opérateur -unique, cela va de soi.

Pour les particuliers, la connexion à la Toile relève quasiment du pari impossible. « Il fallait déposer sa signature et sa carte d’identité dans un commissariat », relate Kalima, les responsables de l’ATI se réservaient le droit d’accepter (ou de refuser) l’accès au provider national.

Les cybercafés qui fleurissent aux quatre coins du pays se voient imposer un cahier des charges plus que restrictif : e-mails et téléchargements interdits ou sévèrement contrôlés, présentation de carte d’identité, pour l’utilisateur, PC obligatoirement reliés à un ordinateur « vigile » enregistrant tout ce qui est consulté sur les postes voisins, seconde par seconde.

Problème : le pouvoir va devoir revoir sa politique d’encadrement des NTIC pour deux raisons. D’abord, les petits malins ont tôt fait de détourner l’ATI. Ainsi Takriz, le site des jeunes contestataires qui, crânement, expliquent à leurs lecteurs comment leur serveur « a été doté des meilleures protections contre le spooking/snuffing qu’utilisent les contrôleurs de l’ATI ». Mieux : « Cher citoyen, dès que tu te connectes à l’irc Takriz.org, saches que ton IP (…) sera impossible à identifier ». Et toc ! Devant tant d’insolence, les responsables de centres publics d’accès ont été invités, au terme d’une convocation du ministère de la Communication qui s’est déroulée en janvier dernier, à enregistrer tous les envois et téléchargements de leur clientèle sur les disques durs, à relever l’historique de tous les sites visités et à communiquer à l’autorité les noms et adresses des abonnés. Du coup, certains zélés ont purement interdit dans leur société, disquettes, cédéroms et usage de l’imprimante.

Disquettes et imprimantes interdites dans les cybercafés

Autre combine -facile- que l’association Reporters Sans Frontières tente de généraliser : passer par un opérateur étranger. Outre le mensuel Kalima et Takriz, le Conseil National pour les Libertés en Tunisie et RSF publient régulièrement des rapports des plus sévères sur la question des droits de l’Homme…

Le second grain de sable (de taille) dans la mécanique de contrôle est d’ordre économique : le Palais de Carthage doit céder à la pression des opérateurs économiques étrangers. Pression accrue avec l’ouverture du marché européen et les accords d’associations qui en sont les pendants naturels. Pression renforcée avec l’essor du marché Telecoms et Internet dans un pays comme le Maroc… Où le développement des nouvelles technologies vient donner un coup de pouce à la croissance économique.

Plus question donc de transiger avec le principe de l’Internet pour tous. Mais encore une fois, pas n’importe comment. En septembre 1997, deux opérateurs privés sont lancés sur le marché à l’intention des particuliers, à des tarifs accessibles. Parmi ces deux heureux élus, « Planet », rafle 11 000 abonnés sur les 16 000 officiels que compte la Tunisie. Coïncidence : Planet a été confié à la fille de l’actuel président au terme d’un appel d’offres public tout à fait officiel. Fait extraordinaire : les 100 premiers gérants de centres d’Internet publics (intitulés Publinets) qui ont demandé l’agrément au ministère de la Communication étaient abonnés… à Planet. Bref, l’Internet s’ouvre à Tunis ? Il s’entrouvre.

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