Les instituts de sondage ne prévoyaient pas que la votation d’initiative populaire sur l’interdiction des minarets serait acceptée par la population. La classe politique, impréparée, se retrouve donc dans l’embarras. L’extrême droite elle-même est divisée, car les conséquences économiques et diplomatiques risquent d’être graves pour la Confédération, comme au Danemark après la publication de caricatures du Prophète. Mais les réactions de colère des musulmans restent ce lundi mesurées et la lutte contre l’interdiction aura pour l’instant lieu sur un terrain politique et judiciaire
Une femme en niqab, avec derrière elle un drapeau suisse parsemé de minarets qui ressemblent furieusement à des missiles. « Stop », dit simplement l’affiche. La campagne de la votation populaire lancée en 2007 par 14 membres de l’Union démocratique du centre (UDC, extrême droite) et 2 membres de l’Union démocratique fédérale (UDF, extrême droite) portait donc sur l’amalgame entre musulmans et islamistes. Oskar Freysinger, principal initiateur, est allé, pour appuyer son propos, jusqu’à comparer la supposée montée de l’islamisme avec la montée du nazisme dans les années 1930.
Après les résultats du scrutin, dimanche, favorables à l’interdiction de la construction de nouveaux minarets, l’heure est à la consternation en Suisse, mais aussi dans de nombreux pays. Créditée dans les sondages d’à peine un tiers des voix, la proposition en aura finalement obtenu presque le double, avec 57,5% des voix. Et bien peu sont les organisations prêtes à assumer ce résultat.
Le fantôme danois hante les Alpes suisses
Si les partis extrémistes européens laissent éclater leur joie, l’UDC est plus que mesurée dans sa réaction. Si le parti a officiellement pris position en faveur de l’interdiction des minarets, Le Temps relève que les divisions risquent de provoquer une crise entre l’aile traditionaliste et celle plus portée sur la défense des intérêts économiques suisses.
Chacun a en mémoire l’affaire des caricatures de Mahomet, publiées en 2005 dans le journal conservateur danois Jyllands-Posten. Des réactions de colère s’étaient exprimées dans plusieurs pays musulmans, suite à une campagne orchestrée par une organisation fondamentaliste. Les conséquences économiques avaient alors été pour le pays une perte supérieure au milliard de francs suisse (670 millions d’euros), rappelle 24 heures. 5% des relations commerciales extérieures suisses se font avec des pays musulmans, ajoute le quotidien.
Le poids diplomatique de la Suisse pourrait également être affecté par cette décision. En cas de réaction de colère des pays musulmans, où le sujet fait la une, l’Etat pourrait voir remises en question deux candidatures importantes : la présidence de l’Assemblée générale des Nations unies et une place au Conseil des droits de l’Homme, basé à Genève. Avec la Cour européenne des droits de l’Homme, ce Conseil serait d’ailleurs en mesure d’examiner un recours contre l’interdiction des minarets, selon l’analyse de Me Gilles Devers sur son blog « Actualités du droit ».
Enfin, ce scrutin pourrait être une très bonne nouvelle pour le guide libyen Mouammar Kadhafi, en tension avec les autorités suisses depuis plusieurs mois. La diplomatie libyenne a en effet ouvertement accusé la Suisse de racisme en appelant les pays arabes au boycott du pays. L’appel n’avait pas rencontré un grand écho, puisque Mouammar Kadhafi réagissait suite à l’arrestation de son fils Hannibal pour violence sur deux employés de maison. Il pourrait désormais se placer en tête de file des critiques de l’interdiction des minarets, pour continuer son opération de vengeance. Deux citoyens suisses ont été retenus en otages entre septembre et novembre, et le guide libyen a déposé, par provocation, devant l’ONU une demande de démantèlement de la Confédération suisse.
La contestation s’organise pacifiquement
Mais les réactions des autorités religieuses sont pour l’instant mesurées. Comme beaucoup d’entre elles, le grand mufti d’Egypte Ali Gomaa a jugé dimanche que la votation « n’est pas une simple atteinte à la liberté religieuse, que] c’est aussi une insulte aux sentiments de la communauté musulmane, en Suisse comme ailleurs », rapporte [Lemonde.fr. Il a encouragé les musulmans suisses à « dialoguer » avec les autorités suisses et à utiliser les voies de recours légales contre l’interdiction.
En Suisse, les quatre minarets déjà construits ne sont pas utilisés par les muezzins pour l’appel à la prière, qui a lieu à l’intérieur des murs de la mosquée. La pratique même du culte n’est donc pas altérée mais la blessure symbolique est forte pour la communauté musulmane suisse. Un slogan pour le non à l’interdiction dit d’ailleurs, à propos des minarets, clochers et autres coupoles : « Le ciel de Suisse est bien assez grand ».
Interrogé sur France Inter l’écrivain franco-marocain Tahar Ben Jelloun a regretté qu’on demande « aux musulmans de devenir invisibles ». Le prix Goncourt 1987 a ensuite précisé : « Chaque religion a ses symboles, et isoler les musulmans c’est développer la haine ». Devant le concert de critiques, c’est surtout la Suisse qui se retrouve seule, en ce début de semaine.
Photos : capture d’écran ; Flickr/rytc ; DR