Le Forum des communicateurs traditionnels d’Afrique de l’Ouest sur les violences faites aux femmes au nom de la tradition s’est ouvert, lundi, à Ouagadougou (Burkina Faso). Le principal objectif de cette rencontre d’une semaine est surtout d’impliquer les griots de dix pays d’Afrique francophone dans la lutte contre l’excision. Fadia Nassif, responsable des projets femme et développement à l’Agence de la Francophonie, qui organise l’événement, revient sur cette initiative.
De notre envoyée spéciale
Des griots pour lutter contre l’excision et aux violences faites aux femmes africaines. Le Forum des communicateurs traditionnels d’Afrique de l’Ouest sur les violences faites aux femmes au nom de la tradition a ouvert ses portes, lundi, à Ouagadougou (Burkina Faso), avec la participation de quelque 200 personnes. Jusqu’à dimanche, Les équipes-pays de dix Etats francophones [[<*>Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée, Guinée Bissau, Mali, Niger, Mauritanie, Sénégal, Togo]], composées de dix griots, trois journalistes de radios rurales, deux à trois représentantes d’organisations non gouvernementales et un représentant du ministère chargé de la promotion des femmes, vont passer en revue, au travers d’ateliers en français et en langues nationales, une série de maux qui frappe la femme africaine. Ainsi, elles aborderont le droit des femmes, la non-scolarisation des filles et le sida. De même que des traditions jugées néfastes, comme les mariages forcés et précoces, le gavage (obligation pour les filles d’avaler de grosses quantité de nourriture afin de forcer leur développement physique en vue d’un mariage précoce), le lévirat (obligation pour une femme veuve d’épouser le frère de son mari décédé) et l’excision. L’excision est d’ailleurs au centre des premiers ateliers de cette rencontre organisée par l’Agence de la Francophonie dans le cadre du Xe Sommet de la Francophonie à Ouagadougou. L’objectif est de mettre en place une stratégie permettant aux griots, acteurs essentiels des moments clés de la vie, de participer à l’éradication de cette pratique. Fadia Nassif, responsable des projets femme et développement à l’Agence de la Francophonie, explique quelles sont les attentes du projet.
Afrik.com : Comment est née l’idée d’impliquer les griots dans la lutte contre l’excision ?
Fadia Nassif : La Francophonie travaille sur l’excision depuis la Conférence des femmes de la Francophonie, qui s’est déroulée au Luxembourg en 2000. Lors de cette rencontre, les ministres présents ont recommandé qu’en matière de santé et de développement, les efforts de la communauté francophone ciblent les pratiques traditionnelles néfastes, et particulièrement les mutilations génitales féminines (MGF). Les activités de l’Agence de la Francophonie dans ce domaine se rapportent surtout à l’organisation de campagnes d’informations et de sensibilisation sur les MGF avec pour cible principale les populations des zones rurales qui ont généralement un accès malaisé à l’information. Soit parce qu’elles ne savent pas lire, soit parce qu’elles n’ont pas de radio. C’est dans ce contexte que nous avons décidé d’organiser des campagnes nationales d’information et de sensibilisation sur l’excision au Mali et en Guinée, associant les journalistes des radios rurales et les communicateurs traditionnels, ou griots. La synergie établie entre ces deux groupes s’avérant prometteuse, nous avons décidé, en outre, afin de renforcer l’implication des griots, d’organiser un atelier national des communicateurs traditionnels de Guinée. C’est lors de cet atelier, tenu à Kankan fin 2003, qu’est née l’idée de ce présent forum d’envergure sous-régionale.
Afrik.com : Pourquoi l’Agence a-t-elle ciblé les communicateurs traditionnels ?
Fadia Nassif : Nous avons trouvé que c’était une bonne idée de les intégrer à la lutte contre l’excision parce qu’ils sont présents lors de tous les plus grands événements de la vie sociale (les baptêmes, mariages, décès,…). Gardiens de la tradition et maîtres de la parole, ils maîtrisent l’art de la persuasion et du plaidoyer et leurs avis sur les questions relatives à la tradition sont écoutés.
Afrik.com : Quels objectifs espérez-vous atteindre au terme de cette rencontre ?
Fadia Nassif : Nous voulons convaincre les griots d’œuvrer pour l’abandon de certaines pratiques traditionnelles qui se sont avérées néfastes. Si nous arrivons à emporter leur adhésion, nous espérons qu’ils relayeront les résultats des discussions et débats du forum dans leur pays respectif et qu’ils s’impliqueront dans les campagnes nationales pour l’abandon des pratiques traditionnelles néfastes (PTN) et la promotion des droits des femmes. Nous leur faisons confiance pour trouver les mots qu’il faut pour faire passer le message. Si le partenariat avec les radios fonctionne, les griots pourront s’exprimer sur les ondes gratuitement. De cette manière, il n’y aura pas de barrière financière. Nous réfléchissons à l’opportunité de mettre en place un réseau sous-régional des communicateurs traditionnels et modernes pour lutter contre les PTN pour les femmes. Parallèlement, des plans d’actions nationaux seront élaborés au terme de ces échanges.
Afrik.com : Une aide financière est-elle prévue pour aider les griots dans leur démarche ?
Fadia Nassif : Pour le moment, nous en sommes au stade des « on aimerait ». Après les discussions, nous verrons dans quelle mesure nous pouvons apporter une aide.
Afrik.com : Les griots présents sont-ils tous acquis à votre cause ?
Fadia Nassif : Les interrogations de certains laissent paraître qu’ils ne sont pas tous convaincus que l’islam ne préconise pas cette pratique. C’est à nous de leur démontrer les conséquences néfastes de l’excision. Certains sortiront convaincus qu’il faut l’abandonner, d’autres le seront à moitié. Une chose est sûre l’éradication des PTN constitue un véritable défi.
Afrik.com : Un défi que vous pensez pouvoir relever ?
Fadia Nassif : Nous avons eu des retours positifs de l’expérience malienne, mais je ne me fais pas beaucoup d’illusions. Nous commençons des campagnes d’informations sur une pratique qui dure depuis des millénaires. Nous avons besoin de plusieurs années de travail intensif pour avoir des résultats palpables. Toutefois, si le message finit par arriver dans les zones les plus reculées, ce sera déjà une victoire. Car plus personne ne pourra dire qu’il ne savait pas que les conséquences de l’excision sont graves.
Afrik.com : L’excision est extrêmement médiatisée, ce qui n’est pas le cas du gavage ou du lévirat. Pourquoi ne pas avoir mis plus l’accent sur ces pratiques ?
Fadia Nassif : Auparavant, nous nous focalisions sur l’excision. C’est la première fois que nous élargissons le débat aux autres formes de violences. Elles sont donc prévues au programme mais seront moins développées car certaines, comme le gavage, ne sont pas présentes dans tous les pays qui sont réunis pour le Forum. Il se pratique surtout en Mauritanie, au Niger et dans une partie du Mali. En revanche, l’excision concerne toutes les ethnies et pays africains francophones qui sont présents. Alors pour ces quatre jours de travaux (le reste de la semaine est dédié à des ateliers de production pour les journalistes des radios locales, ndlr), nous avons décidé de rester concentrés sur un nombre de thèmes réduits pour les approfondir et obtenir le maximum d’adhésions.
Afrik.com : Dans certains pays, comme le Sénégal, les imams sont associés à la lutte contre l’excision. Envisagez vous de travailler avec eux ?
Fadia Nassif : Nous avons à ce Forum un imam du Burkina Faso et un autre du Mali. Ils interviennent en tant que personnes ressources pour démontrer que l’islam n’a jamais demandé que les filles ou les femmes soient excisées.