Le nombre de cas de tuberculose multi-résistante (MDR-TB) est en hausse au Kenya, notamment dans les bas quartiers de Nairobi, la capitale kényane. Les conditions de vie favorisent sa propagation, selon des travailleurs sanitaires.
Bien que seuls 46 cas de cette forme de la tuberculose, qui résiste à au moins deux médicaments antibiotiques de première ligne, aient été officiellement confirmés dans le pays, les chiffres pourraient être beaucoup plus élevés, a dit à IRIN/PlusNews le docteur Dave Muthama, chargé de programme pour le Programme national de lutte contre la lèpre et la tuberculose. « Il est difficile d’obtenir des [analyses] correctes, il est donc difficile de déterminer quelle proportion de patients a la MDR-TB », a confirmé Christine Genevier, chef de mission de l’Organisation médicale internationale Médecins sans frontières (MSF) au Kenya.
Le type de tests généralement utilisé pour détecter la tuberculose, via le crachat ou la salive, échoue souvent à reconnaître la forme MDR chez les patients. Le docteur Liesbet Ohler, coordinatrice TB pour MSF, a précisé que le diagnostic de la tuberculose était encore plus difficile chez les patients infectés également au VIH. « Les personnes qui sont infectées au VIH ont souvent un taux moins élevé de bacilles de la tuberculose dans leur salive, donc le test fondé sur la salive peut se révéler négatif et la radiographie des poumons peut aussi avoir l’air normale », a-t-elle expliqué.
Mme Genevier s’est inquiétée du fait qu’« il n’y a pas assez de laboratoires, il est difficile de diagnostiquer la co-infection VIH/TB et il y a trop peu de suivi [des patients qui prennent un traitement contre la TB] ». « La MDR-TB peut se contracter suite à un échec thérapeutique, quand le patient n’observe pas correctement son traitement, mais aussi lorsque la maladie est déjà résistante au traitement, ou directement via une personne elle-même infectée par cette souche de la TB », a-t-elle précisé.
Des patients qui ne suivent pas leur traitement
Mme Ohler a souligné que les habitations « sombres et peu aérées » des bas quartiers de Nairobi constituaient un terrain idéal pour la prolifération de la TB. Un rapport publié en 2004 par l’Institut kényan de la recherche médicale a estimé que 70 pour cent des habitants de Nairobi vivaient dans des bidonvilles, et un important pourcentage des personnes étant infectées à la fois au VIH et à la TB venait de ces quartiers.
Mme Ohler a évoqué la stigmatisation comme l’un facteurs pouvant expliquer que les patients ne suivent pas correctement leur traitement. « Ici, au Kenya, il y a tellement de personnes infectées au VIH et à la TB que si vous dites que vous avez la TB, ils penseront automatiquement que vous avez le VIH », a-t-elle remarqué.
Une observance en dents de scie
A la clinique « la Maison bleue », gérée par MSF et située à Mathare, l’un des plus grands bidonvilles de Nairobi avec quelque 250 000 habitants, 70 pour cent des patients tuberculeux sont également séropositifs. Le traitement contre la tuberculose est fondé sur le principe du DOTS (Traitement court directement observé), qui permet de suivre les patients pour s’assurer qu’ils prennent bien leurs médicaments tous les jours.
Pourtant, à la Maison bleue, MSF pratique la méthode SAT (self-administered therapy), qui insiste sur le besoin de faire comprendre au patient l’intérêt de prendre quotidiennement ses médicaments et les conséquences en cas de non-respect des prescriptions médicales. « La méthode qui consiste à éduquer le patient marche mieux que celle qui consiste à le contrôler », a assuré Mme Genevier.
Monika Juma est l’une des quatre patientes de la Maison bleue à devoir suivre le difficile traitement de la MDR-TB, qui s’étale sur deux ans. Elle a commencé son traitement il y a deux mois. « Je vis à quarante minutes de marche de la Maison bleue et je dois venir pour le traitement matin et soir », a-t-elle dit. Chaque matin, elle reçoit une injection, prend un sachet de médicament et 16 comprimés. L’après-midi, elle y retourne pour cinq autres comprimés et un sachet supplémentaire. Mme Juma est aussi séropositive, elle prend des médicaments antirétroviraux.
Sa fille et sa petite-fille, âgée de cinq ans, souffrent également de la tuberculose. Bien que les médecins soupçonnent que la fillette pourrait être atteinte de la MDR-TB, sa salive ne l’a pas confirmé pour l’instant. En dépit de la complexité du traitement, Mme Juma ne l’a jamais manqué –elle est parfaitement consciente des conséquences si elle devait rater une étape de son traitement, et a été confronté à des effets secondaires mineurs.
Le gouvernement kényan ne fournit pas de traitements pour la MDR-TB, qui coûtent 300 fois plus cher que le traitement contre la tuberculose standard. Une session de traitement contre la TB coûte environ 20 dollars, alors que celui contre la MDR-TB est estimé à 6 000 dollars.
M. Muthama, du Programme national de lutte contre la TB, a affirmé que le gouvernement travaillait à réduire la propagation de la forme MDR de tuberculose. « Nous avons des centres dans lesquels nous suivons les traitements, de même que les patients. Comme de nombreux patients ont de longues marches à faire [pour se rendre dans les centres], nous avons augmenté le nombre de sites à 1 800 », a-t-il dit. « Les patients sont testés au bout d’un mois et demi pour voir s’ils répondent bien au traitement, et de là nous devrions être capables de voir si les gens sont atteints par des souches multi-résistantes ».
Les travailleurs sanitaires et les activistes sont inquiets, parce que si la MDR-TB n’est pas endiguée, le Kenya court le risque d’être touché par des souches encore plus virulentes de la TB, comme celle de la tuberculose ultra-résistante (XDR-TB) qui a été détectée en Afrique du Sud et a causé la mort de plus de 200 personnes. Le Kenya se place au dixième rang de la liste des 22 pays qui supportent 80 pour cent du fardeau de la tuberculose dans le monde, selon l’Organisation mondiale de la Santé.
Photo: Keishamaza Rukikaire/IRIN. Les conditions de vie dans les bidonvilles kényans favorisent la propagation de la tuberculose