Dorviro-Sida – littéralement ‘endormir le sida’ en portugais – est le nom du nouveau médicament à base de plantes contre le sida produit par Amancio Valentim, 52 ans, président de l’Association des tradipraticiens de São Tomé et Principe, un petit archipel situé à 350 kilomètres des côtes du Gabon. Il affirme que la prise de trois cuillères à soupe de ce sirop brunâtre, chaque jour et avant chaque repas, réduit la charge virale du VIH et améliore la qualité de vie des personnes infectées.
« Il n’existe aucun médicament qui guérisse le sida et aucune preuve scientifique démontre que mon médicament puisse le guérir », s’empresse de dire M. Valentim. « Mais les quatre patients infectés par le VIH qui prennent depuis quatre ans mon médicament sont maintenant séronégatifs ». Cependant, au nom du secret médical, aucun témoignage de ses patients ni aucun test de dépistage ne sont disponibles.
M. Valentim a présenté son remède – qu’il décrit comme le fruit de 12 années de recherches – lors d’une manifestation au centre national des archives historiques de São Tomé, la capitale et principal port du pays, à la fin du mois d’août, durant la Journée mondiale de la médecine traditionnelle. L’information, relayée par la radio et la télévision, s’est répandue comme une traînée de poudre pour toucher une population d’environ 160 000 habitants.
Deux semaines plus tard, les questions sur le Dorviro-Sida ont occupé le devant de la scène lors des réunions sur la prévention du sida qui se sont déroulées dans cinq villages de la côte est du pays, réunions organisées par l’organisation non-gouvernementale portugaise Medicos del Mundo: « Est-il vrai qu’il existe un médicament contre le sida ? ».
Dans la ville de Guadalupe, située à 30 kilomètres de São Tomé, 28 militants de l’Association santoméenne pour la protection et le planning familial (ASPAF) qui menaient des campagnes de proximité afin de sensibiliser les gens sur le VIH ont entendu dire de la part de nombreux autochtones que le sida n’était plus un problème car il existait désormais un médicament : « Il l’ont vu à la télévision, donc pour eux c’est vrai, et ils ajoutent que c’est nous qui sommes réfractaires à l’idée d’une médecine traditionnelle », a indiqué le docteur Amado Vaz, directeur exécutif de l’ASPAF.
Une nouvelle dangereuse
Le taux de séroprévalence national est plutôt faible – il est inférieur à deux pour cent – mais les militants de la lutte contre le sida craignent que le Dorviro-Sida crée un climat de satisfaction dans l’archipel, ce qui porterait un sérieux coup aux efforts de prévention ; en effet, relayer une bonne information sur la maladie ne se fait pas sans difficulté dans le pays.
« Cette nouvelle complique notre travail », a dit Alzira do Rosario, qui dirige le Programme national de la lutte contre le sida (PNLS), « car elle peut pousser les gens à être moins vigilants sur les moyens de prévention, et ils peuvent penser que la médecine traditionnelle peut désormais se substituer aux traitements antirétroviraux (ARV) ».
Présentant les résultats de ses recherches à une conférence de l’Institut Polytechnique à São Tomé, Maria do Ceu Madureira – docteur en pharmacologie et experte en flore locale – a qualifié l’annonce de M. Valentim de « précipitée car il n’a actuellement aucune preuve scientifique de ce qu’il avance, même s’il y a de sa part une bonne volonté et un désir d’aider ».
Le docteur Marcellina da Costa, responsable du département pharmaceutique au ministère de la Santé, a tenu pour sa part des propos plus durs : « Le ministère n’était pas au courant de cette annonce et ne la cautionne pas », a-t-elle dit dans une allocution lors de la conférence. Pourtant, lors de la présentation au centre national des archives historiques, M. Valentim était accompagné du vice-ministre de la Santé, Armindo Aguiar, qui, à en croire certains communiqués de presse, l’avait encouragé à poursuivre ses recherches.
L’annonce de M. Valentim a été relayée par tous les médias – radio, télévision et journaux – qui n’ont pas recueilli les commentaires des autorités impliquées dans la lutte contre le sida, et jusqu’aux propos tenus par Mme da Costa lors de la conférence à l’Institut Polytechnique – intervention qui avait attiré la presse – aucune opposition officielle ou publique n’avait été émise à l’encontre du médicament Dorviro-Sida.
« Nos autorités hésitent à se confronter à des institutions qui ont une influence sur de nombreuses personnes, comme par exemple les chefs traditionnels ou encore les églises », a souligné M. Vaz de l’ASPAF.
Les remèdes à base de plantes doivent être contrôlés
Tomè Lopes Pereira, qui tient un petit commerce de médicaments à base de plantes appelé ‘Ervanario Ginseng’, affirme qu’il ne vendra pas le Dorviro-Sida de si tôt : « Je ne vends pas de produits locaux car ils n’ont pas subi de tests scientifiques. Ce serait bien si le remède de M. Valentim pouvait subir ces tests ».
Ce petit commerce, qui existe depuis 30 ans et vend des produits brésiliens, portugais ou chinois, se trouve au milieu de bâtiments coloniaux délabrés aux couleurs pastelles, sur une des places les plus fréquentées de la capitale.
Les clients y entrent et sortent, alors que des arômes d’arnica, de cannelle, d’encens et d’assortiments de feuilles et de poudre envahissent la rue. « Le plus difficile avec les médicaments à base de plantes c’est le dosage et les contre-indications », a souligné M. Pereira.
Pendant ce temps, M. Valentim a affirmé que son but était de promouvoir la richesse des médicaments à base de plantes ainsi que le savoir-faire traditionnel du pays.
Une flore luxuriante
M. Valentim tient toutefois à souligner un point important. L’incroyable biodiversité de ces petites îles que sont São Tome et Principe offre plus de 700 espèces botaniques différentes. Sur toutes ces espèces, 95 sont particulières à São Tomé et 37 à Principe. Les autres ont été importées d’Amérique latine, de Méditerranée et d’Afrique tout au long de ces 500 ans de colonisation qui s’est étendue jusqu’aux îles les plus hostiles, où les Portugais ont débarqué en 1500.
Mme Madureira a passé ces 14 dernières années à archiver les plantes médicinales locales, dans la perspective d’un projet ethno-pharmacologique développé conjointement par l’Université de Coimbra au Portugal, le ministère de la Santé de São Tome et d’autres institutions. Elle a travaillé avec plus de 40 ‘stlijons’ (des tradipraticiens) respectés et expérimentés, en gagnant d’abord leur confiance avant d’identifier les plantes et comprendre leurs vertus thérapeutiques.
Plus de la moitié de la flore locale est utilisée pour la médecine traditionnelle. « Ces guérisseurs sont de véritables bibliothèques vivantes qui ont une solide connaissance des plantes locales », a-t-elle dit. Le projet a permis l’élaboration de plus de 1 000 formules dont « certaines d’entre elles sont très complexes ».
Une décoction de sept jours
M. Valentim vit dans une modeste maison en bois, au sommet d’une colline en bordure de la capitale. Il a commencé à apprendre son métier par l’intermédiaire de sa mère et de sa grand-mère, alors qu’il avait 13 ans ; mais il a aussi travaillé comme charpentier, aide-soignant, puis comme musicien à Libreville, au Gabon, où il a passé 11 ans de sa vie.
Dans son cabinet de consultation, il y a deux étagères de livres en portugais, en anglais et français sur les médecines alternatives et la nutrition. Quelques-uns de ses 18 enfants courent dans tous les sens. Sa deuxième épouse, Fernanda – qui à l’air jeune – est elle aussi une tradipraticienne. Une nouvelle solution de Dorviro-Sida est en train de bouillir, un procédé qui dure sept jours, auxquels il faut ajouter une nuit pour la distillation.
Le remède est ensuite versé dans une bouteille de bière d’un demi-litre, fermée avec un bouchon en liège entouré de cire. Sur l’étiquette apposée sur la bouteille on peut lire : « Dorviro-Sida, mixture à base de plantes, capable d’endormir le virus du sida. Avertissement : ne pas s’isoler de sa communauté. Faire face naturellement à la maladie. Suivez les recommandations de votre médecin. Utiliser un préservatif lors de relations sexuelles». Un sachet de préservatif est accroché à la bouteille.
Un traitement complet comprend l’utilisation de six bouteilles et un maximum de 18. M. Valentim conseille à ses patients de continuer à suivre leurs traitements ARV, même si un de ses patients a arrêté de les prendre car il sentait qu’il était guéri.
Il n’existe actuellement aucune formation sur le VIH/SIDA pour les tradipraticiens à São Tome. « Les médecins ‘classiques’ ne veulent pas avoir affaire avec nous », a affirmé M. Valentim. Pourtant, ce genre de formation est justement ce qui permettrait de faire taire les fausses rumeurs.