Les statistiques officielles indiquent qu’au nord du Ghana, les inondations ont touché davantage de personnes que dans tous les autres pays d’Afrique de l’Ouest réunis ; or, la catastrophe n’a reçu que peu d’attention de la part de la communauté internationale, comparée aux crues qui ont eu lieu ailleurs dans la région.
Selon l’Organisation nationale de gestion des catastrophes (NADMO), un organisme public, les inondations ont touché près de 275 000 personnes dans les régions nord-est, nord-ouest et nord du pays. Certaines zones de l’ouest du pays ont également été touchées. La plupart des personnes sinistrées ont été déplacées, bien que certaines vivent encore dans ce qu’il reste de leur maison.
« L’ampleur [de la catastrophe] est incroyable pourtant […] personne n’en parle sur la scène internationale. C’est stupéfiant », a estimé Benonita Bismarck, qui dirige les opérations de la Croix-Rouge ghanéenne.
Le président John Kufuor a déclaré « zones sinistrées » les trois régions du nord. Selon le ministre de l’Intérieur, les inondations ont coûté la vie à 20 personnes au moins, détruit les ponts qui reliaient le Ghana aux pays voisins, et rasé ou partiellement démoli quelque 20 000 habitations.
Dans les régions nord-est, nord-ouest et nord – qui représentent environ 40 pour cent de la superficie du Ghana – les dégâts sont généralisés. Des milliers d’hectares de terres agricoles ont été détruits. Certains villages sont inaccessibles à moins de parcourir une dizaine de kilomètres en canoë, selon un travailleur humanitaire.
Les huit districts du nord-est ont été touchés, selon George Isaac Amoo, coordinateur national de la NADMO, pour qui cette région est « celle du pays où la pauvreté est la plus endémique ».
Le nombre de personnes touchées change constamment, mais le bilan provisoire dressé par la NADMO et le ministère de l’Intérieur, au 13 septembre, fait état de 227 812 sinistrés dans la région nord, de 37 429 dans le nord-est, de 7 811 dans l’ouest et de 473 dans le nord-ouest.
Toutefois, comme l’a fait remarquer M. Amoo, « le nombre des victimes augmente chaque jour ».
Selon le Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires, sans compter le Ghana, les inondations ont affecté 204 000 personnes dans 11 pays d’Afrique de l’Ouest.
Selon la Croix-Rouge ghanéenne qui opère dans le nord-est, 22 personnes ont trouvé la mort dans la région ; d’après l’organisation, quelque 90 000 personnes ont été isolées dans le district de Builsa, les routes et ponts qui y conduisaient ayant été emportés. Les Services du secours catholique (SSC) – Ghana ont découvert que 11 239 habitations avaient été endommagées dans le nord-est, dont la plupart sont complètement détruites. Selon les estimations d’une équipe de l’UNICEF, entre 8 000 et 10 000 personnes ont été déplacées dans six des huit districts de la région.
Les causes
Daniel Ayugane vit dans le nord-est du Ghana depuis sa naissance. « J’ai 43 ans et je n’ai jamais vu une chose pareille », a déclaré M. Ayugane, qui dirige les SSC – Ghana.
Les pluies les plus drues sont tombées entre le 24 et le 29 août, mais il a continué à pleuvoir par la suite, selon le gouvernement et les travailleurs humanitaires. Dans le district de Builsa, 113,8 millimètres de pluie sont tombés le 24 août, suivis de 120,1 millimètres le lendemain – « apparemment, il s’agit des pluies les plus diluviennes de cette dernière décennie », a révélé à IRIN Yasmine Ali Haque, représentante du Fonds des Nations Unies pour l’enfance au Ghana.
La situation a été aggravée par l’ouverture d’un barrage au Burkina Faso voisin, où les crues avaient provoqué une hausse dangereuse du niveau de l’eau, selon le gouvernement burkinabé. Le 27 août, le gouvernement a ouvert une écluse du barrage de Bagré, dans l’est du pays, libérant les eaux retenues à une force de 900 mètres cubes par seconde dans la Volta blanche, qui traverse le Ghana. Les Ghanéens qui vivent le long des Volta noire et blanche ont été gravement touchés, selon plusieurs responsables du gouvernement et travailleurs humanitaires.
« Pour des raisons de sécurité, lorsque l’eau a commencé à monter au-dessus du niveau accepté, nous avons dû agir de la sorte pour éviter l’érosion et la destruction du barrage », a affirmé Ouirago Bouda, directeur de la production et de l’acheminement de l’électricité au sein de la Société nationale d’électricité du Burkina Faso (SONABEL), qui gère le barrage. « C’aurait pu être pire s’il n’y avait pas eu de barrage ».
L’eau du barrage de Bagré permet aux riverains d’irriguer leurs terres pendant la saison sèche. Elle permet également de remplir le barrage d’Akosombo, au Ghana, qui cette année a chuté en-deçà des niveaux minimum, provoquant des pannes de courant dans le pays.
« C’est le revers de la médaille : si les eaux du barrage de Bagré permettent à la population d’avoir des terres irriguées en abondance, celle-ci est également touchée par les crues quand il pleut beaucoup », a expliqué M. Bouda.
En 1995, la SONABEL et l’Autorité ghanéenne de la Volta ont conclu un accord permettant au Burkina Faso d’ouvrir son écluse avec un préavis de deux semaines. Le Burkina Faso a notifié les autorités le 14 août, selon ce qu’indique la correspondance entre les deux pays.
« Famine imminente »
Les habitants des trois régions touchées sont pour la plupart des paysans, qui produisent pour l’ensemble du pays, notamment du riz, du mil et du maïs. Selon la Ghanaian Chronicle, un journal local, ces régions produisent environ 45 pour cent de l’ensemble des produits agricoles du Ghana.
Les paysans n’ont pas été en mesure de produire assez de cultures cette année, en raison d’une période de sécheresse de plusieurs mois. A présent, au vu des dégâts occasionnés par les inondations, plusieurs responsables du gouvernement et travailleurs humanitaires prévoient de graves pénuries alimentaires, causées par la destruction des cultures et des terres agricoles. Dans la seule région nord-est, 12 220 hectares de terres agricoles ont été emportés, selon les statistiques officielles.
« Les moyens de subsistance des populations ont été totalement détruits », a révélé à IRIN M. Amoo de la NADMO.
Selon le Programme alimentaire mondial (PAM), le manque à gagner en matière de production agricole – dû à la conjugaison de la sécheresse et des inondations – s’élèverait à environ 160 000 tonnes.
« La famine est imminente dans la région », a ajouté Nana Akrasi-Sarpong, directrice des relations publiques du ministère de l’Intérieur, en appelant la communauté internationale à agir.
Le gouvernement a annoncé qu’il avait créé un groupe de travail d’urgence pour prendre toutes les dispositions en vue des inondations à venir ; par ailleurs, les autorités ont déjà pris « les mesures nécessaires » pour faire face à la famine qui doit suivre les inondations, peut-on lire sur le site Internet du gouvernement.
« Nous risquons de devoir faire face à une catastrophe très, très grave au cours des mois à venir », a malgré tout prévenu M. Bismarck de la Croix-Rouge.
L’aide
Les personnes déplacées sont logées dans des écoles, des centres communautaires, des églises, et des bâtiments administratifs, ou bien chez leurs parents et amis.
Le gouvernement, qui a dépêché plusieurs délégations dans les régions sinistrées, s’est engagé à consacrer 60 milliards d’anciens cedis ghanéens (6,4 millions de dollars américains) à l’achat de matériel de secours et au financement de projets de reconstruction ; toutefois, les autorités disent avoir besoin d’une aide financière bien plus importante pour fournir des denrées alimentaires, des médicaments, des couvertures, des moustiquaires, des vêtements et des tentes aux personnes déplacées.
Pour le gouvernement, les besoins immédiats sont estimés à 500 milliards d’anciens cedis ghanéens (53 millions de dollars), répartis entre les régions nord-est (45 pour cent), nord (40 pour cent), nord-ouest (5 pour cent) et ouest (10 pour cent), selon le PAM.
« La situation est alarmante », a déclaré à IRIN M. Akrasi-Sarpong, du ministère de l’Intérieur. « Nous avons besoin de soutien. Le Ghana est un pays en voie de développement. Nous ne pouvons pas utiliser nos maigres ressources pour pallier les effets des crues dans ces trois régions ».
Le gouvernement et les organisations non-gouvernementales (ONG) ont commencé à distribuer des aides dans l’ensemble des régions touchées, mais surtout dans la région nord-est. Selon le site Internet du gouvernement, le président Kufuor a promis que le gouvernement apporterait du matériel de secours dans la région nord-est d’ici à la semaine prochaine, et notamment 5 000 sacs de ciment, 500 paquets de plaques de recouvrement et 2 000 sacs de riz.
La Croix-Rouge, qui aide déjà à inscrire les déplacés sur les registres, à distribuer des denrées alimentaires et à sensibiliser les populations aux dangers des maladies hydriques, a sollicité des fonds auprès de la Fédération internationale de la Croix-Rouge, pour l’achat de matériel de secours. Une coalition d’ONG du nom de Consortium inter-ONG s’est également réunie pour coordonner l’aide. Plusieurs de ses membres ont déjà apporté leur aide ou se sont engagés à le faire, selon les SSC.
Les Nations Unies envisagent de déployer une équipe de gestion des catastrophes.
En juin, les inondations qui ont eu lieu dans l’agglomération d’Accra ont coûté la vie à six personnes, selon la NADMO. En mai, à Tamale, la capitale de la région nord, des pluies torrentielles ont détruit plusieurs écoles, hôpitaux, habitations et bâtiments gouvernementaux. Le gouvernement envoyait du matériel de secours et des matériaux de construction aux milliers de personnes touchées. Les populations étaient en train de reconstruire leurs logements lorsque les dernières inondations ont eu lieu, a expliqué M. Amoo de la NADMO. « Cette année a été très difficile pour la nation », a-t-il ajouté.