Immigration sans retour


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En retraite ou en préretraite, les vieux immigrés sont de moins en moins nombreux à rentrer définitivement au pays. Ils préfèrent rester en France et vivre chichement, mais en gardant leurs repères et leur liberté.

De notre partenaire El Watan

Da Amar n’aime pas la foule. Pourtant, tous les matins, il se retrouve à Belleville, debout en train de discuter avec ses camarades d’infortune, tous retraités ou en préretraite, qui n’arrivent pas à s’installer définitivement dans leur pays d’origine. Da Amar est arrivé en France à la fin des années 1940. D’abord mineur dans le Nord puis marchand ambulant et ensuite, au summum de sa carrière, chauffeur de taxi dans une compagnie parisienne. « J’étais descendu dans la mine à 17 ans. Je ne parlais pas français et je ne connaissais personne. Mes amis du village qui m’avaient fait venir avaient changé de lieu de travail à mon arrivée. J’étais perdu, mais heureux de travailler. » Aujourd’hui, il est en retraite.

Depuis quatre ans. Et il vit toujours dans sa chambre d’hôtel, la même depuis plus de 15 ans. « J’ai essayé de partir définitivement, de retourner au village. Cela n’a pas marché. Au bout de quelques mois, j’étouffais, je ne trouvais pas ma place. Mes enfants me sont étrangers. Je ne me sentais bien qu’avec mes petits-enfants. Je n’ai plus d’amis au village. Ils sont morts ou font comme moi, des allers-retours. » Alors, Da Amar vit, chichement, avec 630 euros par mois, six mois en France et six mois dans sa Kabylie natale. « C’est très dur de n’avoir rien à faire, mais je m’ennuie moins ici qu’en Algérie. » Il ne veut pas s’épancher plus sur sa vie. « Je m’en sors », tranche-t-il sèchement. Fin de la discussion.

Une chambre comme unique chez soi

Entre Belleville et Couronnes, les chibanis (les « vieux », en arabe) occupent les rares bancs toute la journée quand il fait beau, ou forment de petits groupes qui, debout, commentent l’actualité de l’autre côté de la Méditerranée ou se remémorent leurs souvenirs. Si Boussaâd est un habitué des lieux. « Je ne vais au café que s’il pleut ou pour une partie de dominos. » Qui dure parfois tout l’après-midi. « J’ai été très déçu de mon retour au pays. J’ai réalisé que ce n’était pas le même que celui de mes vacances. Je n’y ai plus mes repères. Tout va très vite mais en même temps rien ne bouge. Mes enfants ont grandi et ne me parlent que de la fluctuation de l’euro sur le marché parallèle. C’est vrai que mon niveau de vie est très acceptable avec ma retraite là-bas, à Sidi Moussa, mais je n’ai pas l’impression de vivre. Je n’y retourne que l’été pour les mariages et les vacances des petits. »

Si Boussaâd habite dans un foyer Sonacotra, réservé normalement aux jeunes salariés. « Vous savez, tous les vieux du foyer refusent de rendre leur chambre. Ce serait comme divorcer entièrement de la France, sans possibilité de recours. Ce foyer est notre petite France à nous. Notre oasis de liberté. » Le mot est lâché : liberté. « Oui, liberté, s’emporte Si Boussaâd. Je suis plus libre que mes enfants restés au pays. Je vois comment ils me regardent, car je ne fais pas la prière, et j’aime prendre un coup de temps à autre. Ils sont plus intolérants que Khomeiny. Je ne tiens pas à vivre dans la maison que j’ai construite là-bas. C’est devenu une prison. »

« Je reste ici par dépit »

Son ami Mohand acquiesce de la tête. « Je me suis retrouvé dans cette situation absurde à cause d’un mauvais choix. J’aurais dû ramener ma famille quand le regroupement familial était encore possible. Je ne l’ai pas fait, car je croyais que mes enfants recevraient une meilleure éducation en Algérie et que pour l’avenir de mes filles c’était mieux qu’elles ne viennent pas en France. J’avais tort. Je le regrette énormément. Aujourd’hui, je suis un étranger pour eux. Je n’allais qu’un mois par an au bled, et des fois tous les deux ans. Croyez-vous que c’est possible de connaître ses enfants ? Non. Je me sens étranger sous mon propre toit. A part les sujets pratiques, il n’y a aucune discussion possible. Je reste ici par dépit, le temps de ramasser un peu d’argent pour acheter un fourgon pour l’aîné qui veut se lancer dans les transports de voyageurs. Ce n’est pas demain que je réunirai les 17 000 euros nécessaires. Je paie le prix fort de ma bêtise. »

Mohand ne fait pas de « folies ». Il dépense le strict minimum. Il cuisine sur une plaque électrique. « C’est interdit normalement, mais je n’ai pas le choix. Une fois payés la chambre, la nourriture et les frais quotidiens, il ne reste presque rien à mettre de côté. Ce n’est pas une vie. » Da Amar, Si Boussaâd et Mohand quittent les allées de Belleville. Il est presque 18 h. Ils vont se préparer à manger. Le quartier va enfin s’animer. Les jeunes branchés ont commencé à investir les lieux. Da Amar, Si Boussaâd et Mohand vont regarder la télévision toute la soirée. Le restaurant et le cinéma sont trop chers pour eux.

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