Human Rights Watch a publié ce mercredi un rapport qui accuse la Libye, avec l’aide de l’Italie, de fouler au pied les droits humains des migrants en situation irrégulière. Notamment de ceux qui souhaitent se rendre en Europe. Ces derniers, parmi lesquels des demandeurs d’asile et des réfugiés, seraient renvoyés vers leurs pays d’origine sans que leurs cas ne soient examinés.
« La Libye n’est pas un pays sûr pour les migrants, les demandeurs d’asile et les réfugiés », notamment pour ceux dont la destination finale est l’Europe en général, et l’Italie en particulier. Ce sont les propos tenus par Bill Frelick, directeur chargé de la politique des réfugiés à l’ONG américaine Human Rights Watch (HRW), à l’occasion de la publication, ce mercredi, du rapport intitulé « Stemming the Flow: Abuses Against Migrants, Asylum Seekers and Refugees (Endiguer la marée : Exactions à l’encontre des migrants, des demandeurs d’asile et des réfugiés) ». Le document dénonce les mauvais traitements – arrestations arbitraires, passage à tabac et violences sexuelles – infligés en Libye aux migrants en situation irrégulière, originaires pour la plupart d’Afrique sub-saharienne. Cela avec la complicité des autorités italiennes. L’ONG s’appuie sur le cas des demandeurs d’asile et réfugiés somaliens et érythréens.
Quand l’Europe sous-traite le contrôle de ses frontières
Pourtant le gouvernement libyen affirme n’expulser que des migrants économiques. Ce que réfute l’enquête d’HRW menée en avril et mai 2005. De fait, la Libye n’ayant pas ratifié la Convention de 1951 sur les réfugiés – en dépit de la présence sur son territoire d’une représentation du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), n’est pas en mesure de faire la part des choses. Entre 2003 et 2005, ce sont ainsi 145 000 étrangers qui ont été rapatriés manu militari dans des conditions suffisamment précaires pour causer la mort de certains. Le pays, où transite la majorité des clandestins qui franchissent les frontières italiennes, bénéficierait du soutien de l’Italie.
« Un accord bilatéral, signé en 2004, entre la Libye et l’Italie existe. Le gouvernement italien a refusé de le rendre public en dépit des requêtes d’organisations comme la nôtre et du Parlement européen. Selon cet accord, dont on ne connaît pas la teneur exacte, la Libye aurait pour mission de superviser les flux migratoires en renvoyant vers leurs pays d’origine les migrants qui sont expulsés d’Italie. Nous savons qu’elle a affrété de nombreux charters vers la Libye », explique Reed Brody, conseiller juridique à Human Rights Watch. Selon le juriste, l’approche italienne participe d’une philosophie qui, depuis deux décennies, ne cesse de faire des adeptes au sein de l’Union Européenne : l’externalisation du contrôle des migrations.
La Libye ne veut plus accueillir toute la misère de l’Afrique… sub-saharienne
Ainsi, le dernier rapport de l’ONG américaine indique qu’entre août 2003 et décembre 2004, le gouvernement de Silvio Berlusconi aurait financé le rapatriement en avion vers la Libye de 5 688 personnes en situation irrégulière. De même, alors qu’elle violait la législation internationale en matière de droit des réfugiés, l’Italie aurait procédé, le 14 juillet 2003, à la mise en place d’un décret qui l’autorise à intercepter, voire à renvoyer vers le port d’origine des navires transportant des migrants, dont des réfugiés et des demandeurs d’asile.
Depuis 2000, constate le rapport d’HRW, la volonté de la Libye de maîtriser son immigration a coïncidé avec celle de l’Union Européenne d’endiguer l’afflux migratoire dont elle fait l’objet ces dernières années. Aussi la xénophobie ambiante fragilise davantage les migrants sub-sahariens face à la politique répressive engagée par la Jamahiriya arabe libyenne à leur égard. Il fut pourtant une époque (bénie) où ceux-ci y étaient les bienvenus : ils sont plus d’un million sur une population totale d’environ 5 millions d’âmes. La récente décision de l’Italie de ne plus expulser ses immigrés clandestins vers des pays qui n’ont pas ratifié la convention sur les réfugiés devraient en rassurer plus d’un. A noter que le cas libyen n’est pas sans rappeler, même s’il n’est pas comparable, les accords conclus entre l’Espagne et le Sénégal qui, dans la soirée de ce mercredi, renverra 1 000 clandestins sénégalais chez eux. La lutte contre l’immigration clandestine est, semble-t-il, l’un des rares domaines (si ce n’est le seul) où la coopération Nord-Sud semble fonctionner à merveille.