La vie, la liberté et la recherche du bonheur sont des droits garantis par la Constitution aux Etats-Unis, mais lorsque les immigrants se lancent à la conquête du pays de la Statue de la liberté, leur séropositivité peut diminuer leurs chances de vivre le rêve américain.
En 1987, le VIH a été déclaré « maladie dangereuse » et est devenu un motif d’interdiction du territoire américain à l’égard des personnes immigrant aux Etats-Unis, ou visitant le pays. Néanmoins, en 1990, le Congrès a adouci ses propos et, le VIH n’étant plus dès lors considéré comme « dangereux », mais « transmissible ».
Sous l’administration Clinton, l’interdiction a été levée et les réfugiés séropositifs étaient acceptés sur le territoire.
Cependant, selon Todd Pilcher, avocat principal de la Whitman-Walker Clinic, un des centres de soins et de traitement VIH les plus renommés de Washington, la législation continue de faire débat.
« En 1990, les responsables et les activistes étaient fortement embarrassés car, d’une part, le VIH était un motif d’interdiction du territoire, et de l’autre, la 6e Conférence internationale sur le sida était organisée à San Francisco et de nombreuses personnes voulant y participer étaient refoulées à la frontière », a expliqué Todd Pilcher. « Depuis 1990, nous n’avons jamais été les hôtes d’une conférence internationale sur le sida de cette ampleur », a-t-il poursuivi.
Le service juridique de la clinique a vu le jour en 1986 afin d’aider, en particulier, les personnes séropositives à résoudre les problèmes juridiques qu’elles rencontraient à cause de leur statut sérologique (discrimination au travail, accès aux soins médicaux privés, planification successorale, etc.). Aujourd’hui, la clinique dispose d’un service de l’immigration complexe, qui prend de l’ampleur.
Selon les résultats d’une étude menée par le Migration Policy Institute (MPI), en début d’année, quelque 35 millions d’émigrés vivent actuellement aux Etats-Unis, et ils représentent un peu plus de 12 pour cent de la population. Douze millions de ces immigrés sont illégaux.
« Pour les personnes séropositives, notamment celles qui viennent de pays en développement, il est très important qu’elles légalisent leur statut, ici, aux Etats-Unis », a indiqué M. Pilcher. « Certains ne peuvent pas retourner dans leur pays d’origine car ils n’ont pas accès aux traitements là-bas ».
En 1996, un mémorandum produit par le Service de l’immigration et de la naturalisation (INS en anglais) de l’époque a reconnu que la séropositivité pouvait être considérée comme une affiliation sociale, qui donnait lieu à des persécutions. En conséquence, une personne séropositive pouvait formuler une demande de droit d’asile en raison de son état de santé.
Selon le Département de la Sécurité intérieure, qui a endossé, en 2003, les responsabilités autrefois assumées par l’INS, les réfugiés proviennent principalement de trois pays d’Afrique : la Somalie, le Liberia et l’Ethiopie.
La Somalie enregistre un taux de prévalence du VIH faible – 0,9 pour cent de la population adulte est porteuse du virus. En 2006, le ministère de la Santé du Liberia estimait à 5,3 pour cent le taux de prévalence national. L’Ethiopie, quant à elle, affiche un taux de prévalence de 6,6 pour cent. Au Liberia et en Ethiopie, seule une minorité des patients dont l’état de santé nécessite un traitement y ont accès.
Les réfugiés
Le manque d’accès au traitement ne constitue que l’un des motifs avancés par Raul Hernandez lors de sa demande d’asile.
« Lorsqu’on formule une demande d’asile, il faut démontrer que la personne court un risque élevé d’être maltraitée ou blessée si elle reste dans son pays », a expliqué Stephanie Hogan, avocate chez Holland & Knight, un cabinet juridique de Washington, qui s’occupe de l’affaire pro bono.
« Notre objectif visera essentiellement à démontrer cette crainte, en nous fondant sur des expériences antérieures et sur ce qui attend [Raul Hernandez] s’il rentre dans son pays. Une des raisons pour lesquelles il craint de rentrer chez lui maintenant est le manque de traitement dont il a besoin », a déclaré Mme Hogan, au nom de son client, qui n’était pas disponible pour livrer ses commentaires.
« Nous avons axé notre plaidoyer sur trois points : [notre client] est séropositif, il est homosexuel et il a été déclaré dissident politique car il a quitté le pays », a-t-elle ajouté.
Raul Hernandez, un trentenaire qui a grandi dans l’île conservative de Cuba, a souvent été victime d’intolérance. A l’âge de 18 ans, il gardait une arme artisanale dans sa table de nuit, dans une école secondaire publique.
Bien qu’il n’ait jamais affirmé ouvertement son homosexualité, son orientation sexuelle a commencé à alimenter les bruits de couloir, qui se sont parfois transformés en actes de violence physique. Cependant, dans la crainte d’être expulsé de l’école, Raul Hernandez a gardé le silence.
A l’université, Raul Hernandez a connu la même violence. En 1992, il a quitté Cuba pour le Brésil avec un permis de visiteur.
« Il ne comptait pas rester [au Brésil], mais une fois arrivé dans ce pays, il s’est rendu compte qu’il n’était pas confronté aux mêmes types de discrimination et de harcèlement qu’il avait connus à Cuba, et c’est alors qu’il a pris sa décision », a précisé Mme Hogan.
Après s’être rendu aux Etats-Unis avec son partenaire en 2000, M. Hernandez a demandé la citoyenneté américaine conformément à la Loi d’ajustement cubain, qui octroie des moyens spéciaux aux ressortissants cubains pour obtenir la résidence permanente américaine. Selon Stephanie Hogan, conformément à cette loi, les ressortissants cubains ont beaucoup moins de preuves à fournir dans leur dossier que les demandeurs d’asile.
Cependant, Raul Hernandez, qui a par la suite découvert sa séropositivité, a appris que l’interdiction d’immigration visant les personnes séropositives s’appliquait également à la Loi d’ajustement cubain. En conséquence, son seul espoir de rester en toute légalité aux Etats-Unis reposait sur l’obtention du droit d’asile.
Au cours des six dernières années, les Etats-Unis ont limité le nombre de réfugiés qu’ils acceptaient à 70 000 chaque année, soit 70 pour cent de moins qu’il y a 27 ans, lorsqu’ils ont ouvert leurs portes pour la première fois aux réfugiés, selon le MPI. En outre, la loi antiterroriste mise en place en 2001 a compliqué la tâche des éventuels demandeurs d’asile.
Toujours d’après le MPI, les Etats-Unis continuent d’accueillir le plus grand nombre de réfugiés au monde : en 2005, près de 60 pour cent des dossiers soumis par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) ont été acceptés. Le Canada, deuxième plus importante terre d’accueil des réfugiés, accepte près de 15 pour cent des dossiers soumis par le HCR.
Lorsqu’ils formuleront la demande d’asile, M. Hernandez et Mme Hogan devront avancer une multitude de preuves devant le responsable des demandes d’asile, toutefois, la séropositivité de M. Hernandez ne constituera pas un problème.
Les immigrants
Avec les modifications apportées à la loi relative aux réfugiés, les organisations telles que l’Ethiopian Community Development Council (ECDC), basée à Washington, doivent se conformer à de nouvelles règles. L’ECDC compte parmi les 10 organisations nationales qui travaillent pour le Département d’Etat des Etats-Unis et aident les réfugiés à s’installer dans leur nouveau pays.
Tori Wolan, directrice des opérations de l’ECDC, a indiqué que compte tenu des nouvelles règles, conjuguées à des règlements relatifs au statut sérologique moins stricts qu’autrefois, les choses étaient souvent plus simples pour des réfugiés séropositifs que
« Les réfugiés qui reçoivent de l’aide pour s’installer dans leur nouveau pays reçoivent également des traitements – cela fait partie de l’entente », a-t-elle déclaré. « Nous ne devons pas oublier que même s’ils jouissent d’un statut différent, les immigrants sont confrontés aux mêmes problèmes et n’ont pas d’assurance [médicale] ».
Selon la législation américaine, les réfugiés ont droit à huit mois d’assurance santé publique, au moment de leur entrée sur le territoire.
Conformément à l’interdiction d’immigration visant les personnes séropositives actuellement en vigueur et à la Loi sur la nationalité et l’immigration, les ressortissants étrangers séropositifs peuvent uniquement obtenir la résidence permanente, également connue sous le nom de « carte verte », s’ils disposent d’une dérogation. Les immigrants peuvent notamment obtenir une dérogation en prouvant que des membres de leur famille proche vivent aux Etats-Unis.
« De nombreux clients tentent d’obtenir la carte verte en prouvant qu’ils ont de la famille ou un emploi aux Etats-Unis. Certains clients qui souhaitent obtenir cette dérogation ont peut-être gagné au loto [organisé chaque année par l’administration pour gagner une ‘carte verte’] et doivent démontrer qu’ils ont un conjoint, une conjointe, un enfant ou un parent qui vit aux Etats-Unis et a la nationalité américaine ou est un résident permanent légitime », a expliqué Todd Pilcher.
Les plus chanceux qui sont en mesure de prouver qu’ils ont de la famille proche aux Etats-Unis et qui reçoivent une dérogation, doivent, à l’instar des réfugiés, démontrer que leur statut sérologique ne constitue aucune menace de santé publique nationale.
Pour M. Pilcher, cette mesure est une relique datant des débuts de la pandémie – époque à laquelle la transmission du VIH n’était pas très bien comprise.
« C’est assez facile de prouver que vous ne constituez pas une menace de santé publique, mais il s’agit d’une démarche quelque peu humiliante pour nos clients », a regretté M. Pilcher. « Imaginez avoir à demander à une ressortissante éthiopienne âgée de 70 ans de signer une déclaration dans laquelle vous lui demandez de parler de sa séropositivité, d’expliquer la manière dont elle vit afin de ne constituer aucune menace pour autrui, et d’indiquer qu’elle sait que le virus se transmet par les fluides corporels. »
Pour les personnes qui ne sont pas en mesure de démontrer que des membres de la famille proche vivent aux Etats-Unis, peu de démarches peuvent être entreprises.
« La plupart du temps, ils n’ont droit à rien. Ils entrent aux Etats-Unis illégalement, ou bien ils y restent après l’expiration de leur visa, ou ils n’ont pas de famille proche qui vit aux Etats-Unis, mais seulement un partenaire du même sexe qu’eux, et dans une telle situation, nous ne pouvons rien faire », a indiqué M. Pilcher.
Parfois, c’est la stigmatisation et l’humiliation qui dissuadent les immigrants à demander l’asile, et les contraignent à vivre dans l’illégalité. Dans une telle situation, les immigrants font face à deux choix : l’expulsion ou une vie en marge de la société américaine.
« Nombreux sont les gens qui vivent cachés, au jour le jour, en espérant ne pas se faire arrêter par les autorités, et en rêvant à une sorte d’amnistie, car ils ne seront jamais capables de rentrer chez eux », a conclu Todd Pilcher.
Source Irin