Îles Eparses : mouvements d’humeur devant l’ambassade française à Antananarivo


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îles Eparses (DR)

Alors que le débat sur les Îles Eparses, sur lesquelles Madagascar revendique la souveraineté au détriment de la France, semble marquer le pas depuis quelques mois, des Malgaches ont décidé de se faire entendre sur la question, à travers des manifestations organisées, ce vendredi, devant l’ambassade de France à Antananarivo.

L’ambassade de France à Antananarivo a été, hier vendredi, le théâtre de manifestations organisées pour exiger une avancée dans les discussions qui se mènent, depuis des années, entre les autorités françaises et malgaches. Sur les banderoles arborées par les manifestants, on peut lire des messages comme : « Les îles malagasy : stop au colonialisme », « Français, lors des prochaines élections, ne soyez plus complices d’un Président démagogue et néo-colonialiste ».

Des manifestations sur fond de promesses en péril

Ces manifestations tiennent au fait qu’à quelques jours de la fête nationale malgache qui se célébrera le 26 juin, les lignes n’ont pas bougé, contrairement à ce qui était retenu en mai dernier, pendant que le Président malgache, Andry Rajoelina, était en visite en France. En effet, à l’occasion de cette visite, le Président malgache avait insisté sur l’importance de ces îles pour son pays. « Aujourd’hui, il y a encore une réalité qui nous fait mal. L’appartenance des Îles Éparses est une question d’identité nationale. Il faut trouver une solution. Et c’est dans ce sens, au nom du peuple malgache, que je demande solennellement et officiellement à Monsieur le Président de trouver une solution pour la gestion ou la restitution des îles Éparses à Madagascar ».

A ces propos d’Andry Rajoelina, Emmanuel Macron avait répondu en ces termes : « Ce que nous lançons aujourd’hui, c’est un travail conjoint, totalement partenarial, politique et administratif sur ce sujet afin de bâtir une solution commune. Et je crois que l’objectif que nous pouvons légitimement viser, c’est que pour les célébrations du 20 juin de l’année prochaine, cette solution soit trouvée ».

Et les deux chefs d’Etat ont alors convenu de la création d’une « commission mixte » afin de trouver une solution consensuelle, sans faire appel à des instances internationales à ce problème qui remonte à 1973. La première rencontre de la commission se tient à Antananarivo, le 18 novembre 2019. Jusque-là, le délai de juin pour parvenir à un accord n’est pas remis en cause. Mais entretemps, les tergiversations qui ont précédé la tenue de la deuxième assise de la commission censée se tenir en France ont duré jusqu’à ce que toute rencontre devienne impossible, avec les restrictions imposées par la pandémie de Covid-19. 

Devant le silence, les Malgaches s’inquiètent et croient de moins en moins au respect de l’échéance de juin, surtout que la France ne s’est jamais privée de poser des actes sujets à polémiques. 

Les actes de « défiance » de la France

En visite sur Grande Glorieuse, l’une des cinq îles Eparses, le 23 octobre 2019, le Président Emmanuel Macron a lâché cette phrase : « Ici c’est la France, c’est notre fierté, notre richesse », qui n’a pas manqué de susciter des réactions côté malgache.
En mai 2020, alors que le Président malgache a relancé le débat, après des mois de silence renforcé par la pandémie de Covid-19, la partie française pose un deuxième acte majeur. Le ministre de la Transition écologique lance, pour trois semaines, une consultation publique au sujet d’un projet de décret relatif à la création de la « réserve naturelle nationale de l’archipel des Glorieuses ».

Comme on pouvait s’y attendre, Antananarivo s’oppose au projet. Le ministre des Affaires étrangères, Liva Djacoba Tehindrazanarivelo, monte au créneau, non sans avoir convoqué l’ambassadeur de France : « Le projet du gouvernement de la République française est ainsi un acte de défiance envers Madagascar et va à l’encontre de l’engagement des deux parties à poursuivre le dialogue dans un esprit positif. L’État malgache s’oppose fermement au projet de création d’une réserve naturelle nationale sur l’archipel des Glorieuses par le gouvernement de la République française, ainsi qu’à tout autre acte unilatéral susceptible de porter atteinte de manière directe ou indirecte au droit souverain de Madagascar sur ces îles », lâche-t-il.

Ces actes sont de nature à accroître l’inquiétude du côté de Madagascar. En témoignent ces propos d’un des manifestants qui ne comprend pas l’immobilisme des autorités malgaches devant les actes français, et s’en prend vertement au Président Andry Rajoelina: « Tu avais parlé de restitution et tu avais dit « rassemblons nos forces, aidez-moi ! » Etait-ce seulement de belles paroles ? Face aux actes de défiance de la France, on ne voit pas d’action de la part des autorités. Qu’est-ce qui empêche l’Etat malgache de sortir un décret qui spécifie que ces îles, qui sont dans le zone économique exclusive de Madagascar, nous appartiennent ? Les autorités peuvent promulguer une loi qui dit que l’on intègre ces cinq îlots dans les régions les plus proches de notre pays ».

Mais pourquoi la France s’accroche-t-elle aux îles en dépit de la Résolution de l’ONU ?

Après la saisine des Nations Unies par Madagascar qui a commencé par revendiquer la souveraineté sur les Îles Eparses depuis 1973, l’ONU a pris, en 1979, une résolution demandant à la France de restituer les îles à Madagascar ou à défaut, d’entamer les négociations dans ce sens. Mais depuis, la France résiste. Elle sait qu’elle n’a pas intérêt à ramener la question devant les instances internationales qui, en fait, avaient déjà tranché le débat. Donc elle joue au dilatoire, surfant sur le manque de fermeté des autorités malgaches pendant un moment. 

Il faut aussi comprendre que ces îles sont situées sur une importante route maritime qui permet de relier l’Asie et le Moyen-Orient à l’Europe et à l’Amérique, et comportent une zone économique exclusive (ZEE). De même, il y a des soupçons de présence de gisements d’hydrocarbures. En plus, les îles étant inhabitées, donc inviolées par l’homme, présentent un écosystème unique. De quoi aiguiser l’appétit des autorités françaises.

Affaire à suivre.

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Par Serge Ouitona, historien, journaliste et spécialiste des questions socio-politiques et économiques en Afrique subsaharienne.
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