Les Noirs, considérés comme les « sous-hommes des sous-hommes », ont également payé un macabre tribu dans les camps de concentration nazis pendant la seconde Guerre mondiale. Auteur du livre Noirs dans les camps nazis, Serge Bilé, journaliste à RFO, revient pour Afrik sur une partie négligée de l’Histoire.
Journaliste à RFO Martinique, Serge Bilé est l’auteur d’un livre sorti début janvier et dont tout le monde parle : Noirs dans les camps nazis. L’ouvrage dévoile un rouage jusque-là inconnu de la machine d’extermination hitlérienne : la déportation des Noirs. En 1995, Serge Bilé réalisait un documentaire sur le même sujet, tièdement accueilli par les médias. Mais aujourd’hui, “la France tombe des nues”, s’étonne l’écrivain qui nous fait partager les grandes lignes de son livre.
Afrik.com : Est-ce la première fois qu’on parle de Noirs déportés dans les camps de concentration?
Serge Bilé : Non. Les premiers écrits ont commencé aux Etats-Unis dans les années 50. Il existe d’ailleurs à Washington un musée de l’Holocauste qui consacre une salle sur la condition des Noirs sous le IIIème Reich. Mais en France, jusqu’à présent, le sujet n’était jamais sorti des cercles communautaires, c’est-à-dire les milieux antillais, africains ou noirs-américains qui ont eu connaissance de cet épisode de l’Histoire.
Afrik.com : Qui étaient ces Africains que les nazis ont envoyés dans les camps ?
Serge Bilé : Il vaut mieux utiliser le terme de Noir, “ neger ” en allemand, parce que c’est ce mot qui est employé dans les textes de loi de Nuremberg. Ces Noirs vivaient donc en Allemagne. Ils étaient 24 000 afro-allemands issus des colonies allemandes d’Afrique (Namibie, Togo, Cameroun). Il y avait aussi des Antillais, mais très peu, ainsi que des artistes noirs-américains, en particulier des jazzmen. Ces derniers avaient fuit la ségrégation américaine pour l’Europe. Les Noirs ont été la première cible de la discrimination nazie. Hitler s’est d’abord employé à éliminer ceux qu’il appelait les “ bâtards de la Rhénanie ”, c’est-à-dire les enfants de soldats noirs et de femmes allemandes. Après la défaite de 14-18, le pays rhénan se voit occupé par des troupes belges, françaises, dont une partie était issue des colonies, donc d’Africains. Hitler considérait cette occupation comme une souillure pour le sol allemand.
Afrik.com : Les nazis réservaient-ils un traitement particulier aux Noirs dans les camps de concentration ?
Serge Bilé : L’horreur était la même pour tout le monde. Mais les Noirs étaient considérés comme les sous-hommes des sous-hommes, entre le singe et le juif. C’étaient des bêtes.
Afrik.com : Combien d’Africains ont été déportés et reste-il des survivants ?
Serge Bilé : On ne connaîtra jamais les chiffres exacts, car les déportés noirs étaient comptés selon leur nationalité d’origine qui était celle de leur colonisateur. Il ne faut pas oublier que les colonies étaient encore en place après la guerre. Je pense qu’entre 10 000 et 30 000 Noirs sont morts dans les camps. Je ne connais actuellement qu’un seul survivant, John William, d’origine ivoirienne. Mais maintenant que le sujet est médiatisé, peut-être que les langues vont commencer à se délier.
Afrik.com : Les nazis avaient-ils promulgué des lois de discrimination raciale spécifiquement envers les Noirs, comme ils l’avaient fait envers les juifs ?
Serge Bilé : Oui. Mais elles sont issues d’un seul et même texte, les lois de Nuremberg, qui ne s’appliquaient pas qu’aux juifs. Dès les années 30, les Noirs sont interdits de vie publique, on leur retire leurs papiers, les étudiants ne peuvent plus assister aux cours… Si les lois étaient enfreintes, les gens étaient déportés. La seule différence dans ce système racial est que les juifs portaient l’étoile jaune et les Noirs étaient stérilisés. Les Noirs vivant dans les pays conquis par l’Allemagne étaient arrêtés pour des faits de résistance ou pour appartenance au communisme, et non par racisme comme en Allemagne.
Afrik.com : Le gouvernement de Vichy a-t-il participé à la déportation des Noirs ?
Serge Bilé : Les Noirs en France ont juste subi des brimades et des humiliations. Par exemple, tous les députés d’Outre-mer étaient cantonnés à Vichy et il leur était interdit de rejoindre la capitale. D’ailleurs, le parlementaire guyanais Gaston Monnerville s’est opposé au fait que les Noirs soient privés de liberté de circuler. Vichy n’arrêtait pas les Noirs du fait de leur origine raciale mais pour leurs actes, tels Isidor Alfa, communiste d’origine antillaise ou Dominique Mendy, un résistant sénégalais.
Afrik.com : Vous parlez également dans votre livre de l’existence de camps de concentration en Afrique au début du siècle dernier dans les colonies allemandes, donc avant les camps nazis de la Seconde Guerre Mondiale. Ce fait était-il déjà connu ?
Serge Bilé : Oui bien sûr, des historiens, notamment africains, avaient établi l’existence du génocide des Hereros en Namibie par le colonisateur allemand en 1904. La nouveauté que j’apporte est que le premier gouverneur de Namibie, Heinrich Goering, qui a organisé la répression des Hereros et la construction des camps, est le père du futur bras-droit d’Hitler. J’ai aussi montré l’existence d’un docteur, Hoegen Fisher, qui a mené des expériences médicales sur ces gens enfermés dans les camps en Namibie. Lorsqu’il est rentré à Berlin, Fisher a eu comme assistant Joseph Mengele, lequel deviendra plus tard le bourreau d’Auschwitz.
Propos recueillis par Valentine Lescot
Pour acheter le livre : Serge Bilé, Noirs dans les camps nazis, éditons Du rocher, 2005.