Jacques Chirac, et Jean Pierre Elkabbach (à l’origine de la rencontre entre l’ancien président français et Jacques Kerchache auteur de l’Art Africain) ont fêté, le 13 avril dernier, les 10 ans de l’entrée de l’art africain au Louvre à travers 108 chefs-d’œuvre. Stéphane Martin, Président du musée du quai Branly, s’est associé à cette émouvante rétrospective et se félicite que « La victoire de Samothrace et la Venus de Milo cohabitent aujourd’hui avec la maternité rouge dogon ou avec le serpent à plume « Quetzalcoatl ».
Le Louvre, le plus grand musée du monde qui attire le plus grand nombre de visiteurs sur la planète (8,5 millions en 2009), s’est offert il y a dix ans le Pavillon des sessions, entièrement dédié aux « arts premiers », après bien des pérégrinations et résistances dont les médias français se sont fait l’écho (il compte 6 millions de visiteurs à ce jour).
L’exposition : un voyage manifeste dans l’antre de l’humanité L’exposition s’étalant sur 1400 m2 regroupe une centaine de chefs-d’œuvre (108) sélectionnés par Jacques Kerchache pour leur identité singulière et leur valeur esthétique. Les sculptures classées géographiquement nous font voyager de l‘Afrique à l’Océanie en passant par l’Asie et les Amériques, via les transitions volumétriques et les éclairages adroits imaginés par Jean Michel Wilmotte. Par exemple, « La cuillère zoulou » sculptée en bois (19ème siècle, région de Kwazulu-Natal, Afrique du Sud), évoquant les formes gracieuses d’une fine silhouette féminine, ou « Le siège cérémoniel » Taino, en bois (14-15ème siècle) taillé dans un tronc de gaïac, évoquant une divinité zoomorphe, autrefois réservée aux grands chefs des iles d’Hispanoia aux Grandes Antilles. (Voir photos). Pour les plus assoiffés de liberté, le musée propose des bornes interactives appelées « Ilots de la liberté » qui évoquent la mémoire de l’esclavage par les portraits de figures ayant marqué les formes de révolte. Le pavillon des sessions du Louvre offre un plongeon esthétique et chargé de symboles dans 6000 ans d’histoire de l’humanité. |
Les « arts premiers », surnommés autrefois « art primitif », « art nègre », ne semblaient alors pas dignes de séjourner au Louvre, malgré la richesse de leurs œuvres et la portée culturelle des civilisations d’Afrique, d’Océanie, d’Asie et des Amériques, trop longtemps méprisées. Ce dédain, sans doute, préfèrerait-on croire, était dû à l’ignorance et à la peur de la différence. Ils allaient tout de même bénéficier de l’opposition de certains scientifiques et intellectuels de renom qui se mobilisèrent (via des pétitions, et manifestes) pour que le Louvre soit ouvert au monde entier – aussi bien par ses visiteurs que par les œuvres qu’il abrite. Parmi eux, citons Jacques Kerchache qui publia le manifeste Les chefs d’œuvres du monde entier naissent libres et égaux.
Cette lutte, menée par des écrivains, artistes, scientifiques, collectionneurs, et chefs d’Etat a porté ses fruits. Des sculptures emblématiques des « arts premiers » ont été érigées au pavillon des sessions. Un pavillon, qui selon Jacques Chirac, a « gardé intacte la force esthétique et scientifique en tant que porteur d’un message ».
Tout a commencé dès 1995, à l’époque Jacques Chirac, président de la république, expliquait qu’il ne s’agissait pas d’un caprice de collectionneur, mais bel et bien d’un acte engagé et fortement politique destiné à réhabiliter les trésors des 3/4 de l’humanité… Rappelons qu’en 1827, le musée Dauphin avait été créé, regroupant la marine et l’ethnographie, c’est-à-dire des sculptures et objets divers rapportées par les grands voyageurs et explorateurs de l’époque, comme Cook, Bougainville et Lapérouse. Le musée de l’ethnographie créé en 1878 allait poursuivre le recensement de ces « curiosités exotiques », jusqu’à ce qu’entre 1905-1906, la vision fortement influencée par les dadaïstes et cubistes s’oriente vers un regard plus acéré appréciant l’Art Nègre (Terme désignant à l’époque l’Art Africain et Océanien). Un siècle de débats et polémiques plus tard, la conviction forcenée de ces artistes allait non seulement rendre ses lettres de noblesses à l’Art Premier, et aussi lui apporter une légitimité artistique par la reconnaissance de ses formes comme élément central du patrimoine universel.
Ils ont mené la lutte pour la reconnaissance des arts premiers et leur entrée au Louvre André Malraux : « Beaucoup veulent l’art nègre au Louvre : il y entrera ». Guillaume Apollinaire « Le Louvre devrait recueillir certains chef d’œuvres exotiques dont l’aspect n’est pas moins émouvant que celui des beaux spécimens de la statuaire occidentale ». Jacques Kerchache : « Je ne pense pas que le Louvre du 21ème siècle pourra être vraiment un grand musée s’il ne comporte pas une section importante consacrée aux arts premiers, dont les sculptures africaine font partie ». Jacques Chirac « Pour les pays d’origine des œuvres, il était important de voir leurs cultures enfin reconnues et dignes d’êtres présentées dans ces murs ». |