Le 7 janvier 1957 démarrait, en Algérie, la Bataille d’Alger. Une bataille que l’armée française a remportée contre les indépendantistes algériens du Front de libération nationale engagés dans une campagne d’attentats dans la capitale. Mais en pratiquant la torture pour parvenir à ses fins, l’honneur de l’institution militaire française a été entaché, ainsi que celui de la IVème République qui a couvert ses exactions. 50 ans après, face à la torture en Irak, les Américains furent confrontés à la même problématique.
Début 1957, cela fait déjà plus d’un an – 20 août 1955 – que les nationalistes algériens du Front de libération national ont lancé leur insurrection générale contre la France et les Algériens modérés. Mais depuis le milieu de l’année 1956, ils commencent à déplacer les combats du maquis vers la capitale pour faire plus de bruit. La question algérienne est débattue à l’ONU mais n’avance pas, et les discussions secrètes menées durant l’été 1956 entre les deux parties ont été rompues. Le 30 septembre 1956, le FLN frappe la communauté européenne au coeur d’Alger, dans la rue d’Isly, au Milk Bar, à l’Otomatic et à la Cafeteria. Les attentats font des dizaines de morts, blessés et mutilés et retentissent jusque Paris.
3 024 disparus
Devant l’incapacité des autorités civiles à faire respecter l’ordre, le 7 janvier 1957, Robert Lacoste, ministre résident en Algérie, confie les pleins pouvoirs de police pour la région d’Alger au général Massu et à ses 8 000 parachutistes. Pour « pacifier » Alger et démanteler les réseaux de poseurs de bombe, la 10e Division parachutiste ne se fixe aucune limite et emploie largement la torture : torture à l’électricité ou gégène, baignoire, pendaison…
Le FLN lance un appel à la grève générale pour le 28 janvier 1957 mais l’armée brise le mouvement en forçant les échoppes à rouvrir. Au stade d’Alger, à El-Biar, au casino de la Corniche, les indépendantistes du FLN poursuivent leur campagne d’attentat. Mais sur ce point encore, la répression aveugle de l’armée française commence à porter ses fruits. Les coupables comme les suspects sont torturés, parfois exécutés, et les hommes du général Massu reconstituent la pyramide qui mène à la direction du FLN à Alger. Jusqu’à l’arrestation du chef du FLN à Alger, Yacef Saadi, le 24 septembre 1957. 3 024 personnes sur 24 000 assignées à résidence ont disparu durant la Bataille d’Alger, selon Paul Teitgen, le secrétaire général chargé de la police à la préfecture d’Alger.
Les justes
Réprouvant les méthodes utilisées pour parvenir à ces résultats, le général Jacques Pâris de la Bollardière, un héros de la libération de la France, demande le 28 mars 1957 d’être relevé de ses fonctions. Il écope de quinze jours d’emprisonnement, deux semaines plus tard. Le 12 septembre 1957, Paul Teitgen donne à son tour sa lettre de démission à Robert Lacoste, où il écrit : « Je ne me permettrais pas cela dénoncer ces tortures] si je n’avais pas vu au camp [camp de détention au sud d’Alger] de Paul Cazelle les traces profondes de ces mêmes sévices que j’ai subis de la part de la Gestapo ». Des propos rapportés par l’historien Pierre Vidal-Naquet, aujourd’hui [décédé, et qui a tôt pris position contre la guerre en Algérie. Il fait partie des intellectuels qui réclament la vérité sur la disparition du militant anticolonialiste Maurice Audin, enlevé en juin 1957 par l’armée française.
Les paras de Massu n’ont rien inventé en Algérie. La torture a été dénoncée dès 1955 dans la presse française et, selon Pierre Vidal-Naquet, elle a existé avant même l’insurrection du 20 août 1955. Mais les partis ne réagissent pas et le gouvernement de Guy Mollet (SFIO, Section française de l’Internationale socialiste) fait la sourde oreille. « Le symbole de ce « totalitarisme mou » a été Guy Mollet, pour lequel j’ai gardé une haine farouche ! » explique Pierre Vidal-Naquet dans une interview accordée en 2000 au journal Le Monde. Son bureau débordait, en 1956, de dossiers sur la torture en Algérie et il osait affirmer qu’il ne s’agissait que de cas isolés ! »
L’histoire se répète en Irak
En juillet 1957, une commission d’enquête installée trois mois plus tôt par le Premier ministre socialiste rend un rapport accablant sur les pratiques de l’armée en Algérie, mais le journal Le Monde est saisi lorsqu’il en publie quelques extraits. En France, quelques intellectuels dénoncent la torture, Jean-Jacques Servan-Schreiber, le patron de L’Express, publie ses carnets, intitulés Lieutenant en Algérie, dans lesquels il dénonce les pratiques de certains militaires… mais le travail de mémoire n’a jamais été réalisé – pas plus qu’en Algérie.
Il faut ainsi attendre 2003 pour que la télévision publique française diffuse le film « La bataille d’Alger », réalisé en 1965 par Gilles Pontecorvo (décédé le 12 octobre 2006). Il avait reçu le Lion d’Or à la Mostra de Venise en 1966, avait été primé au Festival de Cannes et sélectionné aux Oscars. En 2003, le Pentagone l’aurait même projeté aux officiers américains en partance pour l’Irak. Ils sont aujourd’hui confrontés à la torture comme les Français l’étaient en Algérie. « En ce sens, explique l’historien Benjamin Stora à L’Express.com, dans son édition du 5 janvier, le parallèle à faire entre hier et aujourd’hui n’est pas avec la guerre du Vietnam mais bien avec la guerre d’Algérie. »
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Photo extraite du film « La bataille d’Alger »