L’Afrique a les moyens de produire suffisamment de riz pour faire face à la demande de la population. Mais tous les gouvernements du continent ne s’en donnent pas les moyens et préfèrent importer la précieuse céréale au lieu de promouvoir sa culture par leurs producteurs nationaux. C’est en tout cas l’avis du Dr Gouantoueu Guei, responsable des ressources génétiques et des semences au Centre du riz pour l’Afrique en Côte d’Ivoire.
Dans certains pays africains, le riz devient une denrée rare. Rare, et chère. Comme en Guinée ou à Madagascar, où la hausse du prix de la céréale est régulièrement rapportée par les médias locaux. Les premières victimes de ces soubresauts du marché sont les consommateurs, qui, pour certains, ne peuvent plus payer leur aliment de base. Une situation qui n’a pas de raison d’être, selon le Dr Gouantoueu Guei, responsable en Côte d’Ivoire des ressources génétiques et des semences au Centre du riz pour l’Afrique de l’Association pour le développement de la riziculture en Afrique de l’Ouest (Adrao). Il nous explique pourquoi il estime que l’auto-suffisance rizicole est surtout une affaire de volonté politique.
Afrik.com : L’Agence des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture indique que la production mondiale de riz recule. Comment l’expliquez-vous ?
Gouantoueu Guei : Le problème se situe au niveau de l’Asie. Les terres sont utilisées pour d’autres cultures, les gens quittent les campagnes pour les villes et changent d’activité… Comme ce continent est le plus gros producteur, la baisse de sa production a forcément une influence de poids sur la production mondiale.
Afrik.com : Qu’en est-il de la production africaine ?
Gouantoueu Guei : Contrairement à ce qui se passe en Asie, la production africaine de riz augmente. Le problème est qu’elle ne parvient pas à suivre la demande des populations. Il y a un fort décalage entre le taux de production et la demande, ce qui pousse à l’importation.
Afrik.com : Si la production mondiale baisse, les pays africains paient plus cher leurs importations de riz…
Gouantoueu Guei : Certains pays importent énormément, comme le Nigeria, le Sénégal et la Côte d’Ivoire. Cela entraîne la dépense de beaucoup de devises étrangères. Mais si les pays investissaient dans des moyens de production et de développement rizicoles, au lieu de se baser sur les importations, ils pourraient réduire leur dépendance vis-à-vis de l’extérieur. C’est un gage de sécurité, car on ne sait jamais ce qui peut se passer sur le marché international.
Afrik.com : Les gouvernements choisiraient-ils alors l’importation comme une solution de facilité ?
Gouantoueu Guei : Tout à fait. Et c’est aussi une façon de s’enrichir. Ceux qui obtiennent les licences d’importation, et qui sont très proches des décideurs, font d’importants bénéfices. Cela leur rapporte plus d’argent d’importer que de faire le nécessaire pour que les producteurs cultivent dans de bonnes conditions. Avec un matériel adéquat et des semences de qualité pour qu’ils produisent en quantité.
Afrik.com : L’achat d’infrastructures n’est-il pas trop coûteux ?
Gouantoueu Guei : Beaucoup de responsables et d’organisations disent qu’il est plus coûteux d’investir dans des infrastructures que d’importer. Ce qui n’est pas complètement vrai. Il est sûr qu’investir sur le court terme ne permet pas d’amortir les dépenses. Mais sur le long terme, les avantages peuvent être considérables. Il faut donc investir suffisamment dans la riziculture irriguée.
Afrik.com : Cela est-il possible dans des pays sahéliens ?
Gouantoueu Guei : Oui. La Mauritanie a par exemple deux millions d’hectares réservés à la culture du riz irrigué, chose rendue possible grâce au fleuve Sénégal qui y passe. Le Mali a aussi une surface importante utilisée pour le riz irrigué. De même qu’au Burkina Faso. Si le pays a peu d’eau, il y a toujours un lac ou une rivière qui peut en offrir assez, même pour une surface réduite.
Afrik.com : Le problème de pénurie de riz est donc aussi lié à une mauvaise utilisation de l’eau ?
Gouantoueu Guei : En Afrique, 40% de l’eau est utilisée pour l’agriculture. 30% l’est au Maghreb, et notamment en Egypte, et 7 à 10% en Afrique sub-saharienne. Tout le potentiel hydraulique n’est pas exploité. La Guinée, par exemple, est un réservoir de pluie ce qui se prête à la culture du riz, mais les investissements n’existent pas. Les paysans se débrouillent et produisent un riz peu compétitif et en petite quantité. C’est un peu la même chose en Sierra Leone.
Afrik.com : Les organismes génétiquement modifiés (OGM) de riz sont-ils une option pour régler ce problème ?
Gouantoueu Guei :Il y a deux camps qui s’opposent sur cette question. D’un côté, certains disent que les OGM peuvent résoudre le problème. De l’autre, les opposants disent que l’on ne sait pas ce que va donner cette technique, qu’il faut être prudent car les risques pour l’environnement et l’homme ne sont pas encore clairs. A l’Adrao, nous disons que les OGM ne sont ni bons ni mauvais et qu’il faut les utiliser si aucune autre solution ne fonctionne. Toujours en faisant attention aux règles de sécurité.
Afrik.com : Des essais d’OGM de riz ont-ils eu cours en Afrique ?
Gouantoueu Guei : Nous avons commencé un programme de transformation du riz en Angleterre, mais nous n’avons pas fait d’essais sur le continent car les pays, à par le Mali et la Côte d’Ivoire, n’ont pas de législation sur cette question.
Afrik.com : Dans certains pays, on assiste à des hausses du prix du riz à intervals rapprochés. Ceux qui n’ont pas les moyens d’en acheter changent-ils leurs habitudes alimentaires ?
Gouantoueu Guei : Ceux qui n’arrivent à payer se tournent vers d’autres cultures comme le manioc, les bananes plantain ou les ignames. Il faut aussi noter que tous les pays africains n’ont pas comme aliment de base le riz. Il représente au contraire pour eux un aliment d’appoint.
Afrik.com : En Guinée, par exemple, une cargaison de riz a été pillée par une population excédée. La pénurie de riz peut-elle causer des troubles sociaux sérieux ?
Gouantoueu Guei : Si les pays africains ont les moyens d’importer suffisamment de riz ( comme le Nigeria, le Sénégal et la Côte d’Ivoire) pour assurer l’apprivoisement des marchés, il n’y a aucun risque. Dans la situation contraire, je ne peux pas estimer le degré des troubles qui peuvent se produire.
Afrik.com : Un marché noir du riz s’est-il développé en raison de la pénurie ?
Gouantoueu Guei : S’il y en a, je ne suis pas au courant.
Afrik.com : Que dire de la spéculation sur le riz ?
Gouantoueu Guei : Il y a une spéculation au niveau du marché. Lorsqu’il y a pénurie, en raison d’un problème au niveau des exportateurs, ils augmentent les prix. Une situation qui, en général, ne dure pas si les importations suivent.