Les députés tchadiens ont adopté le 26 mai dernier une modification constitutionnelle qui lève la limitation des mandats présidentiels, auparavant fixée à deux. Le Président Déby, dont le parti est à l’origine de l’initiative, voit justement son mandat prendre fin en 2006. Mais la diaspora tchadienne se mobilise pour qu’il ne puisse pérenniser son régime. La modification doit maintenant être approuvée par référendum.
« Je ne serai pas candidat à l’élection présidentielle de 2006. Je ne modifierai pas la constitution, quand bien même j’aurais une majorité de cent pour cent. Je le dis haut et fort : ce qui me reste à faire au cours de mon dernier mandat, c’est de préparer le Tchad à l’alternance au pouvoir, une alternance démocratique, pacifique, sans rupture. Je veux que ce pays passe d’une étape à une autre, en douceur, sans déchirure. Voilà la responsabilité qui sera la mienne. Je l’assumerai » Ces propos, emprunts d’une immense sagesse, sont ceux du Président tchadien Idriss Déby. Ils ont été rapportés par le journal Le Monde, daté du 4 juin 2001, c’est à dire un mois après que l’ancien général, dans des circonstances dénoncées par l’opposition, se soit vu confier un second mandat à la tête de l’état tchadien. Le dernier que la Constitution qu’il a lui-même initié l’autorisait à mener.
Pourtant, les députés tchadiens ont adopté, le 26 mai dernier, une révision constitutionnelle qui lève la limitation des mandats présidentiels. Et nul ne peut croire au Tchad que l’initiative pourrait ne pas profiter au Président Déby. D’autant que c’est son parti, le Mouvement patriotique du Salut (MPS), qui en est à l’origine. La modification constitutionnelle ne sera effective qu’après que les citoyens tchadiens l’auront approuvée par référendum. Mais l’opposition, notamment la diaspora, est bien décidée à ne pas la laisser passer.
La transition confisquée
Le Comité de Réflexion et d’Action pour la Paix entend ainsi mobiliser toute la diaspora tchadienne en France, aux Etats-Unis, au Sénégal, en Allemagne, au Canada et partout où elle se trouve, pour exprimer son refus de cette modification. Pour son premier coup d’éclat, le Comité organise un sit-in devant les ambassades du Tchad, le 19 juin, dans tous les pays qui en sont dotés. De nombreuses autres opérations seront organisées dans le futur afin de pousser les Tchadiens à « dire non à Déby ». La coordinatrice du Comité en est convaincue, « 90% des votes iraient contre le régime Déby si le référendum était transparent ».
« Ce n’est pas le principe d’une absence de limitation de mandats que nous critiquons, explique Annette Laokolé, mais dans ce cas précis, le seul objectif du Parlement est de pérenniser un régime barbare. Ce qui rendrait l’alternance au pouvoir impossible ». Pour sa part, le porte-parole du MPS explique qu’« après six ans d’exercice du pouvoir, le parti s’est rendu compte que la Constitution votée en 1996 n’était plus de mise ». Conscient des griefs de l’opposition, il explique justement que l’ancien texte permettait de poser des « barrières », de prendre des « précautions contre des abus, tel l’accaparement du pouvoir, qui ne pourraient plus se produire aujourd’hui » !
Chirac en sponsor
Après Omar Bongo, Lansana Conté, Zine el Abidine Ben Ali, Gnassingbe Eyadéma, et peut-être avant Mathieu Kérékou, Idriss Déby sera sans doute le prochain chef d’Etat africain à avoir fait modifier la Constitution pour conserver son pouvoir. Tous ces chefs d’Etat ont introduit des limitations de mandats présidentiels à leur Constitution, au début des années 1990, lorsque les pays occidentaux conditionnaient leur collaboration à une ouverture démocratique. C’est ainsi, deux ans après avoir accédé au pouvoir par un putsch, qu’Idriss Déby a engagé une transition démocratique au Tchad, notamment en autorisant le multipartisme. Un régime multipartite où les opposants sont néanmoins restés très surveillés. Mais les temps ont changé. Et beaucoup de voient pas la modification consitutionnelle d’un mauvais oeil, comme l’ancienne puissance coloniale française. L’Elysée se réfugie derrière le caractère « démocratique » d’un tel amendement voté par les députés. Ce même chef d’Etat qui visité son ami Ben Ali, en décembre dernier, pour le féliciter de la conduite de la politique dans son pays. « Le premier des droits de l’Homme, a-t-il expliqué, c’est de manger, d’être soigné, de recevoir une éducation et d’avoir un habitat. De ce point de vue, il faut bien reconnaître que la Tunisie est en avance sur certains autres pays ».
Le Président togolais avait promis à son ami français, en 1998, qu’il ne se représenterait pas aux présidentielles de mars 2003. Jacques Chirac a pourtant été le premier à féliciter Gnassingbé Eyadéma lors de sa réélection, alors que les résultats n’avaient pas encore été officialisés. L’opposition criait à la fraude et l’Union européenne n’avait même pas daigné envoyer d’observateurs, tant les résultats ne faisaient aucun doute. Sur la question tchadienne, la diplomatie française a maintenu la même ligne. En visite à N’Djamena le 28 mai dernier, le ministre délégué à la Coopération, Xavier Darcos, a déclaré à la radio nationale que la France n’avait rien à redire sur la modification de la Constitution, puisqu’elle avait été adoptée par la voie légale. « Ce que les Tchadiens doivent comprendre par ce soutien, estime Annette Laokolé, est qu’il ne faut pas compter sur la France. Ils doivent se battre eux mêmes pour se libérer du régime d’Idriss Déby ».