Henri M’bengue, 29 ans, informaticien autodidacte, effectue au moins un voyage en Afrique par mois, où il conseille les grands groupes locaux comme MTN ou Eutelstat et compte y ouvrir, en 2015, une société informatique pour limiter la fuite des talents vers l’Occident. Portrait.
Il est galanterie. On croirait voir l’acteur noir américain Sydney Poitiers dans la comédie romanesque et pétillante Devine qui vient dîner ? séduisant en quelques heures seulement sa future belle-famille blanche dans une Amérique où les mariages mixtes étaient encore tabous. Henri M’bengue a cette élégance et cette civilité qui ravissent toute marieuse. C’est un jeune homme qui n’a quasiment que des qualités.
Quand on lui fait la remarque, il en sourit. Pas que son ego soit flatté, mais parce qu’il est gêné. Comme si au final, il était surpris de voir son charme opérer; comme si enfin, il allait pouvoir pousser un ouf de soulagement, se débarrasser de son costume noir impeccable, sa chemise blanche soigneusement repassée et ses chaussures bien cirées. Enfin, le personnage va céder la place à la personne, se surprend-on à rêver. Deux petits fours avalés et un verre d’eau plus tard, son ton n’a pas changé, sa voix est toujours égale. « Je n’ai pas envie de me perdre », glisse-t-il. Ou encore « peu importe d’où l’on vient, ce qui importe ce sont les valeurs qu’on a ». Excessif ? Prétentieux ? Naïf ? Crédule ? Les interrogations se perdent dans les salons de la chaîne de télévision Canal+ à Paris où on le rencontre, en même temps que se joue le quart de finale de Coupe du Monde entre le Ghana et l’Uruguay. On ratera la première mi-temps.
« C’est le gendre idéal »
Henri M’bengue est le prototype du gendre idéal, à la fois objet de moqueries et de railleries dans les couloirs de bureaux et sujet de jalousies, tant on aimerait lui ressembler. Il est de ceux qui hantent les conversations de filles désabusées par les infidélités de Dom Juan et autres métrosexuels. Il est grand, très grand même (1,92m), athlétique (il fait de la marche à pied et entretient régulièrement son corps dans une salle de muscu). Il a un « bon job », gagne au moins 4.000 euros nets par mois. Il ne boit pas, ne fume pas. Il n’est pas footeux, plutôt que de regarder la télévision, il préfère lire la biographie de Nelson Mandela – Longue marche vers la liberté – devenue son livre de chevet et son guide quotidien. « Nelson Mandela m’apprend à privilégier la découverte personnelle des autres et non à les juger sans les connaître », lance-t-il. Il ne jure plus que par des formules qu’on attribuerait fort volontiers à un ecclésiastique. Morceau choisi: « le plus important dans la vie est d’aider les autres ». Quand on se réjouit d’avoir trouvé une ombre dans ce tableau idyllique, en l’entendant répéter que sa priorité « c’est mon travail », il se rattrape aussitôt: « si je trouve une fille qui n’est pas superficielle, les choses peuvent changer. Je cherche un équilibre ». L’occasion était trop belle. Tant pis, on aura essayé.
Né à Dakar d’une mère franco-libanaise, serveuse dans un café, et d’un père commissaire de police, Henri M’bengue quitte la capitale sénégalaise à 4 ans et n’y remettra les pieds qu’en 2004 pour se réconcilier avec un père, qui l’a abandonné aux premières difficultés matérielles. Papa Mbengue aura d’autres enfants d’un second lit. Henri ne les connaît pas.
« Je pensais que j’étais un cancre »
Avec sa mère et sa soeur, ils s’installent dans un studio à Aubervilliers en région parisienne en 1984. Ils changeront d’appartement une seule fois. Sa mère tient un petit commerce qui fera faillite. Henri n’est pas brillant à l’école. En 1996, il obtient un CAP de logistique et de magasinier à l’école logistique de Gennevilliers. Il tait sa passion pour l’informatique, d’ailleurs personne ne croit en lui. Un magasinier peut-il devenir un geek, surnom des mordus d’informatique ? Son cousin va l’encourager. De 1997 à 2000, il est en contrat de qualification en alternance dans une société informatique. C’est là que tout s’enclenche.
Remarqué par un responsable qu’il accompagne lors d’une mission chez un client, le magasinier passionné de l’intégration de PC et de serveurs et de l’installation de logiciels se voit proposer de rejoindre l’équipe Informatique. Il touche au but. Commence une reconversion qui va le mener en 2001 chez l’un des grands noms du secteur -Capgemini- avant d’être débauché cinq ans plus tard par une société concurrente, Sogeti. Il y gère deux équipes entre chefs de projets et techniciens. « Je pensais que j’étais un cancre », résume Henri Mbengue. Sur son CV, figurent Bouygues Telecom, Eutelstat ou encore la mairie de Sartrouville, en région parisienne.
Henri M’bengue a emprunté l’ascenseur social tout en restant à l’abri des embrouilles, qui obstruent souvent les itinéraires des jeunes des quartiers difficiles. Pourtant, « je vivais dans une cité, mais bon je devais aider ma mère », raconte-t-il. C’est le seul moment où il parlera de la cité et de son lot de désoeuvrés, voire de laissés-pour-compte. Il est contre les discours fatalistes. Il leur oppose les actes, l’action ; convaincre qu’on peut transformer ses points faibles en avantages indiscutables ; que tout un chacun peut réussir socialement si on l’y encourage.
« J’aimais l’argent mais j’en suis revenu »
Henri M’bengue en cinq dates :
1980: il naît en juillet à Dakar 1984: il arrive en France 1997: débute un contrat de qualification en alternance dans une société informatique 2001 : il rejoint le géant des services informatiques Capgemini 2015: ouverture prévue de sa société au Sénégal |
Il veut créer une société informatique et de conseils en Afrique. La date d’ouverture, 2015, a déjà été retenue. Le lieu aussi. Ce sera au Sénégal. Objectif : limiter, dit-il, la fuite des cerveaux africains vers l’Occident. On veut le croire, le suivre dans cette entreprise. « Il y a beaucoup de potentiel en Afrique, il faut juste le faire comprendre aux gens sur place. Qu’ils en soient conscients. Qu’ils sachent qu’ils peuvent faire des choses dans ce beau continent », argue-t-il.
Depuis quelques années, il enchaîne des allers retours entre Paris et l’Afrique dans le cadre de partenariats entre son employeur et des grosses entreprises locales, comme l’opérateur Télécoms MTN en Côte d’Ivoire. « Avant j »étais dans mon monde, concentré sur la technique, j’aimais l’argent mais j’en suis revenu ». On lui fait remarquer qu’il a la dernière version du smartphone multi fonctions d’Apple, l’iPhone 4, sortie il y a à peine un mois et demi, et une gourmette certes discrète mais coûteuse. Il n’aura pas de réponse convaincante. « La route est encore longue », emprunte-il encore à Nelson Mandela…
On ressert la question moult fois posée pendant le rendez-vous: A-t-il un défaut ? « Mes amis me disent que je ne profite pas suffisamment de la vie « . On vous l’avait dit, Henri M’bengue est un gentleman… idéal.