Baka Ròklò, jeune dramaturge haïtien, livre Ida, un monologue âpre et lumineux écrit dans l’urgence d’un pays, Haïti, étouffé de violence et de misère. La pièce se joue sur la scène du Tarmac de la Villette, à Paris, jusqu’au 23 juin.
Un homme, seul dans une case à l’intérieur de laquelle la pluie goutte et fait tinter une collection de fûts métalliques. Il se rappelle Ida, qui l’a quitté, et à travers elle tous les maux qui rongent son île, Haïti. Cet homme à la chevelure hirsute et au muscle sec, dont on ne connaît ni le nom ni l’âge, est interprété par Guy Régis Junior dit Baka Ròklò, l’auteur de la pièce. L’homme est désœuvré. L’homme est en colère. L’homme a faim et subit le spectacle d’une abondance indécente livrée à domicile par le poste de télévision. « J’allais encore dormir le ventre creux alors qu’à la télé publique, le simple temps d’une pause publicitaire, une chaîne américaine me faisait visiter une montagne de nourritures chocolatées », constate-t-il, dépité, pris au piège d’une existence hors contrôle.
Comment vivre lorsqu’on a l’estomac vide ? Lorsqu’on a perdu celle que l’on aime ? Lorsque les politiques se contrefichent de la misère et de la violence dans lesquelles sombrent leurs administrés ? « Monsieur le député, grossissez-vous toujours au nom du peuple ? Monsieur le député, vous sentez-vous plus proche des déshérités derrière vos vitres teintés ? … » En dépit d’une charge de colère et de détresse, Ida est un monologue plein de poésie et d’humour – comme savent l’être les peuples de la Caraïbe dans les temps difficiles.
Un long cri mis en scène
Ida n’était pas destinée à être jouée sur les planches. « Ca a jailli comme ça. Ce n’était pas une pièce, mais une parole que je voulais dire debout. J’avais imaginé la dire à la radio ou à la télé, et puis ça s’est fait au théâtre », nous a confié Baka Ròklò, avant d’ajouter qu’il écrivait « des bouts plutôt autonomes, et puis le fil ça a été Ida ; car c’est l’amour qui nous tient dans ce beau pays. »
C’est ce mélange explosif de désirs, de rages et de désespoir qui a séduit Noël Jovignot, metteur en scène et directeur artistique de l’association Textes en paroles dont le concours de théâtre de la Caraïbe a distingué Ida en 2004. Il s’était attaqué à la création de la pièce lorsqu’il est décédé, un an plus tard. Ruddy Sylaire lui a succédé et après un mois de résidence à l’Artchipel, la Scène nationale de la Guadeloupe, il présente, au Tarmac de la Villette, une mise en scène pleine de trouvailles qui restitue la douloureuse complexité du réel haïtien. « Comment dire sa colère quand le ridicule tue ? Comment maintenir l’urgence, la lumière rouge allumée ? En Haïti, on dit qu’on pleure sous la pluie pour qu’on ne nous voie pas. On ne voit pas les colères, mais elles sont là », estime Ruddy Sylaire dont la gageure a été de « rendre le texte plus visible, de le mettre en chair et en volume ».
Avec Ida, Baka Ròklò, fondateur du collectif NOUS Théâtre et rénovateur de l’art dramatique haïtien, a produit un texte fort et brillant dont la violence pourrait heurter certains. Mais à ceux-là, il rappelle que « les hommes qui vivent mal, ils mordent… »
Ida, de Baka Ròklò, jusqu’au 23 juin, au Tarmac de la Villette, Parc de La Villette, 75019 Paris. Texte, jeu, images vidéo : Baka Ròklò. Mise en scène : Ruddy Sylaire et Noël Jovignot. Scénographie : Jean-Claude Champannay. Bande-son : Manu Faivre
Photo : l’affiche de la pièce, réalisée par Pascal Colrat