Le très attendu Hors la loi de Rachid Bouchareb a fait sa grande première internationale ce vendredi à Cannes où il est en compétition officielle. Son réalisateur franco-algérien est revenu sur la controverse générée par ce long métrage qui évoque, entre autres, le massacre du 8 mai 1945 à Sétif, en Algérie. Pour lui, il n’est pas question de faire de son film « un champ de bataille » quand son intention est de nourrir le débat que suscite en France le passé colonial algérien.
« L’abcès est percé », a déclaré ce vendredi matin le cinéaste franco-algérien Rachid Bouchareb à la suite de la projection de son film Hors la loi en compétition officielle au festival de Cannes. C’est le moins que l’on puisse dire d’une fiction qui a défrayé la chronique avant cette présentation officielle et qui a vocation, selon son réalisateur, à « ouvrir un débat » dans « la sérénité ». « Je (sais) (…) que les relations, par rapport au passé colonial, entre la France et l’Algérie, restent très tendues (…). Mais que ça suscite une telle violence autour du film, j’estime que c’est exagéré ». Il s’est également indigné de ce que « tellement de choses » aient été dites sur le film sans qu’il n’ait été vu et affirmé qu’il avait été « attristé » par cette situation.
Un important dispositif de sécurité a été mis en place pour encadrer la projection du film qui a donné lieu, ce vendredi, à Cannes, à une manifestation d’anciens combattants « en hommage aux victimes françaises de la guerre d’Algérie ». Rachid Bouchareb souhaite pour sa part, à travers ce film, que « le passé colonial de la France puisse être débattu » pour aller vers « une vraie rencontre ». Car les générations futures ont besoin « de passer à autre chose ».
Fils d’Algérie dans la tourmente de l’histoire
Hors la loi retrace, sur une quarantaine d’années, le destin de trois frères algériens – Abdelkader (Sami Bouajila), Messaoud (Roschdy Zem) et Saïd (Jamel Debbouze) – emportés dans la guerre d’indépendance qui aboutira à la fin de la colonisation française en 1962. A Paris, l’intellectuel de la famille, Abdlekader, deviendra un des leaders du Front de libération nationale (FLN), mouvement que rejoint son frère Messaoud après son retour de la guerre d’Indochine. Passionné de boxe et résolu à ne pas croupir dans la misère, Saïd choisit, lui, la pègre. L’indépendance devient une cause familiale, assumée pour Messaoud et Abdelkader, mais imposée à Saïd. L’une des scènes du film, au tout début du long métrage de plus de deux heures – la description des massacres de Sétif qui est à l’origine de la polémique – va inconditionnellement sceller le destin de la fratrie. Rachid Bouchareb rend compte d’une guerre où tous les coups sont permis entre militants indépendantistes algériens et responsables français, prêts à tout, d’un côté pour l’indépendance, de l’autre pour le maintien de l’empire colonial.
Selon Rachid Bouchareb, Hors la loi parle de « la violence politique », celle inhérente à toute révolution. Le réalisateur décrit son œuvre comme « un voyage dans le passé colonial » et se défend d’avoir fait « un film politique ». Certes, dit-il, « on écrit une histoire (…) avec des repères historiques (…) douloureux pour tout le monde », mais « c’est d’abord le cinéma qui me motive et qui a motivé les acteurs ». Pour Jamel Debbouze, acteur et producteur du film, la polémique atteste seulement du fait que Rachid Bouchareb est « en résonance » avec son temps. « Pour aborder l’avenir, poursuit le comédien, il faut bien avoir fait le point sur le passé ».
La France, considère Rachid Bouchareb, « ne peut pas se permettre de rester dans une situation déséquilibrée » avec ses anciennes colonies parce que le passé colonial demeure délicat à évoquer. « Le film est fait pour ça ». Et le réaliser, comme il lui a été suggéré ce vendredi, n’est en rien un acte courageux. « Ce n’était pas du courage, c’était faire du cinéma », a-t-il répondu.
Cependant, quand il est question d’Algérie, Rachid Bouchareb semble prédestiné à être objet de controverse. Hors la loi est accusé d’être un film « anti-français », un qualificatif qui a été en son temps associé à Indigènes, se souvient le réalisateur qui a retrouvé sur sa dernière œuvre la même équipe de comédiens. Le long métrage avait obtenu un prix d’interprétation pour l’ensemble du casting masculin à Cannes en 2006. Rachid Bouchareb a d’ailleurs profité de la tribune offerte ce vendredi pour interpeller le secrétaire d’Etat aux Anciens combattants sur le fait « que les promesses qui (leur) ont été faites n’ont pas été tenues entièrement ».
Aucune pression de la part de la France ni de l’Algérie
Plutôt français qu’anti-français ce Hors la loi. « La France l’a coproduit, ça veut dire qu’il y a beaucoup de gens qui n’ont pas de problème avec le passé », considère Tarak Ben Ammar, coproducteur tunisien qui attend pour sa part le jugement du public. Le film Hors la loi a été financé en majorité par la France et à hauteur de 25% par l’Algérie dans le cadre d’un accord de coproduction entre les deux pays. « Ce film a été coproduit par deux ministères sur la même idée, sur le même projet », explique Rachid Bouchareb. « Contrairement à ce que l’on pourrait penser, en Algérie, on ne m’a jamais posé de problème par rapport à tout ce que j’ai pu écrire. Et même si j’ai parlé de violence politique (…), on n’a pas demandé à changer une chose dans mon film. » De même, le cinéaste a démenti la rumeur selon laquelle Matignon serait intervenu pour que le film ne concourt pas sous pavillon français à Cannes.
Et de prévenir : « Je ne discuterai pas avec les gens qui veulent faire du film un champ de bataille et l’utiliser pour des raisons qui leur sont personnelles » parce qu’« il y a eu trop de violence dans le passé. Il y en a dans le film. On ne va pas, en dehors de l’écran, remettre ça ». «Chacun a son histoire dans la grande histoire», insiste Rachid Bouchareb. « Mon film a la place pour tout le monde».
L’équipe du long métrage Hors la loi, habituée aussi des marches du festival, présentera ce soir le film, vu aussi à Alger ce vendredi. Les spectateurs français le retrouveront sur leurs écrans en septembre.