Samia Messaoudi et Mehdi Lallaoui ont fait paraître un livre sur les Antillais de France: Antillais d’ici : les métro-caraïbéens (éditions Au nom de la mémoire, 2010). Il contient, outre une introduction historique, une vingtaine d’interviews d’hommes et de femmes originaires des Antilles, connus ou anonymes, et exerçant les métiers les plus divers: responsables associatifs, animateurs de radio, élus locaux, artistes, conducteur de métro, députée, etc… Samia Messaoudi nous a accordé un entretien.
Samia Messaoudi et Mehdi Lallaoui, Algériens d’origine tous deux, sont fondateurs de l’association “Au nom de la mémoire”, qui effectue depuis plusieurs années un travail formidable autour de la valorisation de l’immigration en France, notamment par l’édition de livres, accompagnés de photos, autour de l’histoire de l’immigration. On leur doit notamment la série, en 3 tomes, “Un siècle d’immigration en France”, qui s’était fait remarquer à sa parution. Ils sont les auteurs d’Antillais d’ici : les métro-caraïbéens. Entretien avec Samia Messaoudi, co-fondatrice de Beur FM, où elle anime de nombreuses émissions: l’intervieweuse interviewée…
Afrik.com : Comment est née l’idée de ce livre?
Samia Messaoudi : Je travaille sur les questions d’immigration depuis longtemps: nous avons fondé l’association Au nom de la mémoire il y a 20 ans, et nous publions des livres sur les immigrations en France. Dans “Un siècle d’immigration en France”, on passait en revue, depuis 1851, toutes les vagues d’immigration en France: les Italiens, les Polonais, les Maghrébins, les Africains, les Turcs…. Pour les Antillais, ça me titillait depuis longtemps. J’ai grandi à côté de beaucoup d’Antillais, à Levallois-Perret. Dans l’immeuble, nos voisins, étaient une famille antillaise. Le meilleur ami de mon frère était un Antillais. On entendait la langue créole, il y avait l’attachement à la langue, on sentait quelque chose de l’ordre de l’appartenance. Nous, nous avions notre attachement. Eux aussi. Puis je me suis installée dans le 20° arrondissement (de Paris). George Pau-Langevin, qui est députée socialiste, était adjointe au Maire. On se voit régulièrement. Elle nous a dit: “vous devriez faire un travail autour des Antillais de Paris, l’histoire, les dynamiques. On a besoin d’avoir un support comme ça”. On a dit: “banco!”. On est très attachés à la parole et aux témoignages, donc on a voulu aller les voir, les rencontrer.
Afrik.com : Comment avez-vous fait pour aller à leur rencontre?
Samia Messaoudi : Il y a deux espaces privilégiés: la fonction publique et l’espace associatif. 120.000 agents de la RATP sont Antillais. On a cherché à chaque fois des gens qui pourraient témoigner. Par exemple, pour la RATP, j’ai rencontré un conducteur de métro, qui m’a mené à des associations au sein de la RATP.
Afrik.com : Justement, la force de ce livre, et son originalité, ce sont ces témoignages, ces hommes et femmes qui racontent leur histoire, leur vécu…
Samia Messaoudi : Oui, les gens nous ont livré leur histoire, et leur histoire est émouvante. Leur histoire nous ressemble, à nous, Français d’origine algérienne ou maghrébine. Leur histoire nous rapproche. Par exemple Nita Alphonso, qui est responsable de l’association Madi & Kera, qui est une troupe de danses antillaises. Elle nous raconte comment elle est arrivée en France il y a 30 ans, par le bateau. Quand elle raconte et qu’elle se souvient, c’est comme si c’était hier: elle se rappelle le froid, l’inconnu. Ils sont Français. Mais la question qu’ils se posent en arrivant c’est: “comment vont-ils vivre ici?” Ils sont discriminés. Ils ont le poids de leur histoire, de leur vie en métropole: où on n’est pas Français à part entière, mais où on est Français entièrement à part. Beaucoup nous ont raconté les insultes qu’ils recevaient, comme “noiraude” ou “Tu es belle, dommage que tu sois noire”. Ces discriminations, ce vécu, ça résonnait avec tout le travail qu’on fait sur l’immigration depuis 20 ans.
Afrik.com : A travers votre livre, on découvre le pan associatif, très fort, des Antillais de France…
Samia Messaoudi : Oui, les Antillais ne veulent pas qu’on parle d’eux en évoquant seulement le punch et la biguine, comme cela arrive malheureusement encore. Beaucoup d’activités sont mobilisées sur leur passé: l’esclavage lointain, les discriminations raciales subies. Le secteur associatif est très dynamique. Parce que quand on arrive quelque part, on a besoin de se regrouper. Quand ils arrivaient, beaucoup habitaient des foyers: les foyers de la Poste, de la RATP… Le cousin accueillait celui qui venait de là-bas…
Afrik.com : Oui, mais il y a les jeunes générations, de plus en plus nombreuses, nées en métropole…
Samia Messaoudi : Oui, mais chez ces jeunes, il y a, presque encore plus que chez leurs aînés, le désir de s’approprier leur histoire. D’apprendre le créole par exemple. A l’amicale des DOM-TOM à la RATP, on donne des cours de créole, aux agents RATP, et à leurs enfants. Et il y a beaucoup d’associations pour apprendre le créole, de plus en plus, et de plus en plus de cours de danses créoles, etc… (Lors du Carnaval tropical de Paris, en juillet dernier, on pouvait apprécier le nombre important de troupes de danses et de musiques, et les organisateurs du Carnaval notent un public croissant chaque année, ndlr).
Afrik.com : L’attachement à la culture est l’une des choses qui vous ont le plus frappée, avant même la rédaction de ce livre…
Samia Messaoudi : Oui, l’attachement aux vêtements, à la musique, à la cuisine, en plus de la langue. Le carnaval antillais de Paris, par exemple, qui est l’un des moments forts de la vie de la communauté, a un sens historique: il est toujours pratiqué aux Antilles. Dans le défilé défilent toutes les régions des Antilles. Et les danses sont les danses que dansaient les esclaves, au son du tambour, et ils dansaient parfois les chaînes aux pieds. Donc un événement comme ça, ce n’est pas seulement la biguine et le madras… Et le jour du carnaval, le matin, il y a une messe antillaise: la messe des cuisinières. C’est une tradition de là-bas, reproduite ici.
Afrik.com :L’attachement à la culture conduit-elle certains à vouloir repartir aux Antilles?
Samia Messaoudi : On vit ici, on trouve sa place, mais le futur pour beaucoup est de repartir. Beaucoup font des allers-retours. Et beaucoup veulent finir leurs jours là-bas…
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