Grâce au travail d’historiens d’origine africaine comme Mme Olivette Otele, on sait que des Africains vivent en Europe et en particulier en Angleterre, depuis des siècles. Bien avant l’esclavage ! Nous avons récemment abordé le sujet pour les Pays-Bas, mais il est tout aussi intéressant de se pencher sur l’Angleterre, où on en connaît un peu plus l’histoire des personnes noires qui y ont vécu.
Des Africains présents dès l’Antiquité
Nous avons déjà évoqué la présence en Europe de personnages africains célèbres dans l’Antiquité, comme l’empereur romain Caracalla, parfois décrit comme un homme noir, ou le héros grec Memnon. Mais il est tout aussi intéressant de savoir que l’archéologie donne des preuves tangibles que des personnes d’ascendance africaine vivent en Angleterre depuis l’époque romaine. Nous avons ainsi l’exemple de la Dame au bracelet d’ivoire, dont le squelette a été découvert à York, en 1901. Elle vivait au IVe siècle après J.-C. On a pu déterminer qu’elle était d’origine africaine. Son squelette et les riches objets avec lesquels elle a été inhumée sont exposés au Yorkshire Museum.
Époque médiévale
Après 1066 et la dernière invasion réussie de l’île britannique (la bataille de Hastings), on pense généralement que le pays est habité uniquement par des Normands, des Anglo-Saxons et des Vikings. Cependant l’écrivain anglais médiéval Richard Devizes décrit Londres comme étant peuplée de Garamantes (Africains maures) et d’hommes de toutes nations qui remplissent toutes les maisons. Ces Africains sont décrits par divers termes tels que : Noir, Éthiopien (un mot utilisé à l’époque pour décrire tous les Africains), Maure et Blackamoore.
En 2013, un squelette est découvert à Fairford, dans le Gloucestershire, que l’anthropologie médico-légale révèle être celui d’une femme d’Afrique subsaharienne. Ses restes datent d’entre les années 896 et 1025.
Comme histoire connue grâce aux archives nationales, nous avons celle d’un certain Bartholomew, un Africain en fuite à Nottingham au XIIIe siècle. Il est mentionné dans le Pipe Roll (21 juin 1259), où il était appelé « Éthiopien » et « Sarrasin ». On suppose que ce Bartholomew était en route vers la ville de Nottingham pour échapper à l’autorité de son seigneur.
Débuts de l’Angleterre moderne
Les archives nous apprennent que, dans les années 1500, des Africains étaient présents de manière significative dans des villes comme Londres, Plymouth et Bristol, mais également à Derby, Leicester et Northampton. D’aucuns vivaient aussi dans des villages ruraux tels que Barnstable (North Devon), Holt (Worcestershire) et Hatherleigh (West Devon).
À cette époque, vers 1580, un tisserand de soie nommé Reasonable Blackman vivait à Southwart. Il a fui les Pays-Bas suite à la guerre entre des rebelles néerlandais et l’occupant espagnol. Nous devons aussi citer l’histoire d’une femme noire indépendante qui s’appellait Cattelena et vivait dans les années 1600 dans la campagne anglaise. Elle était célibataire et gagnait sa vie grâce à la vente des produits de sa vache. Son histoire est racontée, en 2021, par la BBC.
Esclavage et époque coloniale
Au XVIe siècle, l’esclavage est largement pratiqué dans les colonies européennes et dans les pays du continent, tout en fournissant un commerce lucratif. L’Angleterre n’a cependant jamais légalisé cette pratique, alors même que, de fait, elle existait. Le tristement célèbre amiral John Hawkins est le pionnier de la traite négrière en Angleterre, avec un premier voyage en 1554 et la formation d’un syndicat de riches marchands pour le commerce d’esclaves.
Par conséquent, en Angleterre, on trouve, à cette époque, des esclaves noirs aussi bien que des marchands, des cartographes ou des nobles africains ! Voici par exemple l’histoire d’Henrie Anthonie Jetto, baptisé à l’âge de 26 ans, en 1596. Il est décrit comme un Noir. Initialement, Jetto « appartenait » à Henry Bromley et vivait à Holt. Mais ce statut a changé. Au moment où Jetto rédige son propre testament, le 20 septembre 1626, il peut voter, possède des terres et se fait appeler Jetto de Holt.
Au XVIIIe siècle, la traite des esclaves devient un pilier économique majeur pour des villes comme Bristol, Liverpool et Glasgow. Comme pour les autres pays européens, ce commerce horrible et immoral est une source de richesses. Au milieu de ce siècle, on pense que 10 000 personnes noires, libres ou réduites en esclavage, vivent à Londres.
Le 25 mars 1807, l’Angleterre est un des premiers pays à interdire la traite des esclaves et la rend illégale dans l’ensemble de l’Empire britannique. Mais ce n’est que le 28 août 1833 que l’abolition est votée et devient effective.
Aujourd’hui, les Africains en Angleterre
Au recensement ethnique de 2021, les personnes à la peau noire représentent près d’un million et demi d’habitants au Royaume-Uni. C’est-à-dire 2% de la population. Il y a parmi eux des personnalités connues et influentes, comme l’acteur Idris Elba, la célèbre artiste peintre et écrivaine Lynette Yiadom-Boakye, Edward Enninful le rédacteur en chef sortant du British Vogue, ou encore le rappeur Stormzy. Chaque année, la Powerlist est établie par Powerful Media. Elle met en avant 100 personnalités d’origine africaine, afro-antillaise ou afro-américaine dans des domaines comme les arts, la science, les affaires.
L’écrasante majorité des personnes originaires d’Afrique ou des Caraïbes vivant en Angleterre habite à Londres ou dans le grand Londres. Par conséquent, comme dans la plupart des capitales européennes, il existe un quartier dans lequel on peut se plonger dans une ambiance chaleureuse et épicée. À Londres, il s’agit de Brixton, quartier populaire avec son grand marché afro-caribéen. On peut aussi y visiter les Archives culturelles noires, qui se surnomment elles-mêmes « la maison de l’Histoire des Noirs britanniques ». C’est un lieu incontournable à visiter pour qui souhaite approfondir le sujet de cet article.
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Nous terminerons avec cette conclusion : réaliser un travail historique et démontrer que les Africains ont toujours vécu en Europe, en particulier en Angleterre dans ce cas-ci, apportant comme tous les citoyens de nombreux bénéfices à leur pays de résidence, est essentiel. Vaincre les préjugés et le racisme, cela passe aussi par la mémoire et l’histoire. Ce travail semble aujourd’hui entamé dans ce pays, dans une certaine mesure, mais ce n’est certes qu’un début.
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