Hissène Habré : un chef de guerre devenu un dictateur sanguinaire


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Hissène Habré, ancien Président du Tchad
Hissène Habré, ancien Président du Tchad

La nouvelle de la mort de Hissène Habré, ancien Président du Tchad a été confirmée ce mardi 24 août 2021, au Sénégal, où l’homme dont l’histoire restera intimement collée à celle de son pays, même si ce n’est pas de la meilleure des façons, a été emporté par le Covid-19. Retour sur la vie de ce civil qui a troqué sa chemise contre un uniforme de chef de guerre.

C’est le 13 août 1942 que naquit Hissène Habré, à Faya-Largeau, une oasis située au cœur du désert du Djourab, au pied des monts du Tibesti, dans le nord du Tchad. C’est dans ce désert, que le futur chef d’État passera son enfance, au sein des bergers nomades toubous, du clan Anakaza Gorane. Élève intelligent, il ira poursuivre ses études en France, à partir de 1963, après avoir été nommé sous-préfet de Moussoro par le Président François Tombalbaye, dans le cadre de la mise en œuvre de la politique d’africanisation des postes administratifs. Il fréquenta l’Institut des hautes études d’outre-mer, puis l’Institut d’études politiques, et étudia, entre autres, le droit, lut Frantz Fanon, Che Guevara et Raymond Aron.

L’enfant du désert transformé en chef rebelle

Après presque dix années passées en France, Hissène Habré rentre au Tchad, en 1972, et rejoint le Front de libération nationale du Tchad (FROLINAT) – un mouvement créé en 1966 par Ibrahim Abatcha pour lutter contre le régime « sudiste » du Président Tombalbaye, accusé de discriminer les Tchadiens musulmans, ressortissants du Nord, du Centre et de l’Est –. Le jeune étudiant, rentré fraîchement de France, devient un chef rebelle qui se rend célèbre après la prise en otage, la torture et l’exécution par ses hommes, du commandant Pierre Xavier Galopin, dépêché par Paris pour négocier la libération d’autres otages français dont l’ethnologue Françoise Claustre.

Lorsque le FROLINAT arrive à dégager, en 1979, du pouvoir le général Félix Malloum dont il était pourtant le Premier ministre, Hissène Habré prend le poste de ministre de la Défense dans le Gouvernement d’unité nationale de transition (GUNT) dirigé par son ex-rival, Goukouni Oueddei. Comme on pouvait s’y attendre, la collaboration entre les deux hommes que tout opposait – Goukouni Oueddei était un pro-Kadhafi et Hissène Habré, un anti-Kadhafi affirmé – fut de courte durée. En mars, 1980, c’est la rupture. Les deux camps s’affrontent, et Hissène Habré s’empare de la capitale, N’Djamena. Mais les troupes de Goukouni Oueddei, appuyées par la Libye, réussissent à repousser Hissène Habré et ses hommes. Renforcé par le soutien de la France et des Etats-Unis qui n’ont pas du tout apprécié l’annonce faite par Goukouni Oueddi, en janvier 1981, de fondre le Tchad avec la Libye, Hissène Habré le renverse, le juin 1982.

L’homme aux 40 000 victimes

En renversant Goukouni Oueddei, Hissène Habré s’installe au pouvoir pour huit longues années de règne, marquées par la terreur, œuvre d’une dictature sanglante à laquelle ne viendra mettre un terme que le coup d’État de l’un des anciens proches du Président Habré, un certain colonel Idriss Déby, en 1990. Les opposants réels ou supposés étaient traqués, arrêtés, soumis aux tortures les plus cruelles et exécutés. À la manœuvre, la fameuse Direction de la documentation et de la sécurité (DDS), la tristement célèbre police politique créée par Hissène Habré à cette fin. Au total, au moins 40 000 Tchadiens ont été supprimés par cette machine à tuer, laissant au moins 80 000 orphelins, selon la Commission d’enquête mise en place au Tchad.

Tout ceci s’est passé alors que le régime tortionnaire avait le soutien total des Etats-Unis et de la France qui lui a d’ailleurs permis, grâce à l’opération Épervier, de chasser, en 1987, la Libye de Mouammar Kadhafi du Nord du Tchad. Grisé par l’appui dont il bénéficiait de Washington, Hissène Habré a voulu s’affranchir de Paris qui n’a pas hésité à lui retirer son soutien désormais dévolu à son ancien chef d’état-major entré en rébellion, le colonel Idriss Déby. Avec l’entrée, le 1er décembre 1990, de ses troupes à N’Djamena, le Président tortionnaire prend la fuite pour trouver refuge au Sénégal, avec un pactole de 7 milliards de francs CFA volés au Trésor public tchadien, selon Human Rights Watch. De quoi s’assurer un exil doré dont il jouira pendant une vingtaine d’années, avant que le vent ne tourne.

De l’exil doré aux ennuis judiciaires

Installé à Dakar, dans le quartier huppé des Almadies, Hissène Habré a longtemps mené une vie tranquille. Il s’est bien intégré à la communauté dans laquelle il vivait, au point de prendre pour troisième épouse une Sénégalaise. L’ancien Président a définitivement perdu sa tranquillité lorsqu’il a été mis aux arrêts, en 2013, pour voir son procès s’ouvrir deux ans plus tard, le 20 juillet 2015. Contre lui, pesaient les chefs d’accusation de crimes de guerre, crimes contre l’humanité, tortures et viols. Le 30 mai 2016, il écope de la prison à perpétuité. Le 29 juillet 2016, la peine est aggravée d’une condamnation à verser une somme comprise entre 10 et 20 millions de francs CFA à chaque victime. Le procès en appel ne change presque rien au verdict initial. La seule nouveauté, c’est que le montant total des dommages à verser par Hissène Habré aux victimes a été fixé à 82 milliards 290 millions de francs CFA. C’est la fin d’une véritable saga judiciaire qui aura duré plusieurs années.

Purgeant sa peine au Sénégal, Hissène Habré avait bénéficié d’une mise en résidence surveillée du 7 avril au 7 juin 2020, en raison de la pandémie de Covid-19. Ramené en prison depuis, il n’en ressortira pas vivant, puisqu’emporté par le Covid-19, ce mardi 24 août 2021.

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Par Serge Ouitona, historien, journaliste et spécialiste des questions socio-politiques et économiques en Afrique subsaharienne.
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