Le Sénégal ne doit pas suivre l’exemple des puissances occidentales. Qui ont accordé l’impunité aux dictateurs, comme l’illustre l’affaire Pinochet. Et si plutôt que de suivre l’Occident dans ses errements, l’Afrique devenait exemplaire ?
Parce que Duvalier coule des jours paisibles en France. Parce qu’avec le laxisme d’une partie de la justice et de la gendarmerie française, le tortionnaire mauritanien Ely Ould Dha a effectué un retour triomphal à Nouakchott. Parce que la Grande-Bretagne a organisé le retour du célèbrissime dictateur Augusto Pinochet au Chili… le Sénégal ne devrait en aucun cas, accepter le procès de Hissène Habré. C’est le raisonnement des détracteurs de la justice internationale au Sénégal. La décision de la chambre d’accusation, le 4 juillet, lavant l’ancien dictateur de ses crimes, participe d’une volonté d’absoudre, au-delà de Habré, tous les criminels vivant sur le territoire sénégalais.
Premier pays africain à avoir ratifié le statut de la Cour pénale internationale, le Sénégal fait ainsi une démonstration d’une spectaculaire contradiction entre engagements internationaux et, la valeur symbolique de ceux-ci, et ses pratiques manifestement dictées par des considérations politiques.
Pour faire admettre cette décision par l’opinion publique internationale, on répand l’idée que les occidentaux (France et Grande-Bretagne) qui hébergent des criminels notoires ne les ont pas encore jugés sur la base de la compétence universelle. Alors, pourquoi voudraient-ils, par le biais des Ong, exiger du Sénégal l’expérimentation d’une nouvelle jurisprudence ? Question pour question, faut-il attendre que les occidentaux jugent leurs despotes avant que l’Afrique ne s’en inspire ? Non. Ce continent est majeur. Il est, en plus, en proie à de longues décennies de dictatures meurtrières. Pour autant que la justice internationale offre l’opportunité aux victimes de demander justice, pourquoi les en empêcher ? Vouloir analyser l’affaire Habré sous l’angle analogique semble être une vision conceptuellement réductrice des choses.
La quête de justice est une aspiration universelle. Aucun peuple du continent africain n’est disposé à accepter les forfaits des tyrans. L’engagement pour le respect des droits de l’Homme est de la responsabilité de chaque citoyen d’un Etat démocratique comme le Sénégal. Les mouvements associatifs et les Ong remplissent ce rôle -d’utilité publique -pour contribuer à l’effort de progrès moral de l’Humanité. La presse participe de cette dynamique. C’est dans cette optique que l’association des victimes tchadiennes a porté plainte contre Hissène Habré. Pourquoi gratter derrière le vernis pour voir une ficelle « idéologique » des Ong du Nord ? Il faut simplement retenir que le bruit, si faible soit-il, que les Ong ont fait à Dakar a dérangé les bourreaux et leurs comparses. Tout à l’honneur de l’Afrique.
Loin de toute idéologie, la plainte contre Habré a pour but de rendre justice aux victimes. Sur la base du droit pénal sénégalais, du droit international qui consacre la compétence universelle, un privilège aux yeux des partisans d’une justice africaine rétrograde, hostile à toute évolution.
A travers l’association des victimes, il s’agit aussi de donner un signal fort – de dissuasion – à ces tyrans aux petits pieds qui s’illustrent encore par des violations massives des droits humains.
L’impunité appartient à une culture politique révolue. Si le gouvernement du Sénégal persiste dans cet archaïsme, le pays deviendra un sanctuaire pour criminels. Et donc, Hailé Sélassié, Idi Amin Dada, Foday Sankoh etc. , feraient mieux de venir s’installer en toute sécurité au Sénégal. Cela dit, il ne faut pas désespérer pour autant.
Depuis quelques temps, des avancées significatives sont à noter en matière de lutte contre l’impunité. L’actualité le montre davantage avec éloquence. La Cour d’appel chilienne vient de voter la levée de l’immunité parlementaire et du mandat de sénateur à vie de Pinochet. Seuls les combats qu’on ne mène pas sont certains d’être perdus. A l’image du juge Guzman Tapia en charge du dossier des victimes chiliennes, les membres de la Cour de cassation de Dakar doivent dire le droit sur le recours de la partie civile. Ils seraient bien inspirés en montrant audace et indépendance. En résistant à toute sorte de pression afin de dire le droit.
En huit ans de règne, le régime de Hissène Habré a fait exterminer 40 000 personnes, environ 200 000 prisonniers ont été torturés, d’après les chiffres publiés par la commission nationale d’enquête au Tchad. Pourquoi tant de haine meurtrière sur la population tchadienne ? Le comble c’est que, dans ses oeuvres macabres, l’ancien chef d’Etat a été activement soutenu par la France et les Usa. Curieusement, aujourd’hui, par une sorte d’alchimie juridique, on a blanchi Hissène Habré. Drôle de justice ! Une question toutefois : en quoi le procès d’un dictateur – si tristement célèbre – entacherait-il l’image du Sénégal ? Sans doute la protection politique dont bénéficie le dictateur cache des intérêts inavoués.
Au plan strict du droit, Habré doit être jugé au Sénégal. Même si le pays d’Abdoulaye Wade n’a pas pris des mesures pour adapter les prescrits de la convention contre la torture – ratifiée par le Sénégal en 1986 -, le juge n’est pas moins fondé à puiser dans la coutume internationale la source de son droit d’exercer la compétence universelle, tant pour le crime contre l’Humanité – dont la torture n’est qu’une manifestation – que la torture elle-même.
* Daniel Bekoutou est journaliste. Il est correspondant à Paris du quotidien sénégalais Wal Fadjri. Daniel compte parmi les quatre journalistes nominés par Amnesty International pour son travail en faveur des droits de l’Homme. Il est un collaborateur régulier d’Afrik.com.