Hindou Mint Amina, 37 ans, est rédactrice en chef de l’un des hebdomadaires les plus réputés de Mauritanie, Le Calame. Seule Mauritanienne à ce poste, elle a su imposer sa vision résolument humaniste. Sa vie se confond avec l’histoire de la presse indépendante du pays.
Le Calame est le journal mauritanien le plus censuré depuis sa création, en 1993. C’est ce qu’annonce la première page de cet hebdomadaire réputé pour d’autres raisons : rigueur de ses informations, pertinence de ses analyses et de ses prises de position… » Le Calame est un journal d’opposition mais pas un journal de l’opposition « , explique celle qui se cache derrière la ligne éditoriale. Hindou Mint Amina, regard doux mais déterminé, explique combien il est fondamental pour son équipe » de se différencier de l’Etat pour exister, de constituer une voix dissonante par rapport aux autres médias « .
» Nous ne sommes pas systématiquement contre le gouvernement, il s’agit juste de situer notre indépendance par rapport à lui. Il n’est pas question de constituer un contre-pouvoir. Notre objectif est de créer une opinion et de lui donner de l’information locale, souvent sous-représentée dans les journaux officiels qui occultent la famine, la pauvreté, les maladies… » Résultat : Le Calame est aujourd’hui l’un des journaux les plus lus de Mauritanie. » C’est aussi l’un des plus saisis ! » relève un lecteur de la première heure. Hindou donne la raison : » On a refusé le principe de la lecture préalable, donc c’est la saisie ! »
Equipe masculine
La censure peut aussi aller plus loin : depuis 1996 qu’elle est rédactrice en chef, Hindou a vécu la fermeture du journal, pendant 3 mois, en 1998. Officiellement pour » atteinte à la sécurité nationale « . En fait, parce-qu’un journaliste avait abordé la question sensible des droits de l’Homme dans le pays. » Malgré plusieurs fermetures, nous continuons de parler de tous les sujets « , soutient la rédactrice en chef.
A 37 ans, elle gère et relit les papiers d’une équipe exclusivement masculine (une dizaine de journalistes dans la capitale et des correspondants régionaux). Les femmes journalistes du début ont quitté les locaux du 348, Kennedy avenue Ouest. Car il faut assumer les heures de travail, les bouclages qui se terminent jusque tard dans la nuit, voire au petit matin. Hindou, mère de deux petits enfants, en sait quelque chose. Mais depuis 1990, date à laquelle elle a laissé tomber sa carrière de prof, elle ne se voit pas faire autre chose qu’écrire.
Créer le débat et la contradiction
Hindou est partie prenante des premiers combats de la presse libre et indépendante dans son pays. Avec un groupe d’amis, elle est au coeur de Mauritanie aujourd’hui en 1990, d’Al Bayane, de 1991 à 1993 et enfin du Calame, fondé par les journalistes eux-mêmes, sans financements extérieurs. Un démarrage de zéro dans un environnement difficile : presse d’opinion inexistante et peu professionnalisée, absence de cadre institutionnel pour les entreprises de presse, loi sur la censure contraignante, exemples de journaux qui ferment pour ne jamais rouvrir et faiblesse du marché (2 millions d’habitants dont 60% d’analphabètes).
Le Calame tire à 3 000 exemplaires, version arabe (le dimanche) et française (le mercredi) confondues. Son prix au numéro, 200 ouguiyas, est relativement élevé par rapport au revenu moyen, ce qui fait qu’un exemplaire passe au moins entre les mains d’une dizaine de personnes. Hindou peut se féliciter avec cet hebdomadaire de » créer le débat, la contradiction et les instruments nécessaires pour que les gens aient une opinion sur des questions essentielles liées à leur avenir, comme l’école « . » Le rôle de la presse, c’est d’aider les gens à penser globalement, au-delà du groupe restreint, de la famille, de la tribu, à penser dans un cadre national « , dit-elle encore.
Femmes des années 2003
Passionnée par cette tâche ardue de se battre pour » le principe de l’existence d’un espace d’expression, vital pour la démocratie « , Hindou reconnaît bénéficier d’une marge de liberté relativement importante. Bien que seule rédactrice en chef de la place (il n’existe que quelques directrices de publication), son parcours atypique est bien accepté par ses pères et ses pairs. Après avoir fréquenté différents lycées dans la vallée du fleuve (son père, fonctionnaire, fait bouger sa famille avec lui), c’est à Nouakchott qu’elle entame et termine ses études universitaires, avant d’être professeur de langues et d’histoire.
Elle fait partie de ces Mauritaniennes modernes qui portent le voile traditionnel mais sont entrées de plain-pied dans le monde contemporain. » En Mauritanie, il y a une vraie vitalité des femmes dans tous les secteurs. L’égalité des salaires entre hommes et femmes pour le même poste a été appliquée dès la création de la fonction publique et de la convention collective. Quant au voile, il n’est pas lié à la religion. C’est une convention sociale, un vêtement identitaire pratique et esthétique qui n’empêche rien. Il n’est pas antinomique avec la conception de la modernité. Les femmes voyagent, travaillent et font du sport avec ! »
Buveurs de thé
Lucide et éclairée, cette femme à l’allure paisible et forte à la fois porte un regard franc sur son pays. Elle rend compte des dysfonctionnements nés de la transposition d’une société rurale et nomade en société urbaine et sédentaire, tout en notant les points positifs d’un tel déracinement. » A Nouakchott, les portes des maisons restent ouvertes, c’est comme sous la tente ! » plaisante-t-elle.
Les portes du Calame sont elles aussi grandes ouvertes. Alors que le soleil se fait plus mordant, les » buveurs de thé » comme les appelle Hindou ne vont pas tarder, sur les coups de midi, à venir débattre une bonne partie de l’après-midi. Le journal est un espace de discussion et d’expression dans ses murs, comme en dehors. C’est bien là le souhait de sa rédactrice en chef.