A l’occasion du cinquantenaire de l’indépendance de l’Algérie, Hervé Bourges, notamment ancien Président de France télévisions et ancien membre du cabinet d’Ahmed Ben Bella, premier président de l’Algérie indépendante, répond à trois questions pour Afrik.com.
Hervé Bourges a été, entre autres, ancien Président de RFI, TF1, France 2, France 3, France Télévisions, du Conseil supérieur de l’Audiovisuel, actuel Président du Comité Permanent de la Diversité, a aussi été membre du cabinet d’Ahmed Ben Bella, premier président de l’Algérie indépendante.
Afrik.com : Voilà cinquante ans que l’Algérie est indépendante, quelle était le visage du pays en juillet 1962 ?
Hervé Bourges : Il est à rappeler qu’en 1962, l’Algérie accède à l’indépendance après 132 années de colonisation française. Le pays était donc marqué de multiples séquelles. D’autant plus qu’auparavant, le pays avait subi plusieurs dominations étrangères, notamment turque et arabe, et ce durant cinq siècles. Mais après sept ans de guerre, l’Algérie proclame son indépendance suite aux accords d’Evian. Le pays est marqué par la guerre, les actions de l’OAS (organisation armée secrète politico-militaire clandestine, ndlr) qui mettait à feu et à sang certaines villes du pays pour empêcher l’accession à l’indépendance et un FLN (Front de libération nationale – parti au pouvoir, ndlr) divisé. L’Algérie n’était pas unie et se trouvait dans une situation sociale, politique et humaine qui ne pouvait rien augurer de bon. Le premier président de l’Algérie indépendante, Ahmed Ben Bella, une des figures principales de la lutte pour l’indépendance, réussit à prendre le pouvoir et s’installe à Alger pour tenter de construire un Etat uni, un socialisme algérien, avant d’être renversé par son ministre de la Défense, Houari Boumediene. A la suite de la mort de Boumediene en 1978, il y a eu les années Chadli puis les années de plomb (la décennie noire, ndlr). Notez que l’Algérie a connu son printemps arabe en 1988 avec la fin du parti unique, la libération de la presse et l’émergence de la société civile. Un souffle démocratique traversait alors le pays jusqu’à la victoire du FIS…
Afrik.com : Depuis l’indépendance, on retrouve les mêmes acteurs dans le jeu politique. Selon vous, est-ce un succès ou un échec ?
Hervé Bourges : Il est certain que l’Algérie vit, encore aujourd’hui, avec des leaders qui ont lutté pour l’indépendance. Il y a eu six chefs d’Etats à la tête d’un pays qui a traversé des crises profondes, parfois sanglantes, mais effectivement uniquement des personnalités issues de la révolution. Abdelaziz Bouteflika est élu en 1999 et promet une réconciliation nationale. Mais aujourd’hui, qu’en est-il réellement de cette promesse ? A chacun sa vision. L’histoire montre bien qu’il y a une majorité d’Algériens jeunes qui n’a pas encore accès au pouvoir. Aujourd’hui, il est temps de céder la place à d’autres générations. Les dernières élections législatives n’ont certes pas amené les islamistes au pouvoir mais ont permis de rajeunir un parti usé par le pouvoir, le FLN. Il n’en demeure pas moins vrai qu’aujourd’hui la presse reste libre et que le pays joue un rôle majeur dans la lutte anti-terroriste en Afrique et dans le monde.
Afrik.com : Vous réalisez actuellement un film-documentaire à propos de ce demi-siècle, quels sont les leçons de cette histoire et les enjeux de l’avenir ?
Hervé Bourges : Notez que ce film, L’Algérie à l’épreuve du pouvoir, qui sortira fin septembre – début octobre sur France 5 et en prime time, raconte l’histoire des cinquante années d’indépendance, de 1962 à 2012, et non la guerre d’Algérie. J’essaie de réaliser un film historique et patrimonial sans porter de jugement et de laisser les acteurs, tous Algériens, parler et aussi se contredire s’il le faut. Les leçons à retenir ont été le renforcement de la démocratie, d’une société civile, les militaires sont là pour lutter contre les menaces extérieures, pour les libertés auxquelles aspirent la jeunesse et pour lutter contre la corruption. Les enjeux seraient d’arriver à plus de justice et à prendre en considération la jeunesse laissée pour compte ces dernières années. Il faut penser à la transmission du témoin entre la génération qui a vécu la guerre de l’indépendance et qui dirige toujours le pays et les suivantes. L’Algérie est aussi une nation qui a longtemps sacrifié sa jeunesse – les deux tiers de la population – sur l’autel de l’histoire. Quant aux relations franco-algériennes, on n’a pas le pouvoir de chasser le passé, on a le devoir de le connaître sans être dans le ressentiment, sans nier l’histoire. Je citerai le grand romancier algérien Malek Haddad : « l’Algérie quand on croit la connaître, il faut encore la découvrir, quand on l’a découverte il faut la réapprendre ».