Henri Djombo : « La Chine offre au Congo plus d’opportunités que la France »


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Le Congo a organisé, pour la première fois sur son sol en avril, le Forum national du développement durable à Brazzaville. Le pays où la majorité de la population vit dans une grande misère, veut ainsi être leader dans le domaine de la protection de l’environnement sur le continent. Henri Djombo, ministre de l’Economie forestière et du développement durable, de passage à Paris, revient pour Afrik.com sur l’évènement. Entretien.

Henri Djombo s’impatiente face aux dizaines de personnes présentes dans sa chambre, à l’hôtel les Marriott, à Paris, sirotant tantôt des jus de fruits, tantôt des boissons alcoolisées. « On vient pour m’interviewer », lance-t-il à leur égard pour qu’elles quittent son luxueux séjour très coloré et illuminé, où rien ne manque : téléviseur, ordinateur, téléphones portables derniers cris. Ses invités, un peu gênés par notre irruption, se lèvent finalement doucement, un peu à contrecœur, tout en continuant à discuter, pour reprendre le chemin du retour. Ils claquent la porte d’entrée derrière eux, après une dernière poignée de mains avec le ministre congolais de l’Economie forestière et du développement durable. Ce dernier, ne mesurant pas moins d’un mètre 80, vêtu d’un impeccable costume sombre, assorti d’une cravate gris-bleu, s’excuse de nous avoir fait attendre au moins 1h30, après l’heure fixée du rendez-vous. Un désagrément causé selon lui par ses visiteurs bavards.

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Afrik.com : Quels étaient vos objectifs à travers le Forum national du développement durable?

Henri Djombo :
Nous avons organisé ce forum pour vulgariser le concept du développement durable et faire prendre conscience à chacun le rôle qu’il pourrait jouer dans la protection de l’environnement. L’objectif est de bâtir un avenir meilleur. Pour cela, il faut amener les différents acteurs à préparer leurs stratégies pour que nos objectifs soient atteints.

Afrik.com : Cet évènement aura une portée juste au Congo ou bien dans tout le continent ?

Henri Djombo :
Les Etats qui ont signés les accords de Rio concernant la protection de l’environnement ont pris des engagements selon lesquels chaque pays doit mettre en œuvre des politiques pour préserver l’environnement. Le Congo fait partie des pays signataires de ces accords et tente de les respecter.

Afrik.com : Quel bilan tirez-vous de ce Forum ?

Henri Djombo :
J’estime que nos objectifs ont été atteints. Il y a eu un débat autour du développement durable. C’est ce que nous voulions. Désormais, tous les acteurs qui œuvrent pour cela doivent s’engager à agir pour que notre but soit atteint.

Afrik.com : Ce n’est pas la première fois que des forums de ce genre sont organisés en Afrique. La plupart n’ont concrètement rien apporté au continent. En quoi celui-ci est-il différent ?

Henri Djombo :
Ce Forum se différencie des autres par le fait qu’on s’engage dans un processus pour préparer tous les ingrédients qui permettront de nous engager dans une stratégie à moyen et long terme pour bâtir le pays. On ne peut rien faire au hasard, il faut que la réflexion soit suivie d’une action. Nous avons déjà un plan national de développement. Ce plan va servir de base pour tous les autres plans à venir.

Afrik.com : Quel est ce plan? Quand est ce que vous allez le mettre en route ?

Henri Djombo :
Mais l’action est déjà en cours ! Maintenant, il faut une réflexion qui puisse permettre d’absorber ce plan dans une logique de durabilité. Le plan a précédé la réflexion, maintenant il faut agir.

Afrik.com : Quels sont les solutions que vous proposez face au déboisement massif et à la déforestation du pays ?

Henri Djombo :
Nous avons tiré les leçons des pays qui ont perdu une grande partie de leurs forêts. C’est pour cela que nous avons placé nos forêts sous une gestion durable. Il y a une législation avec des textes d’application qui définissent les modes d’action, les zones exploitables ou non. Il y a une faune très importante que nous devons protéger. Il y a des arbres qui permettent à certains animaux de se nourrir et qui sont aussi utiles aux populations locales. Si vous supprimez ces arbres, vous privez les populations locales et tous les êtres vivants de la forêt d’un bien précieux.

Afrik.com : Qu’est ce qui garantit que les sociétés qui exploitent le bois respectent les normes que vous venez de citer compte tenu de la sécurité des populations ?

Henri Djombo :
Il y a des services de l’Etat sur le terrain qui contrôlent les abattages de bois et l’entrée en usine ainsi que l’exportation du bois exploité etc… Nous demandons justement l’avis des populations. Il n’y a qu’un pied à deux qui sont coupés par hectare, ce qui représente une goutte d’eau dans la mer.

Afrik.com : Que comptez-vous faire face aux fuites de pétrole survenues à Pointe-Noire ? Des opérateurs auraient refusé de revenir dans cette zone à cause de cette situation gênante …

Henri Djombo :
Il y a des solutions techniques mises en œuvre (Il cherche ses mots). Des solutions qui vont permettre de mettre fin à la pollution marine. Ce n’est pas mon domaine, mais il y a des solutions mises en œuvre pour gérer cette situation.

Afrik.com : Ce n’est pas votre domaine? Mais vous êtes le ministre de l’Environnement !

Henri Djombo :
Chaque secteur doit utiliser des techniques respectueuses de l’environnement. Le respect de l’environnement doit devenir normatif. Il faut que nous mettions en œuvre des instruments de veille, de contrôle, de suivi et de respect de l’environnement.

Afrik.com : Le Congo est un pays où la majorité de la population vit dans une grande misère. Or, on sait que les politiques de développement durable sont très coûteuses, même pour les grandes puissances. Le développement durable est-ce réellement une priorité dans un pays où les infrastructures sont en lambeaux, les hôpitaux démunis, et où la population ne mange pas à sa faim, … ?

Henri Djombo :
Justement, nous préparons ces politiques de développement durable en prenant en compte nos possibilités. Nous avons un plan de financement qui est prêt. Nous avons les moyens de les mettre en œuvre. Les premiers moyens que nous avons, ce sont les hommes et les femmes. Ce sont les premiers acteurs du changement. Nos économies sont actuellement fragiles. Demain, il va falloir qu’on développe l’industrie de service, les nouvelles technologies. Pour cela, on a besoin de former les gens.

Afrik.com : A vous entendre parler, vous donnez vraiment l’impression que la mise en œuvre des politiques de développement durable constitue une priorité, alors que le Congo est toujours un pays en développement ! Ne brûlez-vous pas les étapes sachant que les populations sont dans le besoin ?

Henri Djombo :
Mais nous assurons les besoins des populations, c’est ce que nous avons fait jusqu’ici ! (Il a l’air agacé). Nous voulons que personne ne soit laissé sur le bord de la route ! Il faut aussi comprendre que l’Etat ne peut pas tout faire ! Les collectivités locales doivent aussi travailler au service de leurs populations pour améliorer leurs conditions.

Afrik.com : Leur donnez-vous suffisamment de moyens pour qu’elles atteignent leurs objectifs ?

Henri Djombo :
Bien évidemment, il faudra leur donner les moyens de ces politiques, qui demandent un coût élevé. Mais les moyens ce n’est pas seulement ce que l’on donne, mais c’est aussi ce que l’on crée. L’Etat ne peut pas tout faire ! L’Etat doit plutôt réguler un certains nombre de fonctions. C’est à dire créer les conditions de développement, aider les entreprises et les assister, former les jeunes. Il faut mettre en place des financements adaptés pour que les jeunes diplômés puissent mener de grands projets. Il faut aussi mettre en place des infrastructures, il faut créer des routes viables, changer le logement, qu’il y ait de l’énergie suffisante pour tous.

Afrik.com : Donc le chantier est immense. Comment comptez-vous vous y prendre pour le mener à terme ?

Henri Djombo :
Mais c’est ce qu’on est en train de faire ! On est en train de construire des routes. On ne peut rien faire en un jour, Dieu n’a pas créé la terre en un jour.

Afrik.com : En 2025 vous avez pour projet de faire du Congo un pays émergent. Ce projet n’est-il pas utopique ? Avez-vous les moyens d’une telle ambition ?

Henri Djombo :
Nous avons des indicateurs qui nous permettent de croire que nous avons les capacités de réaliser cette ambition. Par exemple, le PIB par habitant est l’indicateur le plus important pour nous. Nous avons pour objectif de mettre en œuvre des infrastructures qui assurent la mobilité de tous. Il faut aussi que tout le monde accède à l’eau. Il faut qu’on diminue le chômage. Il faut qu’on diversifie l’économie d’industrie et que la santé de nos concitoyens soit améliorée. On doit également disposer de toutes les structures qui permettent de prendre en charge la population

Afrik.com : Le Congo est un pays qui dispose de fonds financiers très importants, notamment grâce à la production du pétrole ? Comment se fait-il que jusqu’à présent les populations ne bénéficient pas de cet argent ?

Henri Djombo :
Il n’est pas question que l’argent du pétrole soit utilisé pour le moment pour distribuer le salaire moyen de chaque citoyen congolais. On ne peut pas faire ça ! Il faut améliorer leurs conditions de vie. Et on est entrain de le faire. La preuve, la mobilité s’améliore. Nous devons aussi développer la production alimentaire.

Afrik.com : La France est un de vos partenaires économiques. Est-ce que vos relations ne pourraient pas être mises à mal par l’affaire des biens mal acquis, dans laquelle le président Denis Sassou Nguesso est mis en cause?

Henri Djombo :
Ces questions ne m’intéressent pas, elles sont secondaires. Cela n’a aucun intérêt. C’est enfantin. Nous n’avons pas à nous justifier devant qui que ce soit ! (il s’énerve). Personne n’a pris les ressources de la France pour acheter quoi que ce soit. Donc, on n’a pas volé l’argent dont on nous accuse ! Il s’agit des affaires congolaises, quel est votre problème là-dedans ? (Il dit cela en s’adressant à la France). Nous sommes des pays souverains et nous coopérons selon les textes qui régissent nos relations. Le reste, ce sont des tractations et des supputations. Le problème de l’Africain c’est qu’il veut toujours se considérer comme l’ami d’un tel ou un tel. Ces histoires là vraiment, c’est de l’aliénation mentale. Les états africains doivent s’affirmer comme des états souverains. Et avoir des relations d’égal à égal avec les autres pays du monde. Les Français ne nous disent pas de ne pas construire des hôpitaux, ni d’affamer nos populations, ou de ne pas créer des emplois, ou encore des routes. Chaque état est libre de mener ses politiques. Je suis pour des relations de respect mutuel entre les différents pays.

Afrik.com : Le Congo coopère beaucoup avec la Chine. Est-ce que cela signifie que la France a perdu du terrain dans ses relations commerciales avec votre pays ?

Henri Djombo :
La Chine a entendu l’appel des Africains. Ce sont les autres qui ne réagissent pas. Aujourd’hui, la Chine nous offre beaucoup plus d’opportunités que les autres pays.

Afrik.com : Elle vous offre plus d’opportunités que la France?

Henri Djombo :
Oui. Aujourd’hui on impose à tous les acteurs par exemple de transformer le bois sur place et de créer de la valeur ajoutée sur place. La France, elle, était habituée à l’exportation du bois sans nous apporter de la valeur ajoutée. Désormais c’est la règle : on exige que le Congo bénéficie de cette valeur ajoutée.

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