Le premier festival de rap a eu lieu à Cuba en 1995. Depuis, ce courant musical a explosé aux quatre coins de l’île. Dans son documentaire Havana Hip Hop Underground, Yves Billon donne la parole aux acteurs du milieu qui se battent pour un rap intègre et vecteur de contestation, bien loin des chansons commerciales soutenues par le pouvoir.
Cela fait plus de 10 ans que le rap a pris racines à Cuba. A travers une série d’interviews de rappeurs et de séquences de concerts, le réalisateur Yves Billon a choisi de raconter cette « révolution dans la révolution ». Les principaux acteurs de la scène hip hop cubaine racontent comment le rap, venu des Etats-Unis, s’est « cubanisé » très rapidement, absorbant ce mélange afro-hispanique propre à l’île et n’hésitant pas à rendre hommage à la rumba. Ils parlent aussi du fossé qui existe entre le rap « commercial » aux paroles gentillettes et le rap underground, dans lequel les chanteurs dénoncent les travers de la société cubaine.
« Tout le monde sait qu’à Cuba, le régime est très contraignant depuis 59 ans et que la contestation publique n’y est pas permise mais plutôt réprimée… Or, le rap à Cuba est un vecteur de contestation toléré. Ce qui est absolument exceptionnel et très étonnant ! » explique le réalisateur. Qui tempère : « Mais tout est relatif, certains rappeurs peuvent être interdits d’expression pendant un an. L’électricité peut même être coupée lors d’un concert ! Une agence gouvernementale est chargée de la promotion du rap, seuls les « gentils » rappeurs en bénéficient ! Les autres chantent dans des manifestations qui ne sont pas officielles. Le rap underground fait partie d’un mouvement chorégraphique et musical influencé par les voisins américains et adapté par les Cubains. Il s’exprime sur des bases rythmiques très fortes et concerne particulièrement la jeunesse et les Noirs. »
Etre fier de sa couleur
Malheureusement, le documentaire manque de rythme, de structure et d’analyse. Il ne donne pas d’informations précises et parlantes sur le phénomène rap, informations que l’on retrouve dans le synopsis, comme le fait que plus de 600 groupes ont émergé en moins de 5 ans… Une voix off et un texte documenté n’auraient pas été de trop ! Malgré tout, il offre la parole aux rappeurs, comme ceux du groupe Primera Base, qui, en 1997, a gravé le premier disque de rap cubain, Igual que tù (« Ton égal »), dédié à la mémoire de Malcom X. On y découvre aussi les trois filles déterminées de Las Krudas, l’un des rares groupes de rap féminin de la place. Les demoiselles n’ont pas leur langue dans la poche et avouent se battre contre le « machisme personnel, culturel et institutionnel ».
Le rap est aussi une façon pour les jeunes Noirs, qui souffrent du racisme sur l’île même s’ils représentent 20% de la population cubaine, de revendiquer une identité et une reconnaissance. L’une des chanteuses de Las Krudas évoque d’ailleurs beaucoup le thème de la négritude et chante qu’elle est fière de ses lèvres et de sa couleur… Les chansons de rap « constituent une forme de lutte critique et constructive. Ce sont les seuls textes où sont dites des choses nulle part ailleurs exprimées », explique l’ethnologue Silvina Testa, qui travaille sur les cultures d’origine africaine à Cuba. Le rap underground existe, clame David du Grupo Uno : « C’est vrai qu’il y a peu de rappeurs qui exposent les véritables problèmes du pays car ils ont peur d’être exclus du système commercial. Mais il y a quand même de vrais rappeurs à Cuba ! » Ce sont eux qui font de ce courant musical une source de contestation et de rébellion. Une révolution dans la révolution.
Havana Hip Hop Underground, un film documentaire réalisé par Yves Billon, sortie française le 8 février 2006.