Hamadi Kaloutcha est l’un des principaux animateurs de la coordination des « Facebooks révolutionnaires » tunisiens. Il a toujours dénoncé les inégalités qui régnaient sur le pays. Par prudence, Hamadi a toujours évité de s’attaquer directement à Ben Ali, ce qui lui a d’abord permis de contourner la répression des autorités et de continuer à exposer ses idées sur Internet. Mais pour un temps seulement …
(De notre envoyé spécial, interview réalisée le 20 février 2011)
Hamadi Kaloutcha n’était pas à l’abri d’une arrestation. Le 6 janvier 2011, Il a été interpellé par les autorités tunisiennes et enfermé au Ministère de l’Intérieur pour ses idées trop « idéalistes », et accusé de propagande à l’encontre du pouvoir. Après trois jours de détention et d’interrogatoire, il a été libéré grâce aux arguments et aux réponses qu’il a su apporter. Voyant que ce jeune militant n’avait rien d’un criminel, mais était un simple Tunisien qui voulait apporter une aide à son pays en proposant des solutions après avoir dénoncé les dysfontionnements de l’Etat. Il a été relaché le 9 janvier 2011.
Désormais, le combat que mènent tous ces militants tunisiens est, entre autres, de veiller à ce que plus jamais aucun dictateur n’arrive à la tête du pays, qu’un nouveau gouvernement soit rapidement formé et qu’un président soit élu démocratiquement…
Afrik.com : Vous sentez-vous plus libre depuis le départ de Ben Ali ?
Hamadi Kaloutcha : « Bien sûr ! Autrefois si on avait le malheur de parler à un journaliste étranger, on se faisait arrêter ! Aujourd’hui c’est devenu banal. »
Afrik.com : On sent que désormais les Tunisiens veulent avoir le contrôle du milieu politique. A quel moment laisserez-vous le gouvernement se reformer sans manifester ?
Hamadi Kaloutcha : « Quand ils arrêteront de vouloir imposer des trucs « à la con ». Nous, ce qu’on veut c’est une réorganisation totale du milieu politique. Que la constitution soit abrogée au profit d’une nouvelle constitution. Celle qui régit actuellement la Tunisie a été faite sur mesure pour Ben Ali, de ce fait elle est devenue caduque à ce jour.»
Afrik.com : Etes-vous optimiste quant à cette réorganisation politique ?
Hamadi Kaloutcha : « Ce qu’on pensait devoir prendre plusieurs mois, s’accélère plus vite que prévu. Donc oui, je suis optimiste. »
Afrik.com : Certains Tunisiens reviennent sur leur position et commencent à regretter l’époque Ben Ali. Qu’en pensez-vous ?
Hamadi Kaloutcha : « Il faut savoir que pendant le régime, le peuple ne se mêlait pas des affaires politiques. Chaque Tunisien vivait sa petite vie tranquillement sans avoir à se soucier des décisions qui étaient prises par le gouvernement. Aujourd’hui tout à basculé, et nous sommes tous concernés par ce qui se passe, même ceux qui n’ont rien demandé. Les médias parlent sans cesse de la Tunisie et de Ben Ali, on ne voit que ça a la télé. C’est bien de parler de la Tunisie et de notre révolution, mais il y a certaines limites, beaucoup de médias racontent un peu tout et n’importe quoi ! Et ces Tunisiens en ont un peu marre… »
Afrik.com : Pendant les révoltes, la police s’est comportée de manière brutale envers les manifestants. Certains policiers ont même fait usage de leurs armes. Quel image avez-vous d’elle maintenant ?
Hamadi Kaloutcha : « La police avait reçu l’ordre de disperser les manifestants. Mais aucun ordre explicite direct de la part du Ministère de l’Intérieur n’a été donné quant à l’usage de l’arme à feu. En temps normal, l’étui d’un policier tunisien est vide ! Et à ce moment-là, ils ont reçu des armes à feu avec des indications très floues sur leur utilisation. En gros c’était : fais ce que bon te semble. Le ministre de l’intérieur lui-même n’arrivait pas à contrôler son organisation. Du coup, certains en ont profité pour jouer les cow-boys et violenter les manifestants. Je n’en voyais vraiment pas l’intérêt sachant qu’on intervenait pacifiquement ! La police était l’organe central du pouvoir de Ben Ali. Aujourd’hui elle est donc très mal vue et peu respectée. Ce qu’il faut, c’est réorganiser ce milieu, à commencer par remplacer leur tenue qui renvoie l’image de la police Ben Ali. »
Afrik.com : Et l’image de l’armée ?
Hamadi Kaloutcha : « Elle a été notre alliée ! elle s’est rangée de notre côté et nous a soutenus pendant les révoltes. On a une très bonne image d’elle. »
Afrik.com : A part l’avenue Bourguiba, Tunis semble être devenue une ville morte et particulièrement le soir. Ne pensez-vous pas que cela peut être un facteur négatif pour la relance du tourisme par exemple ?
Hamadi Kaloutcha : « La Tunisie est toujours en état d’urgence ! Le départ de Ben Ali a provoqué des pillages, de la violence dans les rues… Et il ne faut pas oublier qu’un couvre feu a été instauré. Au début il était à 17h ! Maintenant il est à minuit, mais honnêtement il devient quasi inexistant. Les gens commencent à ressortir petit à petit. Il faut du temps, mais tout redeviendra normal. Et la Tunisie est un beau pays, et encore plus sans Ben Ali, donc les touristes doivent revenir ! Il faut être patient. »
Afrik.com : Votre avis sur le flux d’émigration des Tunisiens vers l’Europe ?
Hamadi Kaloutcha : « Ce fléau a toujours existé ! S’il est devenu plus dense aujourd’hui, c’est tout simplement que le départ de Ben Ali a provoqué le retrait des gardes côtes. Il n’y avait plus aucune surveillance, et c’est ce qui a encouragé des Tunisiens à rejoindre l’Italie. Au vu de cette facilité, les prix pour passer ont été réduits de moitié ! Alors il faudrait que certains arrêtent de raconter des âneries à ce sujet. »
Afrik.com : Quel est votre sentiment sur le meurtre du prêtre polonais, le 18 février à Manouba ?
Hamadi Kaloutcha : « Les Tunisiens ne sont pas racistes. On a toujours vécu entre musulmans, juifs, chrétiens ! Cet acte est irréfléchi et les coupables devront être sévèrement condamnés. Maintenant, certains veulent montrer une Tunisie d’islamistes ! Ce ne sont que des complots pour nuire à l’image de la Tunisie. Les auteurs de ce crime ne veulent que semer la pagaille !
Afrik.com : Toujours pour un Etat Laïc ?
Hamadi Kaloutcha : « Vous savez, quand un pays musulman produit de l’alcool par exemple alors que notre religion nous l’interdit, il n’est pas possible de mélanger Etat et religion. Donc oui, Etat Laïc rien que pour cette raison et pour un tas d’autres encore. Il faut arrêter d’être hypocrite et de vouloir mélanger la religion à la politique, c’est un sujet personnel. On revendique notre laïcité, et que l’on soit juif, musulman, chrétien, agnostique, on est avant tout Tunisien ! »
Afrik.com : Et pour terminer : Pour une place Mohamed Bouazizi ?
Hamadi Kaloutcha : « Pour une place Mohamed Bouazizi, une avenue Facebook, Une rue Twitter… Il y a tellement de rues ou d’avenues 7 novembre à changer qu’on aura largement de quoi faire ! »