Comme 17 000 enfants en Haïti, pays des Caraïbes le plus touché par le sida, Erika, 17 ans, vit avec le VIH. Dans son cas, elle a été infectée à la naissance, via la transmission de la mère à l’enfant, mais pour beaucoup d’autres, c’est la pauvreté qui a permis au virus de les rattraper, notamment dans la rue.
Erika (un nom d’emprunt) a été dépistée positive au VIH à l’âge de 13 ans, à l’occasion d’une énième consultation médicale, alors que son état de santé se dégradait.
« J’étais vraiment mal, j’avais des boutons partout, je faisais tout le temps des malaises, et chaque année, j’avais un zona [une infection virale fréquente chez les personnes séropositives] », a expliqué cette jolie adolescente, orpheline depuis l’âge de six ans.
Il s’est passé plus d’un an avant que le personnel médical de la clinique des adolescents du centre Gheskio, le plus grand centre de traitement du VIH de Port-au-Prince, la capitale haïtienne, où elle avait été référée, ne décide de lui révéler son statut sérologique, une décision prise au cas par cas, en fonction de la maturité du jeune malade.
« Un adolescent remet tout en question, si en plus on ajoute le VIH au tableau, cela peut être terrible », a expliqué le docteur Francine Noël, chef de la clinique pédiatrie et adolescents du centre Gheskio, situé dans un bidonville de Port-au-Prince.
Pour Erika, qui vit dans la maison de sa mère avec son oncle, sa tante et leurs enfants, l’annonce de sa séropositivité n’a pas vraiment été une surprise.
« Mon oncle et ma tante chuchotaient, donc je me doutais de quelque chose, alors les médecins me l’ont dit », a-t-elle raconté. « J’avais entendu que [le VIH/SIDA] était une maladie qu’on ne pouvait pas traiter, mais je pensais qu’on pouvait opérer, on m’a ouvert les yeux ».
A la clinique des adolescents, installée dans un cadre verdoyant et calme qui jouxte le centre principal Gheskio où les patients adultes reçoivent leurs ARV, Erika rencontre des adolescents qui viennent au centre pour s’informer sur le VIH et les infections sexuellement transmissibles (IST) ou pour être pris en charge lorsque leur infection au VIH est confirmée.
Parmi eux, certains enfants vivent encore dans leur famille, d’autres sont déjà installés seuls ou en couples, malgré leur jeune âge, d’autres enfin vivent dans les rues de la capitale –et ils sont nombreux dans ce pays secoué par des années d’instabilité politique et de violences, confronté à une pauvreté endémique.
Ces enfants des rues de Port-au-Prince, l’organisation non gouvernementale française Aide médicale internationale (AMI) les connaît bien. Elle en a recensé plus de 2 120, dont certains, âgés à peine d’une dizaine d’années, sont seuls, et elle tente, dans le cadre d’un programme d’accompagnement médico-social lancé en 2004, de leur fournir des soins et un soutien psychologique, notamment en allant à leur rencontre grâce à des cliniques mobiles.
« Beaucoup de jeunes ont été ‘démilitarisés’, ils faisaient partie des gangs armés en tant que mules [transport de drogue] ou seconds couteaux, et ils se retrouvent à la rue suite aux opérations policières pour [démanteler] les gangs », a expliqué le docteur Sénou Amouzou, référent médical du programme. « Ils cherchent des revenus dans la rue, pour beaucoup d’entre eux en lavant des voitures, et ils se regroupent dans des ‘bases’ ».
Livrés à eux-mêmes, souvent victimes de violences, y compris sexuelles, et parfois obligés de se prostituer pour survivre, ces jeunes, et notamment les filles, sont particulièrement exposés aux IST et au VIH : les IST représentent environ 30 pour cent des consultations des cliniques mobiles d’AMI. L’ONG suit actuellement sept jeunes séropositifs, dont cinq jeunes filles enceintes, selon M. Amouzou.
La réinsertion, une urgence
L’organisation se concentre également sur la prévention du VIH, à travers le changement des comportements à risque. Dans un premier temps, elle procédait elle-même au dépistage du VIH des jeunes qui le souhaitaient, mais elle a décidé de suspendre cette activité provisoirement.
Car proposer le dépistage n’est pas suffisant, et il faudrait pouvoir aller plus loin que les soins et le soutien psychologique, a estimé le docteur Amouzou.
« C’est ‘assez facile’ de trouver des ARV, mais ce n’est pas facile de trouver des structures d’hébergement et de réinsertion alors que dans la rue, ne serait-ce que garder ses médicaments propres et au sec est déjà un problème », a-t-il ajouté.
« On traite les enfants dans les rues, on n’a pas les moyens de les sortir de là tout de suite », a expliqué le docteur Amouzou. « On leur donne des médicaments [pour les infections opportunistes] mais il faudrait aussi leur donner un toit, une bonne alimentation. On n’aura aucune efficacité s’il n’y a pas cela : on soulage la douleur pendant deux heures, mais cela n’a aucun impact ».
En attendant de trouver les moyens d’aller plus loin, l’ONG réfère ses jeunes patients aux centres de dépistage et de traitement du VIH de la capitale, notamment à la clinique des adolescents du centre Gheskio.
Cette structure unique a été créée pour tenter d’offrir un cadre adapté aux besoins spécifiques des adolescents, qui ne se sentaient pas à l’aise dans des centres où ils côtoyaient des adultes. L’une des conséquences de ce malaise a été quantifiée dans une étude sur l’observance du traitement ARV, a expliqué le docteur Noël, de la clinique des adolescents : seuls 40 pour cent des jeunes le suivaient correctement.
« Il fallait donc les séparer [des adultes et des tous petits] et les encadrer. Ici, ils ont leur centre, leurs médecins, leurs infirmières », a-t-elle expliqué.
Dans une grande salle équipée de chaises et d’un téléviseur, qui donne sur une cour arborée et des pièces plus petites utilisées pour les consultations, quelques dizaines de jeunes discutent, se détendent, s’informent et se rendent en consultation.
Erika, aujourd’hui collégienne et qui dit vouloir plus tard étudier la psychologie pour « aider ceux qui ne veulent pas prendre leurs médicaments », s’y sent bien et vient souvent discuter avec les autres jeunes.
« Il y en a une qui refuse de boire ses médicaments, je lui parle, je parle aussi aux jeunes qui sont infectés », a raconté la jeune fille, elle-même sous ARV depuis cinq ans.
Comme beaucoup d’autres enfants infectés, Erika a dû faire face à la stigmatisation liée au virus, au sein même de sa famille. Mais elle se dit volontiers optimiste sur la capacité des jeunes à comprendre ce qu’est la maladie, même si elle préfère encore taire son statut sérologique auprès de ses camarades de classe.
« A l’école, j’explique ce qu’est le VIH », a-t-elle dit. « Ils savent qu’on ne ‘prend pas l’infection’ en mangeant avec [des personnes séropositives], ils sont toujours positifs sur les gens infectés ».