Le régime du Président haïtien valse, depuis jeudi, sous les attaques de groupes armés qui le servaient auparavant. Le ministre de l’Intérieur a lui-même admis que la police seule, dans ce pays sans armée, ne pourra rétablir l’ordre. L’opposition politique, qui dément être à l’origine des violences, maintien son exigence de voir le chef de l’Etat quitter le pouvoir.
Haïti en est à son cinquième jour d’affrontements armés entre opposants et partisans du Président Jean-Bertrand Aristide. La crise ouverte a éclaté dimanche, après que des opposants armés aient pris Les Gonaïves, quatrième ville du pays avec 200 000 habitants. Depuis, une dizaine d’autres localités de l’ouest de l’île telles, Grand Goave, sont tombées entre les mains de groupes armés hostiles au Président. Les forces de police sont parvenues, lundi, à reprendre Saint-Marc, sur la route des Gonaïves, où le ministre de l’Intérieur Yvon Neptune s’est rendu pour appeler la population au calme. « La police nationale, a-t-il déclaré à l’agence de presse AP (Associated Press), ne parviendra pas seule à rétablir l’ordre ». Il a également accusé l’opposition politique d’être impliquée dans les récentes violences et d’avoir tenté d’organiser un coup d’Etat. Les pertes humaines, depuis jeudi, s’élèveraient à 40 morts.
Andy Apaid, l’un des leaders de l’opposition, coordonnateur du « Groupe des 184 » organisations de la société civile et du patronat, a assuré à la BBC qu’il ne supportait pas les violences en Haïti. Mais il n’en reste pas moins ferme sur la revendication de l’opposition de voir Jean-Bertrand Aristide quitter le pouvoir.
Tous contre Aristide
L’actuel chef de l’Etat a été élu en novembre 2000 lors d’élections boycottées par l’opposition (réunie dans la Convergence démocratique), par la communauté internationale et par la majorité des électeurs. Depuis, partis politiques et gouvernement n’ont pu trouver de compromis sur l’organisation de nouvelles élections. Lorsqu’en 2002, le président haïtien dissout le Conseil de l’université d’Haïti, il se met à dos les étudiants, qui entament une série de manifestations toujours ininterrompue contre lui. Pour seule réponse, Jean-Bertrand Aristide leur envoie ses milices armées.
Celles-ci provoquent encore plus de casse, début décembre, lorsque, pour fêter le bicentenaire de la première République noire de l’histoire, les étudiants défilent en réclamant le départ de celui qui se présentait à ses débuts comme « le prophète des bidonvilles » (il a renoncé à la prêtrise en 1994). La violence de la répression pousse le « Groupe des 184 » à rejoindre les étudiants dans leur revendication. Le Président haïtien a bien annoncé l’organisation d’élections « dans les six mois », le 13 janvier dernier, lors d’un sommet des Amériques, mais sans convaincre personne. Lundi soir, André Apaid a réitéré la volonté de l’opposition auprès de la chaîne télévisée canadienne TVA: « que M. Aristide se retire du pouvoir, parce qu’il est maintenant la source du chaos et l’obstacle à la démocratie ».
Victime de ses milices
« Mais ce n’est ni l’opposition politique ni les étudiants qui ont pris la ville des Gonaïves et d’autres localités par les armes », explique Arthus Weibert, membre de l’Initiative franco-haïtienne contre la dictature en Haïti. « C’est une situation très compliquée », résumait lundi le porte-parole du Département d’Etat américain, Richard Bouchard, en appellant « le gouvernement d’Haïti à respecter les droits (…) Et les Haïtiens à respecter la loi ». « Nous pensons que la réaction du gouvernement a contribué assez souvent à la violence. Le gouvernement a répondu » aux actes de violence « avec un mélange de police et de gangs pro-Aristide », a ajouté Washington, pourtant principal soutien de Jean Bertrand Aristide. Les Etats Unis l’avaient rétabli dans ses fonctions en 1994, après qu’il ait été renversé lors d’un coup d’Etat en 1991.
Lors de son retour au pouvoir, en 1994, la première décision d’Aristide fut de dissoudre l’armée qui l’avait fait tombé. Une nouvelle police fut formée, avec l’aide d’instructeurs américains, français et canadiens, à la tête de laquelle il plaça ses proches. La force était néanmoins insuffisante pour encadrer 8 millions d’habitants. De son Palais national, il c’est donc appuyé sur de jeunes déshérités des bidonvilles haïtiens qu’il a armé et qui torturent, viols et assassinent pour son compte. Les héritiers des « tontons macoutes », les milices qui semaient la terreur durant la dictature Duvalier, explique le journaliste du Monde Jean Michel Caroit.
« L’armée cannibale » fut sans doute la plus importante d’entre elles. De son « organisation populaire » (OP) lavalassienne (Famille Lavalasse, le parti d’Aristide), Amiot Métayer, dit « cubain », a fait un gang puis une milice toute puissante dans la ville des Gonaïves. Jusqu’à ce que la communauté internationale réclame l’arrestation de son chef, qui avait notamment pour ordre de pourchasser les opposants, selon Jean Michel Caroit. Le 22 septembre, Amiot Métayer est retrouvé mort les yeux transpercés de deux balles. Un meurtre téléguidé par le Palais national, pour l’armée cannibale et son porte-parole, Winter Etienne. « Depuis, explique Arthus Weibert, l’armée cannibale s’est retournée contre le pouvoir et réclame le départ d’Aristide. Elle se bat contre lui avec les mêmes hommes et les mêmes armes que lorsqu’elle le servait. Jeudi, l’armée cannibale a donné ce qu’on appelle là-bas le coup d’envoi, suivie par d’autres groupes dans certaines villes du pays ».