Cette année encore, plus d’un millier de personnes souhaitant accomplir le pèlerinage à La Mecque ont été flouées en France. Elles sont victimes d’intermédiaires peu scrupuleux qui profitent de l’explosion du marché du cinquième pilier de l’islam depuis cinq ans. Une situation que dénonce Benabdellah Soufari, le président du Conseil régional du culte musulman d’Alsace. Interview.
Le hadj, ce sont aujourd’hui plus de deux millions de personnes qui se retrouvent à La Mecque, à la même période, celle de l’Aïd el Kebir. Pour organiser un tel voyage, l’Arabie Saoudite fixe des règles strictes. Seules les agences de voyages et les associations sont habilitées à réclamer aux autorités saoudiennes, plus de six mois à l’avance, le nombre de « visas hadj » dont elles auront besoin. Il revient ensuite à ces dernières de vendre le pèlerinage comme n’importe quel autre voyage organisé, en récupérant les passeports – et l’argent – des pèlerins sur lesquels les visas seront apposés. Or, pour cette dernière phase, des agences peu regardantes s’en remettent à des rabatteurs qui appâtent le chaland par des prestations inexistantes. Certains n’hésitent pas à vendre plus de voyages que l’agence ne peut en assurer, en fonction du nombre de visas qui lui ont été accordés. C’est ce qui s’est encore passé cette année, avec près de 1 500 pèlerins restés sur le carreau après avoir confié leurs passeports et leurs deniers à l’agence Manasik Voyage, basée en Suisse. Depuis deux ans, une brochure de l’Etat français et une autre du Conseil régional du culte musulman d’Alsace mettent pourtant en garde les pèlerins contre les arnaques. Benabdellah Soufari, le président du CRCM Alsace, revient avec Afrik sur la dernière en date.
Afrik : Que s’est-il passé avec l’agence Manasik voyage et les milliers de pèlerins floués ?
Benabdellah Soufari : Cette agence est située en Suisse, hors territoire communautaire, ce qui signifie que les visas qu’elle a obtenus de la part des autorités saoudiennes ne pouvaient être utilisés que depuis le territoire suisse. Elle en a apparemment acheté une centaine en Allemagne, qui fait partie de l’UE, mais pas assez pour tous ses clients. Ce qui est malheureux, c’est qu’on avait prévu cette situation. L’agence mise en cause avait un passif avec un fiasco, en 2005, où des centaines de pèlerins étaient restés bloqués pendant plusieurs jours à l’aéroport de Djeddah. Elle avait même été attaquée en justice fin octobre, c’est-à-dire avant que les clients aient donné leurs passeports et leur argent à ses intermédiaires. Par ailleurs, l’agence pratiquait des prix excessivement bas, autour de 2 450-2 490 euros le voyage, alors que la moyenne est à 2 900 euros. Quand on sait que le billet coûte environ 1000 euros, que l’hébergement est à environ 800 euros… le compte n’y est pas pour l’agence.
Afrik : L’arnaque est-elle finalement classique…
Benabdellah Soufari : Il y a une différence quant au nombre de pèlerins floués. Ils seraient environ 1300, 200 autres ayant pu finalement partir avec une autre agence à Paris.
Afrik : Il s’agit de Amen voyage, une agence qui a été mise en cause dans un reportage de TF1 par des intermédiaires…
Benabdellah Soufari : C’est une vengeance. Ces rabatteurs passés à l’écran sont de Mulhouse, je les connais. Ils font l’objet d’une plainte de la part de l’agence Dogan voyage et de Amen voyage, pour publicité mensongère, travail illégal et concurrence déloyale, puisqu’ils travaillent au noir, à moindre coût. Ils ont même un emploi. La personne que l’on voit le plus dans le reportage est fonctionnaire de la ville de Mulhouse, un autre est agent SNCF… Amen voyage a été sollicitée par de nombreuses agences qui avaient des pèlerins sur le carreau. Je ne suis pas très au courant mais il semble qu’elle a pu en sauver 600, dont 200 de Manasik voyage.
Afrik : Amen voyage est votre partenaire pour le « guide du voyageur sans soucis » que vous publiez…
Benabdellah Soufari : Le CRCM n’a pas d’argent, il vit avec 500 euros par an et cette agence est la seule qui a accepté de financer le guide, de l’imprimer. Je ne dis pas qu’elle est parfaite, mais des conseils d’une grande méticulosité sont donnés dans le guide, notamment vis-à-vis des agences, et en permettant leur diffusion, Amen voyage prendrait un risque si elle voulait vraiment profiter des pèlerins…
Afrik : Vous regrettez également le silence du Conseil français du culte musulman sur cette question…
Benabdellah Soufari : C’est un problème d’ampleur national, c’est la structure du CFCM qui doit être au front. C’est elle qui aurait dû réaliser le guide que nous avons fait. Ils ont beaucoup plus de moyens que nous.
Afrik : Il existe une commission pèlerinage au sein du CFCM. Que fait-elle ?
Benabdellah Soufari : Elle est inexistante. Sur la commission pèlerinage, concrètement, on se pose des questions. La Grande Mosquée de Paris, dont l’administrateur est à la tête de la commission, a été mis en cause récemment par l’association SOS Pèlerin pour avoir signé un partenariat avec l’agence Tapis volant, elle-même sur liste noire à l’ambassade d’Arabie saoudite…
Afrik : Vous avez constitué un comité de soutien et mis en place un forum pour que les pèlerins floués puissent s’organiser…
Benabdellah Soufari : Je reçois de nombreux coups de téléphone de personnes flouées, que je renvoie vers le forum, mis en ligne ce lundi. Je leur explique qu’il faut qu’ils forment des comités régionaux pour se regrouper et éviter d’aller seuls en justice. Il ne faut pas citer de noms de personnes, de noms d’agence…. sur le forum, mais ils peuvent après un premier contact s’organiser en passant sur leurs messageries personnelles. Aujourd’hui, un juriste m’a appelé pour intervenir sur le forum en tant que conseiller.
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