L’apprentissage : H comme Henné. Un livre sur Internet, sous forme d’abécédaire, pour dire en 100 mots comment la France adopte ses enfants de migrants. Véritable « Lettres persanes » du XXIe siècle, l’initiative de la journaliste/auteur Nadia Khouri-Dagher a séduit Afrik.com qui a décidé de vous offrir deux mots par semaine. A savourer, en attendant la parution du livre courant 2007.
De A comme Accent à Z comme Zut, en passant par H comme Hammam ou N comme nostalgie, 100 mots pour un livre : L’apprentissage ou « comment la France adopte ses enfants de migrants ». Une oeuvre que la journaliste/auteur Nadia Khouri-Dagher a choisi de publier d’abord sur Internet. Un abécédaire savoureux qu’Afrik a décidé de distiller en ligne, pour un grand rendez-vous hebdomadaire. Une autre manière d’appréhender la littérature… |
H
Henné
Pour Lydia De Queiro
Colloque à la BNF. Assise devant moi parmi les auditeurs, une femme, française, a les mains décorées de henné. Elle a une quarantaine d’années, une mise très classique, tailleur et cheveux courts, peut-être rentre-t-elle d’un séjour à Marrakech, peut-être a-t-elle été invitée ici à un mariage maghrébin, peut-être même s’est-elle faite maquiller dans un institut de beauté parisien qui propose désormais des soins à l’orientale. Les arabesques de henné dessinent une fine et délicate dentelle, fleurs courbes volutes monde merveilleux parure ornement.
Cette femme – professeur, chercheur, bibliothécaire, doctorante, que sais-je, en tout cas: intéressée par les choses de l’esprit, comme tous ceux qui sont là, se distingue de toutes les femmes présentes par ce seul ornement. C’est de la féminité qui se dégage de ses mains, de la féminité pure, qui tranche avec la cérébralité ambiante, comme si elle portait un décolleté XVIII° ou une jupe courte et fendue.
J’ai vu au cours de mes voyages, et même dans le métro parisien, des centaines de paires de mains décorées de henné. Mais jamais l’objectif de pure séduction de ce maquillage, jamais son insolence en somme, ne m’était apparu avec tant d’évidence que dans ce parterre d’intellectuels. En Ukraine, une dirigeante ne craignait pas d’arborer des dentelles en public, de garder sa longue chevelure tressée – d’affirmer une féminité que nos femmes politiques en France, nos décideuses, nos têtes pensantes féminines, tentent plutôt de gommer, tailleur cheveux courts et blazers. Dans les pays arabes, les femmes d’esprit, sociologues, médecins, ou ministres que j’ai interviewées, n’en gardaient pas moins toute leur féminité, ongles faits, maquillage parfait, sourire de féminité.
En Occident aujourd’hui, dans les milieux intellectuels et les professions dites « supérieures » par les instituts de sondage, les gens se croient comme obligés de gommer toute séduction en eux, les hommes tout raffinement, les femmes toute féminité, comme si affirmer cette part biologique de soi-même c’était faire insulte à sa part cérébrale, tellement valorisée ici. Et une Françoise Giroud, femme de tête mais aussi élégante féminine portant bien les bijoux, fait figure d’exception dans la gent journalistique française féminine, profession qui se veut cérébrale réfléchissante intelligente.
La liberté hommes/femmes, que les femmes d’Occident ont durement gagnée, c’est bien. Mais le rapport sexué au monde, et d’abord à soi, qui passe aussi par des ornements de séduction, des tatouages des Papous de Nouvelle-Guinée aux Indiens d’Amazonie aux mises en plis-rouge-à-lèvres-escarpins de nos mamans, c’est, par nature, notre première identité. Le henné des Maghrébines, comme les nattes des Africaines, c’est une part de leur identité culturelle de femmes du Sud qu’elles continuent à faire vivre dans le Nord: leur identité féminine. Qui est leur rapport organique au monde.