H comme Harem


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L’apprentissage : H comme Harem. Un livre sur Internet, sous forme d’abécédaire, pour dire en 100 mots comment la France adopte ses enfants de migrants. Véritable « Lettres persanes » du XXIe siècle, l’initiative de la journaliste/auteur Nadia Khouri-Dagher a séduit Afrik.com qui a décidé de vous offrir deux mots par semaine. A savourer, en attendant la parution du livre courant 2007.

De A comme Accent à Z comme Zut, en passant par H comme Hammam ou N comme nostalgie, 100 mots pour un livre : L’apprentissage ou « comment la France adopte ses enfants de migrants ». Une oeuvre que la journaliste/auteur Nadia Khouri-Dagher a choisi de publier d’abord sur Internet. Un abécédaire savoureux qu’Afrik a décidé de distiller en ligne, pour un grand rendez-vous hebdomadaire. Une autre manière d’appréhender la littérature…

H

HAREM

Le harem a fait fantasmer des millions d’Occidentaux depuis des siècles. Les peintres ont donné à voir des scènes où des femmes lascives et nues semblent vivre leurs journées dans la seule consommation de plaisirs, déguster des douceurs, se prélasser dans un bain, se faire éventer, se parer, tous ces plaisirs accumulés pour le plaisir final du maître, absent du tableau et par là terriblement présent, tout-puissant et envié.

Harem vient de la racine harama, qui veut dire interdire. Haram signifie interdit, péché. Hourma désigne la femme, et féminin se dit harimi. Le harem, c’est donc, littéralement: le lieu, interdit, où vivent les femmes. Le gynécée.

Les tableaux et photos de harem datant du XIX° sont une reproduction très exacte des harems où purent pénétrer les peintres et voyageurs d’Orient: les bordels*. Car c’étaient les seules « maisons de femmes » – gynécées, harems – où pouvait entrer un étranger alors (les lieux remplis de femmes restent encore dans de nombreux pays les premiers lieux où un touriste seul est amené à pénétrer). Car par définition, on ne pénètre pas dans un harem, à fortiori si on est homme, et étranger! Et même aujourd’hui, si les Arabes se montrent très affables avec le touriste dans la rue ou au café, réussir à se faire inviter dans une maison, et y rencontrer l’épouse et les filles, n’est pas donné au premier passant.

A cause de ce malentendu fondamental, ces visions du seul univers féminin auquel purent avoir accès ces étrangers de passage – munis le plus souvent de la double puissance du client et du colon – ont alimenté des fantasmes encore tenaces sur la lascivité des femmes orientales, et, plus grave, par extension, sur la paresse qui serait inhérente à la race orientale: car si les femmes semblent aussi peu portées à l’action chez ces gens-là, comment supposer qu’il en soit autrement pour les hommes? semblent nous dire ces tableaux et photos.

Maintenant, imaginez un peu: au XIX° siècle, des voyageurs délégués par le Bey de Tunis ou le Pacha d’Egypte, viennent en France, pays qu’ils ont conquis et où ils se sont installés. L’Afrique du Nord connaît la peinture à l’huile et la photographie, et ces voyageurs veulent informer leurs citoyens de la manière dont on vit dans ces exotiques contrées d’Europe. Les voyageurs arabes en rapportent de nombreux tableaux et photographies des « femmes françaises »: sur celui-là, plusieurs femmes en corset et en jarretelles fument des cigarettes, mollement assises dans un sofa, cependant qu’une de leurs compagnes, les jupons haut retroussés et le corsage déboutonné, joue du piano, et qu’une femme plus âgée, fortement maquillée, est postée à l’entrée. Sur tel autre, des messieurs en haut-de-forme et redingote boivent du cognac entourés d’une demi-douzaine de jeunes filles fort peu habillées et toutes occupées à les faire rire, à les chatouiller, et à les amuser. « Le paradis des hommes », serait le titre d’un tableau; « Une maison à Marseille », celui d’un autre. Cependant que des cartes postales sépia de cocottes aux seins nus, de mignonnes dévoilant leur culotte dans un french-cancan endiablé, et de jeunes beautés aux transparents décolletés, seraient imprimées et vendues de Rabat à La Mecque, avec ces légendes: « Jeune Parisienne »; « Beauté occidentale »; « Sourire de Lyonnaise »**.

Un regard occidental pourtant pénétra les harems des siècles passés. Celui d’une femme bien sûr. Lady Mary Montagu, épouse de l’Ambassadeur d’Angleterre à Istanbul au XVIII° siècle, femme cultivée curieuse lettrée ouverte, polyglotte parlant le turc, première ethnologue de l’Orient, nous rapporte des images moins affriolantes mais plus véridiques de la vie des femmes dans le harem du Sultan d’Istanbul où elle fut invitée***. Car on y voit des femmes dont l’activité domestique – c’est-à-dire dans leur maison – était consacrée, comme toutes les femmes du monde, aux enfants et à la maisonnée.: on est très loin de l’image de femmes désoeuvrées, uniquement de plaisirs préoccupées.

Harem: dans le journal je lis cette nouvelle, l’ouverture en France de salles de sports pour femmes seulement. La mode vient d’Amérique, comme souvent aujourd’hui les évolutions sociologiques des rapports hommes-femmes en Occident. Les femmes réclament des lieux loin du regard des hommes, pour les grosses, les laides, les moches, mais pour les belles aussi. Les femmes veulent se retrouver entre elles, pour faire du sport, tranquillement, sans souffrir d’être celle que les hommes ne regardent pas, ou d’être au contraire celle que les hommes regardent trop. Sans avoir à se préoccuper de leur tenue, de leur look, sans avoir à ressembler à une icône de pub pour salle de gym, minceur jeunesse et dynamisme imposés. Entre elles, sans le regard des hommes. « Entre nanas », disent les Françaises pour exprimer ce besoin-là, dans des expressions telles que « soirée entre nanas », ou « dîner entre nanas ».

Harem: hier match Nantes-PSG, les bars à Paris sont pleins d’hommes, venus là regarder ensemble et commenter le match – les femmes sont absentes. Quasiment.

Harem: dans l’Occident des femmes-ministres, des femmes-cosmonautes, des femmes-clientes-de-cabarets-à-Chippendales, la presse féminine est florissante. Elle explique comment séduire son homme comment le garder comment le conquérir et le reconquérir s’il a envie de s’en aller, comment le rendre fou au lit c’est dans le texte, comment réussir de bons plats de cuisine un joli maquillage quels dessous affriolants sont à la mode cette saison quels bas de soie quels chapeaux quels souliers. L’éternel féminin, que nul progrès technologique ne pourra effacer.

Division des sexes: qui a dit qu’elle était l’exclusive de l’Orient?

* Voir à ce sujet le texte éclairant de Christelle Taraud, dans un livre présentant bon nombre de ces photographies anciennes, Femmes orientales dans la photographie coloniale 1860-1910, Photos Roger Viollet, Albin Michel 2003.

** Merci à Germaine Tillion de m’avoir suggéré ce renversement de perspective, inspiré de son drôlissime scénario lorsqu’elle imagine, en 1492, au lieu de Christophe Colomb découvrant l’Amérique équipé d’armes à feu, un souverain aztèque débarquant en Europe et conquérant le monde avec de la poudre à éternuer, et les savants aztèques découvrant et commentant avec stupeur les mœurs bizarres des Européens – ne pas épouser sa sœur, cacher les seins des femmes, … – et, point final, la civilisation et la langue quechua régnant sur le monde entier aujourd’hui…. Germaine Tillion, Il était une fois l’ethnographie, Seuil, 2000.

*** Lady Mary Montagu, L’islam au péril des femmes, Une Anglaise en Turquie au XVIII° siècle, La Découverte, 1991.

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