Une cinquantaine de soldats de la Légion étrangère ont mené, dans la nuit de dimanche dernier à Kourou en Guyane, une très violente expédition punitive contre des civils. Cette vendetta, qui fait suite aux agressions perpétrées ces dernières semaines sur certains des leurs, a fait 15 blessés dont 5 graves parmi les Guyanais. Les réactions ont été unanimes pour dénoncer cette flambée de violence.
Par Louise Simondet
Œil pour œil, dent pour dent. Une cinquantaine de légionnaires du 3e Régiment étranger d’infanterie (REI) ont décidé de se faire justice eux-mêmes et s’en sont pris, dimanche soir, à des civils dans la ville de Kourou en Guyane. Ces dernières semaines, sept soldats ont été victimes de violence, mais c’est l’agression d’un légionnaire, dimanche midi, qui a déclenché de cette expédition punitive. Le bilan de la soirée est lourd : cinq personnes ont été hospitalisées et dix autres blessées parmi les habitants. Les réactions ne se sont pas faites attendre. Le lendemain de l’incident, l’officier supérieur Patrick Lassée de la 3e REI, qualifiait ces actes « d’inexcusables » dans les colonnes du quotidien France Antilles et a déclaré, ce mercredi à l’AFP, que les membres du commando avaient été identifiés. Quant au maire de Kourou, Jean-Étienne Antoinette, il a condamné « cet acte d’une violence inouïe, de même, que toutes les formes de justice privée qui ne font que mettre en péril la sécurité de la société », rapporte France Antilles. Cinq plaintes ont été déposées. Plusieurs auditions ont déjà eu lieu, et cinq autres étaient en cours mercredi. Deux gardes à vue ont été prononcées, rapporte l’AFP.
Retour sur l’expédition punitive
Il était 22h30 sur la plage Cocoteraie, lorsqu’une troupe d’une cinquantaine d’hommes encagoulés, armés de bâtons et de battes de base-ball a débarqué. « Tous les dimanches sur cette plage, il y a de nombreuses animations et de nombreuses familles étaient présentes, déclare Marc-Phillipe Coumba, journaliste à RFO Guyane. Les hommes masqués s’en son pris aux jeunes Guyanais qui étaient sur place ». Mais les légionnaires ne se sont pas arrêtés là et ont poursuivi leur route vers le centre de la ville. Place Galilée, ces hommes « imbibés d’alcool » ont pris pour cible un homme d’une trentaine d’années qui se trouvait dans sa voiture. Passé à tabac, le jeune homme est actuellement à l’hôpital.
L’escadron punitif s’est finalement dispersé après s’en être pris aux jeunes de la Cité 205. « D’après les premiers éléments, rapporte le quotidien France Antilles, il semble que les fauteurs de troubles appartiennent à une de ces compagnies tournantes qui n’effectuent qu’un passage de quatre mois à Kourou. La majorité de ces hommes viendraient d’Europe de l’Est et d’Europe centrale ». Le 3e REI est composé de 680 hommes dont 280 sont des légionnaires permanents.
Une insécurité palpable
Des évènements similaires se sont déjà produits en 1985. Ces débordements impliquaient deux jeunes Anglais et avaient fait deux morts et de nombreux blessés. Face à la situation, des mesures draconiennes avaient été prises à l’époque. Un arrêté municipal avait alors interdit à tout légionnaire de se rendre dans la ville. Et ce, pendant dix ans. Ayant pour slogan « une nouvelle chance pour une nouvelle vie », la Légion étrangères s’est implantée dans le quartier Forget de Kourou en 1973. Elle a, avant tout, une mission de surveillance de la base spatiale, mais aussi de souveraineté française avec les pays limitrophes et peu être amenée à participer à des opérations d’aménagement du territoire.
« Il y a des gens de tout horizon, même d’anciens prisonniers, souligne Marc-Phillipe Coumba. En entrant dans la Légion, ces hommes mettent de côté leur nationalité. Il entre dans une nouvelle famille comme le clame la devise ‘Legio patria nostra'(la Légion est notre patrie) ». « Sur 8 000 candidats, seules 900 sont retenues », déclare un représentant de la Légion à France Antilles. Les frictions entre les soldats de la Légion et les Guyanais ne datent pas d’hier. « Il y a toujours eu des tensions entre la Légion et la population, estime une source en Guyane. D’une manière générale il faut reconnaître qu’il règne une insécurité quotidienne à Kourou. La ville est baignée dans un climat sud-américain. C’est une plaque tournante de la mafia. Tous les mois, il y a deux ou trois morts. »
Des sanctions exemplaires
Face à la tragique réalité des faits, la Légion a pris les dispositions qui s’imposent. « Nous avons pris des mesures conservatoires. Les responsables vont être très sévèrement punis, aucune obstruction ne sera faite au bon déroulement de la justice (militaire et civile ndlr) », souligne Patrick Lassée à France Antilles. Une enquête judiciaire a été décrétée. Elle s’accompagnera d’une enquête interne. « Ces légionnaires risquent d’être dégradés et même radiés. Ils encourent, par ailleurs, des peines de prison », confie Marc-Phillipe Coumba.
En attendant de trouver les coupables et que justice soit faite dans les règles de l’art, les légionnaires sont consignés dans leurs quartiers et sont interdits de sortie jusqu’au 16 août prochain. Quant aux cadres de la Légion, ils ont la permission de 19 heures. Calmer le jeu, tel est l’objectif principal de ces mesures décrétées le lendemain de ces débordements. Mais cela suffira-t-il pour apaiser la population ? « Les partis politiques ont déjà pris position, rapporte Marc-Phillipe Coumba. Il n’y a pour l’instant rien d’officiel, mais les mouvements politiques sont entrain de préparer une manifestation qui devrait voir le jour en fin de semaine pour dénoncer ce déchaînement de violence gratuite ». La polémique s’installe…