André Aliker est un héraut martiniquais qui donne son nom, Aliker, au quatrième long métrage de Guy Deslauriers, sorti en salles, ce mercredi. En faisant revivre à l’écran le « père du journalisme martiniquais », il rappelle que le combat avant-gardiste de cet homme dans les années 30, contre les inégalités sociales aux Antilles, est toujours d’actualité.
Des tranchées de Verdun durant la Première guerre mondiale au journalisme, en passant par son militantisme au sein du club communiste Jean Jaurès, André Aliker se distingue. Sa deuxième vie en tant que journaliste est certainement la plus révélatrice d’un personnage complexe. Ses convictions et ses combats se forgent à l’aune de la peur qu’il a éprouvée en tant que soldat. Afin de dénoncer l’exploitation dont sont victimes les ouvriers noirs dans la colonie de la Martinique, dans les années 30, il est prêt à prendre tous les risques. André Aliker épingle les agissements frauduleux du grand manitou de la colonie, un Béké (un Blanc) surnommé « Le dragon ». Pas au nom de son militantisme, mais au nom du devoir suprême d’informer. La patron de Justice, outil de propagande communiste que lui ont confié ses amis du club Jean Jaures, découvrira la puissance des médias. Il l’utilisera jusqu’à son dernier souffle. Après avoir été maintes fois menacé, il est assassiné en janvier 1934. L’impunité qu’il combattait profitera à ses meurtriers. Avec Aliker, Guy Deslauriers a produit un film essentiel, aussi bien pour des générations issues de l’Outre-Mer que pour l’opinion publique en général. Le cinéaste a mis en images la constance d’un combat pour plus d’égalité sociale sur des terres françaises que l’éloignement semble punir.
Afrik.com : Qu’est-ce qui vous a attiré chez André Aliker à qui vous consacrez votre quatrième long métrage ?
Guy Deslauriers : La clairvoyance de cet homme à une époque, les années 30, extrêmement perturbée tant sur le plan économique que politique. Ce qui est intéressant chez Aliker, c’est sa faculté à comprendre que cette colonie de la Martinique est dans une urgence, qu’elle a besoin d’être transformée. Sa clairvoyance de journaliste lui permet de transformer Justice, une feuille syndicale, à la parution irrégulière, en un vrai outil d’information. Dès les années 30, André Aliker comprend que la presse doit évoluer, ses exigences. Ce personnage exemplaire et attachant méritait de sortir de la nuit dans laquelle l’a plongé l’Histoire.
Afrik.com : Le combat d’Aliker rappelle celui plus récent de la société civile en Guadeloupe d’où le mouvement protestataire est parti. Pouviez-vous imaginer les récents évènements, qui se sont déroulés en début d’année aux Antilles, où l’on dénonçait encore la mainmise politique et économique des Békés, comme l’avait fait Aliker en son temps ?
Guy Deslauriers : Au-delà d’un homme, Aliker parle de départements français tels qu’ils sont encore aujourd’hui. Fondamentalement, les choses n’ont pas changé. Ces sociétés restent encore profondément inégalitaires et les mentalités n’ont pas évolué. Non, je ne pouvais pas l’imaginer. Cependant, je me doutais que la soupape sauterait à un moment ou à un autre. A partir du moment où les politiques ne s’attaquent pas aux questions de fond, les gens se retrouveront dans la rue de plus en plus régulièrement et de plus en plus violemment. Les DOM sont rattachés à la France et c’est elle qui décide. Le pouvoir économique et politique n’est pas dans ces départements. Tant que le schéma sera celui-là, on pourra toujours parler des problèmes, mais rien ne changera. Sauf alors à mener une action, qui ne s’apparenterait pas à la revendication pacifique à laquelle nous avons assisté il y a quelques semaines, mais à une révolution au sens propre du terme. La révolution ou une volonté politique d’accompagner ces populations vers un autre destin, celui où elles en sont maîtres et responsables.
Afrik.com : Le militant Aliker explique-t-il le journaliste exigeant qu’il est devenu en dirigeant le journal du club communiste Jean Jaurès auquel il appartient ?
Guy Deslauriers : C’est sa conscience de militant qui le porte vers cette exigence journalistique. Il est évident pour lui que Justice ne doit plus être seulement un journal militant au service de la cause, mais un lieu d’exercice de la liberté d’informer.
Afrik.com : « Le père du journalisme martiniquais », comme vous l’appelez, a-t-il suscité des vocations ?
Guy Deslauriers : Je n’en ai pas le sentiment. Quand on voit son degré d’exigence, le prix qu’il a payé et quand on regarde aujourd’hui la presse antillaise, je n’ai pas le sentiment que l’arbre ait porté des fruits.
Afrik.com : Peut-être tout simplement parce qu’il n’est pas connu, erreur que votre film devrait permettre de réparer ?
Guy Deslauriers Il appartient à ceux qui rentrent dans un métier d’aller vers ceux qui les ont précédés, de découvrir comment ils ont travaillé, trouvé le sens de leur métier dans la société dans laquelle ils ont vécu. Ce n’est pas à Aliker d’aller à eux.
Afrik.com : Vous avez rencontré de nombreuses difficultés pour monter ce projet. La pellicule a même été irradiée lors de son transfert entre Paris et la Martinique ?
Guy Deslauriers : Les difficultés que nous avons rencontrées sont d’abord d’ordre financier. Elles sont propres aux petites productions et à l’Outre-Mer. On part du principe qu’on ne sait pas y faire des films, que les acteurs ne savent pas jouer, par conséquent des structures ici, comme le Centre national cinématographique (CNC), les chaînes télé ont refusé d’aider le film. Le film est parti avec un lourd handicap financier. Sur place, il y avait également une volonté affichée des Békés d’empêcher un quelconque financement du film. Ces gens ont appelé des ministères, ceux de l’Outre-Mer et de la Culture, qui s’étaient engagés à financer le film où nous avions reçu l’assurance d’interlocuteurs conséquents : des ministres et des directeurs de cabinet. Du jour au lendemain, nous n’avons plus réussi à les joindre. On a fini par comprendre ce qui se passait. Très mystérieusement aussi, la pellicule, entre son entreposage à l’aéroport à Paris et son arrivée à la Martinique, s’est trouvée irradiée. Les séquences tournées ont été perdues. Résultat : 15 jours de tournage supplémentaires.
Afrik.com : La production cinématograhique ultra-marine est très peu présente dans le cinéma français. Pourquoi ?
Guy Deslauriers : A l’image de ce qui se passe au quotidien, ce cinéma subit le même traitement que ce que vivent les populations.
Afrik.com : D’où la création de votre maison de production Kréol productions ?
Guy Deslauriers : Si j’attendais que l’on nous aide à raconter nos histoires, ça ne se ferait pas.
Afrik.com : L’écrivain Patrick Chamoiseau est le scénariste d’Aliker. Quatrième film, quatrième collaboration avec lui. Pouvez-vous nous parler un peu de cette complicité artistique ?
Guy Deslauriers : Nous avons les mêmes envies, le souhait de raconter les mêmes histoires. C’est très agréable de travailler avec lui, il porte une attention extrême aux projets. Il est par conséquent normal qu’on ait envie de reconduire l’expérience.
Aliker de Guy Deslauriers
Avec Stomy Bugsy, Lucien Jean-Baptiste, François Marthouret, Xavier Thiam
Durée : 1h 50min
Sortie française : 3 Juin 2009
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