Guinée : un petit pas pour la démocratie, un grand pas pour les civils


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Le vote qui se déroule ce dimanche en Guinée est inédit. Il est le premier scrutin présidentiel libre et transparent que connaît ce pays depuis son accession à l’indépendance en 1958. Ce rendez-vous prend des allures de victoire pour une société civile qui n’a pas renoncé à ses droits en dépit d’une sanglante répression.

A cinquante-deux ans, la Guinée est une novice en matière de démocratie. Le pays vit ce dimanche son premier scrutin présidentiel libre et indépendant. Un rendez-vous électoral obtenu de haute lutte par la société civile des mains de la junte militaire qui a succédé au Président Lansana Conté, décédé fin 2008. Cette société civile porte un nom depuis le coup d’Etat du 24 décembre 2008 : le Forum des Forces vives de Guinée. « Lorsque les institutions d’un pays sont bloquées, les dirigeants disqualifiés par rapport à l’immensité de la tâche, une solution se dessine à travers ses Forces vives », rappelle-t-on pour expliquer l’existence du mouvement. En mars 2008, quand il naît, syndicalistes, partis politiques, responsables religieux et associatifs et organisations de la société civile souhaitent que le président Lansana Conté forme « un gouvernement de transition dirigé par un Premier ministre, chef de gouvernement ». La revendication se transforme à la mort du Président Conté et à l’arrivée au pouvoir de la junte militaire, alors dirigée par le capitaine Moussa Dadis Camara. Les Forces vives souhaitent désormais que soient organisées des élections présidentielles dans les plus brefs délais. Le nouvel homme fort de la Guinée le promet, mais il faut attendre son éviction, après une tentative d’assassinat perpétrée par son aide de camp en décembre 2009, pour que se profile l’espoir d’un scrutin démocratique. « Soyons une armée républicaine. Notre pays a trop souffert, la population civile a trop souffert des agissements de certains de nos camarades », a reconnu le général de brigade Sékouba Konaté, qui dirige désormais la junte guinéenne.

Y a-t-il un Premier ministre ?

En votant ce dimanche, les Guinéens tenteront d’oublier la dictature civile, de 1958 à 1984 sous Sékou Touré avec le Parti démocratique guinéen (PDG, parti unique), et son équivalent militaire avec Lansana Conté de 1984 à 2008. Les Guinées ont subi, tout en résistant, 27 ans de règne de l’armée. Les premières présidentielles libres et transparentes peuvent être considérées comme la victoire de la société civile. Elle s’est battue constamment pour l’avènement de la démocratie, dont le poste de Premier ministre est sans nul doute l’un des baromètres en Guinée. La preuve : parmi les 24 candidats, quatre de Premiers ministres sont parmi les plus sérieuses. Sidya Touré de l’Union des forces républicaines (UFR) occupera ce poste de 1996 à 1999. François Lonceny Fall, le leader du Front uni pour le développement et le changement (FUDEC), sera le chef du gouvernement guinéen de février à avril 2004, date à laquelle il démissionne. Après quelques mois de vacance, Cellou Dalein Diallo, le président de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG), devient Premier ministre. Il sera limogé le 5 avril 2006. Lansana Kouyaté, qui porte les couleurs du Parti de l’espoir pour le développement national (PEDN), arrive à la primature en 2007 pour la quitter l’année suivante. La nomination de ce dernier marque un tournant dans la vie politique guinéenne. Pour la première fois, se dessinait l’espoir d’un Premier ministre qui serait réellement un chef de gouvernement, fonction dévolue au Président.

Ainsi, une nomination à la primature a été souvent l’expression d’un fléchissement des différents pouvoirs guinéens face aux revendications de la société civile, souvent portée par les syndicalistes. Sékou Touré, qui en fut un, crée le poste en 1972 après le 9e congrès du PDG. Il revient à Louis Lansana Beavogui jusqu’au coup d’Etat du 3 avril 1984 des colonels Lansana Conté et Diarra Traoré. Le deuxième devient le nouvel hôte de la primature durant quelques mois. En décembre 1984, le président Conté se débarrasse de son rival politique en abolissant le poste. Il faudra attendre 1996, après les législatives de l’année précédente, pour que la fonction soit restaurée. Et entre la fin des années 80 et le début des années 90, les Guinéens sont régulièrement dans la rue. En 1988, les femmes manifestent contre la vie chère, à l’instar de leurs aînées qui se révoltaient en 1977 contre les exactions du régime de Sékou Touré. Les étudiants se mettent en grève en 1990, l’année de l’avènement du multipartisme inscrit dans la nouvelle Constitution. Ils sont suivis, l’année suivante, par l’ensemble de la société. Alors que ce n’est pas prévu par la Constitution de 90, Lansana Conté nomme un Premier ministre, en la personne de Sidya Touré, pour redresser la situation économique. Mais le régime est très vite excédé par sa volonté d’empêcher le Président et son entourage de se servir dans les caisses de l’Etat. Le pouvoir se sépare, encore un fois, d’un Premier ministre.

Une société civile qui plie, mais ne rompt pas ?

Les années suivantes seront tout autant troublées que les précédentes et en 2000, l’opposant historique et grand favori de ce scrutin présidentiel, Alpha Condé, leader du Rassemblement du peuple de Guinée (RPG), est arrêté. Les Guinéens continuent de faire régulièrement pression sur un pouvoir de plus en plus affaibli, à l’image de Lansana Conté, malade. En 2006, les manifestations, toujours réprimées, se multiplient et une nouvelle grève générale contre la vie chère paralyse le pays en février. Le mouvement prendra une autre ampleur en janvier 2007, où une nouvelle grève générale est décrétée par l’intersyndicale. Plus d’une centaine de civils seront tués, de janvier à février, pendant cette crise politique sans précédent. Nommé en mars pour apaiser la société civile, Lansana Kouyaté finit par être limogé en mai 2008. Une nouvelle parenthèse militaire devait s’ouvrir dans les mois suivants. Les civils guinéens lui paieront encore un lourd tribut. Le 28 septembre 2009, lors d’une manifestation au Stade du 28-Septembre contre une éventuelle candidature du capitaine Dadis Camara à la présidentielle, plus de 150 personnes sont tuées et des femmes sont violées par les soldats. Des figures de l’opposition comme Sidya Touré ou Cellou Dalein Diallo sont aussi arrêtées. Une enquête internationale a conclu que des crimes contre l’humanité avaient été commis par le pouvoir en place. Pour obtenir l’organisation effective du vote de ce 27 juin, les civils ont dû de nouveau menacé la junte militaire.

Les élections présidentielles seront une porte qui se ferme sur la dictature et s’ouvre sur la démocratie si le résultat des urnes est accepté par les quatre millions d’électeurs qui choisissent ce dimanche leur nouveau président. Car les tensions sont palpables. Dernier incident en date : des militants de l’UFR de Sidya Touré se sont opposés jeudi matin à ceux de l’UFDG, le parti de Cellou Dalein Diallo faisant entre 2 et 5 morts, selon les sources . L’origine de ces affrontements tient également à des questions ethniques. Les deux principaux favoris de cette élection ont leur fief. La Haute-Guinée, à majorité malinké, tout comme la Guinée Forestière pour Alpha Condé qui est malinké, la Moyenne-Guinée (le Fouta Djallon) pour le Peul Cellou Dalein Diallo. Les Peuls qui représentent 40% de la population guinéenne, soit la majorité numérique, estiment que c’est leur tour de diriger un pays gouverné par le Malinké Sékou Touré, deuxième groupe ethnique le plus important de la Guinée, et le Soussou Lansana Conté, représentant de la troisième ethnie majoritaire. Notamment en Basse-Guinée, un région qui est favorable à Sidya Touré, diakanké, qui se veut justement au-dessus des clivages régionaux. Les forestiers, minoritaires, avaient espére régner avec le capitaine Dadis Camara qui est l’un des leurs.

« De tous points de vue, l’ethnicité constitue, en Guinée, un élément important dans les relations sociopolitiques », confiait Mohamed Jalloh, spécialiste de la Guinée pour International Crisis Group au média humanitaire Irin. « Je crains des affrontements entre communautés, entre militants, et même au sein des familles. 70 % de la population est analphabète, et les gens n’ont pas de culture démocratique, donc pour une question d’intérêts, ils peuvent déraper », affirmait également, il y a quelques jours, Rabiatou Serah Diallo, la présidente du Conseil national de transition (CNT), organe qui se substitue à l’Assemblée nationale dissoute, dans les colonnes de Jeune Afrique. Les appels au calme ont été nombreux pendant la campagne présidentielle. Ils n’ont pas été tous entendus. Le seront-ils après les élections ? Après avoir fait la guerre aux militaires, les Guinéens peuvent-ils s’offrir le luxe de faire voler en éclats l’unité qui leur a permis de remporter la première bataille de la démocratie alors que la campagne sera plus ardue ?

Les bureaux de votes fermeront ce dimanche à 18h GMT (heure locale). Les premiers résultats sont attendus mercredi. Le second tour des présidentielles est prévu pour le 11 juillet prochain.

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