Un mois après l’arrivée au pouvoir de Moussa Dadis Camara, officier subalterne de l’armée guinéenne, à la suite d’un coup d’Etat, l’organisation internationale Human Rights Watch appelle le gouvernement guinéen de transition à lutter contre une impunité de longue date et à rouvrir les enquêtes sur le meurtre, par l’armée, de manifestants non-armés, en 2007.
La plupart des violations des droits humains commises par le passé (torture, exécutions extrajudiciaires, extorsion généralisée et répression de manifestants) sont le fait de membres des forces de sécurité guinéennes, a indiqué Human Rights Watch dans un communiqué de presse daté du 21 janvier.
« Nous exhortons M. Camara à traiter les questions relatives à la culture de l’impunité et aux problèmes liés à l’Etat de droit, observés de longue date en Guinée », a déclaré à IRIN Corinne Dufka, chercheuse principale sur l’Afrique de l’Ouest à Human Rights Watch.
HRW a adressé un courrier à M. Camara, chef de la junte, le 21 janvier. L’organisme a également exprimé des préoccupations concernant la présence, au sein du nouveau gouvernement de transition, d’officiers de l’armée qui selon l’organisme se sont rendus coupables d’abus et de crimes graves, notamment d’actes de torture.
Impunité pour les meurtriers
En janvier 2007, les Guinéens sont descendus dans la rue pour réclamer de meilleures conditions de vie et une meilleure gouvernance, et notamment qu’il soit mis fin à la corruption. L’armée a réprimé la manifestation, faisant plus d’une centaine de morts.
La grève s’est achevée par un accord conclu entre Lansana Conté, président de l’époque, et les dirigeants des syndicats de travailleurs. L’accord prévoyait la nomination d’un nouveau Premier ministre et la formation d’une commission d’enquête sur les coups de feu tirés sur des manifestants non-armés au cours des manifestations de 2007 et 2006.
La société civile a également créé un Observatoire national pour la démocratie et les droits de l’Homme, chargé de surveiller les violations de droits. Mais depuis sa création, la commission d’enquête n’est pas opérationnelle, selon son président, Mounir Hussein. Et les coupables des meurtres n’ont pas été traduits en justice, selon Mme Dufka de HRW.
Pour HRW, si M. Camara compte sérieusement lutter contre l’impunité, il doit réactiver à la fois la commission d’enquête et l’observatoire, et leur permettre de fonctionner de manière indépendante. « Il sera extrêmement important que [ces institutions] fonctionnent pour pouvoir surveiller les abus commis à l’approche des élections, ainsi que les abus plus chroniques », a indiqué Mme Dufka.
Une occasion historique
« M. Camara a l’occasion historique de corriger l’impunité profondément ancrée qui a caractérisé les 24 années de régime de l’ancien président Conté », a ajouté Mme Dufka.
Human Rights Watch a également exhorté M. Camara à « s’intéresser de près » aux antécédents des membres de son gouvernement et de l’autorité de transition nouvellement créée, pour demander des comptes à ceux d’entre eux qui ont commis des abus par le passé.
« Si [M. Camara] prend ces mesures concrètes, il enverra un message de confiance au peuple guinéen et à la communauté internationale, en leur montrant qu’il compte sérieusement lutter contre cette culture de l’impunité, qui règne dans le pays depuis longtemps », a déclaré Mme Dufka à IRIN.
La position du gouvernement
Idrissa Cherif, conseiller spécial de M. Camara, a laissé entendre qu’une enquête aurait lieu lorsqu’il a déclaré à IRIN : « Attendons les résultats de l’enquête pour savoir si le capitaine Ousmane, fils du général Conté, a été impliqué dans les meurtres de 2007 ».
Dans un discours récent à la nation, M. Camara, chef de la junte, a promis de mettre fin à la corruption, de promouvoir les droits humains et d’organiser des élections libres et justes, bien qu’il n’ait pas communiqué la date de celles-ci.
Le 22 janvier, le gouvernement aurait appelé à la tenue d’audiences sur diverses affaires de corruption, dans lesquelles sont impliqués plusieurs anciens ministres et dirigeants d’entreprise, à Conakry, capitale de la Guinée.
Mais bien que, de l’avis général, il soit nécessaire de lutter contre cette corruption grave qui accable la Guinée, Mme Dufka craint que les méthodes de M. Camara ne passent pas par les voies légales appropriées. « Autorise-t-on les accusés à être représentés par des avocats ? Convient-il de les interroger dans un camp militaire ? L’Etat de droit ne serait-il pas mieux servi par le biais du ministère de la Justice et de la police ? ».
« La corruption est au cœur de nombreux problèmes graves, observés en Guinée. Ce sera un test qui permettra de montrer si la Guinée peut travailler dans les limites de l’Etat de droit », a-t-elle expliqué.
Réaction de la société civile
Les dirigeants des syndicats de travailleurs n’ont pas souhaité livrer de commentaires sur la réactivation de la commission d’enquête. Ils ont adopté une approche attentiste face aux autorités de transition.
« Nous serons au premier rang pour applaudir ou pour dénoncer les actions du nouveau gouvernement. Les Guinéens n’ont plus de temps à perdre », a déclaré à IRIN Hadja Rabiatou Sérah Diallo, secrétaire général de la Confédération nationale des travailleurs guinéens, à la mi-janvier.
Alpha Madjou Sow, président de l’Organisation guinéenne de défense des droits de l’Homme, a pour sa part expliqué à IRIN qu’il n’était pas convaincu de la direction choisie par le nouveau gouvernement.
« Le silence du nouveau gouvernement sur les meurtres n’est pas rassurant », estime-t-il.
Un silence que déplore également Alhassane Camara, secrétaire national de l’Association de jeunesse du conseil national des organisations de la societe civile. « Nous demandons que le [gouvernement militaire] veille à ce que la commission d’enquête fonctionne », a-t-il déclaré. « Si les nouvelles autorités condamnent réellement la corruption, pourquoi gardent-elles le silence sur les meurtres commis au début de l’année 2007, pendant les grèves ? Si l’on souhaite préserver la paix, il faut donner au peuple la justice ».